Intervention de Dominique Natanson à la fête de LFI 02 le 25 mai 2024 à Bourg-et-Comin.
1. Ce qui se passe aujourd’hui à Gaza nous bouleverse et nous hante tous ici.
Nous assistons, impuissant, à un massacre de la population palestinienne, à des crimes de guerre sans nom, à la découverte de fosses communes, à des crimes contre l’Humanité… Nous assistons à un génocide.
2. Ce qui se passe aujourd’hui à Gaza nous bouleverse et nous hante tous ici, car nous nous heurtons au mensonge et à la répression.
Et l’indifférence négationniste de nos gouvernants, des médias mainstream, nous révolte.
Et la répression contre les manifestations et occupations du mouvement en faveur du peuple palestinien.
Et l’accusation d’antisémitisme retournée contre les antiracistes réels est une autre ignominie. D’étoiles bleues en mains rouges, toutes les manipulations ne parviendront pas faire taire un mouvement libérateur basé sur l’antiracisme et le respect du droit international.
Certaines interventions comme celle de Gabriel Attal à Sciences-Po, ressortissent d’une sorte de « complotisme d’État » inventant un antisémitisme à combattre, là où il ne se trouve pas et entretenant une confusion entre Israël et les juifs qui peut provoquer d’imbéciles réactions antisémites qui menacent toujours les Juifs comme le montre l’attentat contre la synagogue de Rouen.
3. Ce qui se passe aujourd’hui à Gaza nous bouleverse et nous hante particulièrement en tant que juifs.
Car ces crimes voudraient être commis en notre nom.
Comment devrais-je être le complice obligé d’un génocide quand une partie de ma famille a été assassinée à Auschwitz, que d’autres ont été fusillés ou se sont suicidé.
L’injonction est insupportable qui m’est parfois faite de justifier les crimes contre l’Humanité, de dénier le caractère d’être humain aux Palestiniens, d’applaudir aux exactions de l’armée israélienne qui tue massivement : « Le nombre d’enfants présumés tués en seulement quatre mois à Gaza est plus élevé que le nombre d’enfants tués en quatre ans dans l’ensemble des conflits à travers le monde » disait le patron de l’UNRWA.
4. Ce qui se passe aujourd’hui à Gaza nous bouleverse et nous hante, car nous ne pouvons identifier le judaïsme à ce massacre des innocents.
Mais le sionisme, c’est un formidable hold-up sur le judaïsme.
Pendant 20 siècles, les Juifs ont vécu dans une société juive sans armée, sans police, sans État, centrée sur l’étude de la Torah.
Le « peuple élu », c’était alors celui qui devait aller le plus loin dans le respect des Commandements de Dieu et par conséquent rendre compte à Dieu de chacune de ses fautes.
Selon le Zohar, les Juifs ont un rôle central dans la « réparation du monde », concept connu en hébreu sous le nom de Tikkoun Olam. Réparer le monde, c’est promouvoir la paix, accueillir les étrangers, améliorer la condition humaine en général ce qui inclut des principes éthiques universels et le souci du bien-être de toute l’humanité.
Et on voudrait que nous confondions le judaïsme avec un militarisme, avec un colonialisme ?
Je ne suis pas très à l’aise avec ces notions religieuses, mais je sais que la venue du Messie en Palestine cela devrait être, selon Isaïe, ce moment où « une nation ne tirera plus l’épée contre une autre, et l’on n’apprendra plus la guerre » (Isaïe, 2,4)
5. Ce qui se passe aujourd’hui à Gaza nous bouleverse et nous hante, car on est aux antipodes de l’émancipation humaine.
Car c’est tout le contraire d’une histoire juive émancipatrice – là je suis plus à l’aise. C’est l’histoire de cette diaspora juive si révoltée, combattant l’antisémitisme, si solidaire contre les pogroms, si révolutionnaire contre les patrons, les cosaques, le tsar, la bourgeoisie occidentale.
Dans l’histoire de ma propre famille, je me souviens que mon père, Jacques Natanson, rescapé de la Shoah, a, durant la Guerre d’indépendance algérienne, choisi son camp. Il a contribué à cacher un « terroriste » algérien de la Fédération de France du FLN, au Havre où nous vivions. Il s’appelait Ahmed Aït Ali, j’avais 10 ans.
A cette époque, le FLN commettait pourtant des attentats, y compris contre des civils, comme à Alger, l’attentat du Milk Bar, une sorte de dancing. Cela fit malheureusement des victimes parmi les jeunes danseurs. Mais le droit à la Résistance d’un peuple colonisé primait.
Ce droit à la Résistance je continuerais à le défendre face à l’injonction de condamner « le crime terroriste du Hamas » du 7 octobre. Ce massacre fut terrible ! Les Israéliens en ont rajouté inventant des bébés mis dans des fours et des viols systématiques qui se sont révélés être des fake news, mais ce fut atroce, cependant. D’où sort cette violence ?
