La normalisation avec Israël, une autre façon de piétiner les droits des Palestiniens

Alors que la Cour pénale internationale vient de se déclarer compétente sur le territoire palestinien après une longue lutte contre les pressions exercées par la France et l’Union européenne, ouvrant la voie à l’examen des plaintes de crime de guerre qui lui seront soumises, des responsables politiques français ont jugé bon de répliquer en apportant leur soutien aux intellectuels et politiques arabes qui œuvrent à la normalisation avec Israël.

Que Meyer Habib, l’ambassadeur des intérêts d’Israël à l’Assemblée, et Sylvain Maillard, le nouveau patron de la lutte contre l’antisionisme, figurent parmi les signataires ne nous étonne guère. Mais que des élus du PS en nombre, de droite, et du centre apportent leur soutien à ceux qui se satisfont du statu quo en Israël-Palestine – et donc in fine à l’apartheid et à la colonisation – méritent que l’on s’y attarde.

Les membres du Conseil arabe pour l’intégration régionale, acteurs de la normalisation avec Israël, ont fait un choix : privilégier leurs intérêts économiques en sacrifiant les droits des Palestiniens, comme ils privilégient leurs intérêts contre leurs propres peuples.

Dans le rapport de force profondément déséquilibré du moment, la normalisation implique de piétiner les peuples et les conditions vitales pour eux-mêmes et pour une véritable paix entre eux : la justice, l’égalité, le respect de leurs droits. Mais de Sissi en Égypte à Bin Salman en Arabie Saoudite, alliés de la France qui leur livre des armes, seules les directions de ces dictatures semblent être des interlocuteurs valables. Les intellectuels arabes cités par la tribune sont des alliés de ces pouvoirs, quand ils n’en font pas partie.

Tout le monde veut la paix, c’est bien connu. Cette normalisation, que le texte veut identifier à la paix, n’a pourtant rien à voir avec elle. A cette normalisation les signataires de la tribune opposent un « virus de la haine, une culture de la haine », bien évidemment attribués aux peuples… arabes. Le dialogue avant la paix – ou plus précisément à la place de la paix – est une stratégie bien connue.

Nous avons déjà vécu cela avec la fameuse « coexistence » – dukyoum en hébreu -, que la gauche sioniste voulait instaurer avec les Palestiniens comme préalable à tout accord de paix, pendant la période d’Oslo. Nous connaissons les échecs et les conséquences dramatiques de cette normalisation alors même que les négociateurs israéliens se taillaient la part du lion dans le soi-disant partage en deux États. La normalisation doit être la conséquence de la paix. Elle ne peut la précéder, ou sinon, c’est un leurre qui préserve les privilèges et les intérêts du plus fort.

Les responsabilités sont réparties par la tribune comme on s’en doute : « Il (le boycott) a alimenté le scepticisme et la défiance d’une société israélienne en butte à l’hostilité et l’ostracisme de son environnement géopolitique proche. » La tribune oppose une normalisation hors sol à la stratégie portée par le mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanction) qui lui se fonde sur le droit international, et la nécessité de le faire appliquer par Israël. Le boycott est un outil de lutte populaire contre le racisme, la ségrégation et l’injustice, qui a réussi à débarrasser l’Afrique du Sud de l’apartheid.

En réalité, cette normalisation qui veut s’imposer par le haut est présentée comme une arme contre le Boycott qui inquiète Israël, perçu comme victime, mais jamais comme responsable de ses actes, de ses violations de toutes les normes internationales, de son occupation et colonisation illégales, et de ses crimes de guerre commis à Gaza en 2008 et en 2014.

Mais la tribune ne s’arrête pas là. Elle explique que la haine antisémite supposée du Moyen Orient se répercute en France où les populations maghrébines sont explicitement désignées comme reproduisant l’antisémitisme et l’extrémisme … arabes.

Selon eux, cette initiative serait « l’extension culturelle » de l’initiative arabe de 2002. Encore un mensonge : ce qui a disparu ici, et qui figurait dans l’initiative de 2002, c’est la reconnaissance des droits palestiniens et de leur État… Mais nous avons changé d’époque. L’heure est aux alliances néolibérales du tiroir-caisse, au mépris des peuples, et ces gens n’ont strictement rien à proposer en échange de la normalisation. Rien pour le peuple palestinien qui reste livré sans défense à la conquête et la hargne destructrice du régime israélien.

Le pire et le plus éhonté mensonge est réservé pour la fin de la tribune, et concerne la coopération de santé annoncée contre la pandémie du Covid 19. Quoi de plus faux, alors qu’Israël bloque toute entrée de soins à Gaza et bombarde les rares installations restées opérationnelles, que les Palestiniens atteints de fièvre sont jetés à terre aux barrages et laissés sans soins, que les colons développent une violence accrue en Cisjordanie incluant destructions, vandalisme et attaques physiques en toute impunité, que des enfants sont maintenus dans des prisons à haut risque de contamination selon les représentants de l’Unicef et du Bureau des droits humains des Nations unies, que l’accès aux hôpitaux israéliens demeure sévèrement restrictif, et que le nouveau gouvernement d’union nationale prévoit l’annexion pure et simple d’une partie non négligeable de la Cisjordanie prévu en juillet 2020 ?

Mais si « cette coopération inédite a sauvé des vies » (sic !), « ces nobles projets ne pourront voir le jour tant que les lois de la plupart des pays arabes continueront de menacer les partisans arabes du dialogue avec Israël. » Voilà donc ce qui freine l’extension de la normalisation – le boycott ! –, et voilà pourquoi les signataires de la tribune sont vent debout contre lui.

« Bâtisseurs de paix », c’est ainsi que la tribune désigne les membres du Conseil arabe pour l’intégration régionale. Ne sont-ils pas plutôt, eux et leurs soutiens occidentaux, les artisans de la normalisation des violations israéliennes des droits de l’homme, se lavant les mains des peuples concernés ?

14 mai 2020.

Tribune publiée le 15-05-2020 sur le site de la revue Contretemps
Par Michèle Sibony et Maxime Benatouil.

Michèle Sibony et Maxime Benatouil, membres de la Coordination nationale de l’Union juive française pour la paix (UJFP).

Voir en ligne : la tribune sur le site de Contretemps

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