Aimé Césaire, dans son « Discours sur le colonialisme » montre comment la colonisation repose sur la violence, l’exploitation et le racisme, ce qui démontre une forme de sauvagerie de la part des colonisateurs. Et il accuse les Européens de projeter leurs propres barbaries sur les colonisés. En réalité, selon Césaire, ce sont les pratiques coloniales elles-mêmes qui sont barbares et sauvages.
Frantz Fanon, dans « Les Damnés de la Terre », évoque la violence réactionnelle chez les colonisés. Cette violence n’est pas une manifestation de sauvagerie intrinsèque des colonisés, mais une réponse aux conditions oppressives imposées par le colonialisme.
6. Ce qui se passe aujourd’hui à Gaza nous bouleverse et nous hante, parce que nous avons tissé des liens avec les Gazaouis.
Depuis des années, l’UJFP a envoyé des militants juifs à Gaza où ils ont été magnifiquement accueillis. La société de Gaza est bien plus diverse que la description caricaturale d’un « peuple terroriste »…
L’UJFP a participé à la construction d’un château d’eau sur le quel les Gazaouis avaient inscrit les lettres UJFP – il a été détruit par l’artillerie israélienne. Nous avons financé des serres, une pépinière, des panneaux solaires. Tout est à présent détruit.
Nous parvenons aujourd’hui, grâce à nos correspondants locaux, à envoyer plusieurs dizaines de milliers d’euros pour une assistance locale efficace. Nous vous invitons à y participer sur notre site et à lire les récits quotidiens d’Abu Amir, notre correspondant à Gaza depuis 2016.
Aujourd’hui, nous travaillons avec lui sur travailler sur 3 projets : l’installation de l’énergie solaire pour le camp de paysans de Khan Yunis, le soutien psychologique pour les femmes, un programme éducatif pour les enfants du camp.
La résilience palestinienne est incroyable, mais l’ampleur de l’écrasement et du deuil ne l’est pas moins.
7. L’UJFP est née il y a 30 ans, lors de la fête de Pessah 1994.
Elle est née de l’indignation contre le sort réservé au peuple palestinien.
J’ai adhéré au moment de la seconde Intifada et du manifeste « Trop, c’est trop ! » initié par Madeleine Rébeirioux et Pierre Vidal-Naquet. Déjà la répression nous bouleversait et nous hantait.
Pas en notre nom, disions-nous !
8. L’UJFP depuis quelques années, se déclare antisioniste.
La paix ne peut advenir par « un peu de bonne volonté » de part et d’autre. Ce n’est pas « en écartant les extrémistes » qu’on résoudra la question.
Il est indispensable d’identifier le sionisme, c’est-à-dire l’idée de la création et de l’expansion d’un État juif ethnique, conduisant à des politiques d’épuration ethnique : la Nakba de 1948 en est le premier pas et la fuite en avant de l’occupation de toute la Palestine par l’armée israélienne après 1967.
Cette politique suprémaciste juive, qui refuse l’égalité des citoyens au nom de la Loi sur l’État juif : Israël est un État national pour les seuls juifs, conduit nécessairement à un apartheid.
9. Alors, comment sortir de notre bouleversement et de notre hantise ?
Nos camarades de Tsedek disent qu’il convient de « réinventer notre diaspora ». Ils veulent un positionnement juif décolonial, contre l’apartheid israélien, mais aussi contre les violences policières et le racisme d’État, ici, en France.
Il faut agir ici et là-bas, selon les principes de la justice et de l’égalité des droits.
L’UJFP là-bas défend la sortie du sionisme : de la Mer au Jourdain, égalité absolue des droits, liberté, justice. C’est comme cela qu’on est sorti de l’apartheid sud-africain.
L’UJFP défend ici les mêmes principes : nous travaillons à une lutte antiraciste qui ne peut se dérouler sans faire se rejoindre la lutte contre l’islamophobie, la négrophobie, l’antitsiganisme, l’antisémitisme et les violences policières.
10. Alors, je compte sur vous pour transformer notre bouleversement et de notre hantise en une solidarité toujours plus active envers le peuple palestinien
L’espoir existe sur les campus américains à Sciences-Po, dans nos rues, nos collectifs, nos multiples initiatives à Saint-Quentin avec les rassemblement de chaque samedi, à Château-Thiery, dans le lancement de la création de l’AFPS 02….
L’espoir existe dans la mise au ban ce gouvernement israélien génocidaire, dans la mise en accusation devant la Cour internationale de justice et ce prochain mandat d’arrêt du Tribunal pénal international contre le criminel Nétanyahou.
L’espoir existe dans l’amplification de la campagne BDS : Boycott, désinvestissement, sanctions contre l’État d’Israël.
Vous trouverez les Juifs de l’UJFP à vos côtés.