21 juillet 2023
Par Ramzy Baroud
C’est l’occasion rêvée pour le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, de quitter la scène. Mais il ne faut pas y compter, écrit Ramzy Baroud.
La brève visite d’Abbas au camp de réfugiés dévasté de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie occupée, le 12 juillet, a démontré l’absurdité et le danger que représentent l’AP et de son dirigeant âgé de 87 ans.
Alors qu’il de déplaçait, Abbas a eu du mal à garder l’équilibre, dans ce qui a été présenté comme une visite de « solidarité » au camp.
Des milliers d’habitants de Jénine, frustrés, sont descendus dans la rue, scandant difficilement le nom d’Abbas. Certains ont contemplé la scène avec un air désappointé, d’autres ont demandé où se trouvaient les forces du président lorsqu’Israël a envahi le camp, tuant 12 personnes, en blessant et arrêtant des centaines d’autres.
La BBC a fait état d’un « énorme déploiement armé » pour sécuriser la visite, où « les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne ont rejoint une unité d’un millier de personnes de la garde présidentielle d’élite de M. Abbas ». Leur seule mission consistait à « ouvrir la voie » à Abbas pour qu’il puisse entrer dans le camp.
Le premier jour, le plus meurtrier, de l’invasion israélienne de Jénine, les médias israéliens, citant des sources militaires, ont déclaré qu’un millier de soldats israéliens participaient à l’opération militaire.
Lire également : Les « Forces de sécurité » de l’Autorité Palestinienne : la sécurité de qui ? par Alaa Tartir
Pourtant, il a fallu encore davantage de policiers palestiniens pour assurer la brève visite d’Abbas à Jénine.
En effet, où étaient ces soldats de l’AP en belle tenue et bien équipés lorsque Jénine se battait et mourait seule ? Et pourquoi Abbas a-t-il besoin d’être protégé de ses propres concitoyens ?
Pour répondre à ces questions, il est important d’examiner le récent contexte, et en particulier trois dates importantes :
- Le 5 juillet, Israël a mis fin à son opération militaire à Jénine.
- Le 9 juillet, malgré les protestations de certains membres de son cabinet de sécurité, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu a déclaré qu’Israël ferait tout son possible pour empêcher l’effondrement de l’AP. Il a déclaré sans ambages que l’AP « travaille pour nous ».
- Enfin, le 12 juillet, Abbas s’est rendu à Jénine pour adresser un message menaçant aux groupes de résistance palestiniens.
Ces trois dates sont directement liées : L’échec du raid israélien sur Jénine a renforcé l’importance de l’AP aux yeux d’Israël. Abbas s’est rendu à Jénine pour rassurer Israël sur le fait que son Autorité sera à la hauteur de la tâche.
Pour répondre aux attentes d’Israël et assurer sa survie, l’Autorité palestinienne est prête à affronter directement les Palestiniens qui refusent de se plier à ses exigences.
« Il y aura une seule Autorité et une seule force de sécurité », a menacé Abbas avec colère, quelques jours seulement après l’enterrement des victimes de Jénine. « Quiconque cherche à porter atteinte à son unité et à sa sécurité en subira les conséquences », a-t-il ajouté, promettant en outre que « toute main qui se lèvera pour nuire au peuple et à sa cohésion sera coupée ».
La main en question n’est pas celle d’Israël, mais celle de tout Palestinien qui résiste à Israël.
Abbas sait que les Palestiniens n’ont que mépris pour lui et son Autorité. Quelques jours auparavant, le vice-président du parti du Fatah, Mahmoud Aloul, a été expulsé de Jénine par une foule en colère.
La foule a scandé à l’unisson « Dehors ! » à Aloul et à deux autres officiels de l’Autorité palestinienne.
Ils ont alors obéï aux injonctions, mais Abbas est revenu sur les lieux. Il a été transporté dans un hélicoptère militaire jordanien. En bas, l’attendait une petite armée de l’Autorité palestinienne qui avait pris possession des rues et des immeubles – ou de ce qu’il en restait – dans le camp détruit.
Tout cela s’est fait grâce à des arrangements logistiques avec l’armée israélienne.
Mais pourquoi Netanyahu tient-il à la survie de l’AP ?
Netanyahu veut que l’AP survive tout simplement parce qu’il ne veut pas que l’administration et l’armée d’occupation israéliennes soient entièrement responsables des conditions de vie des Palestiniens en Cisjordanie et de la sécurité des colons.
Malgré leur échec presque total, les accords d’Oslo ont réussi une chose : ils ont fourni à Israël une force palestinienne dont la mission principale est d’aider l’occupation israélienne dans sa volonté de maintenir un contrôle total sur la Cisjordanie.
Le voyage d’Abbas à Jénine avait pour but de rassurer Tel-Aviv sur le fait que l’Autorité palestinienne est toujours attachée à ses obligations envers Israël.
Un autre message a été envoyé au président américain Joe Biden qui, dans une récente interview, a mis en doute la « crédibilité » de l’AP. « L’AP perd sa crédibilité », a reconnu Biden devant CNN, ce qui a « créé un vide pour l’extrémisme ».
Le message adressé à Washington était que les mains des soi-disant « extrémistes » seraient « coupées » et qu’il y aurait des « conséquences » pour ceux qui défieraient la volonté de l’Autorité palestinienne.
Lire également : En assassinant Nizar Banat, l’Autorité de Ramallah a signé son arrêt de mort par Abdel Bari Atwan
Abbas semble s’exprimer non seulement au nom de son Autorité, mais aussi au nom de Tel-Aviv et de Washington.
Les Palestiniens le comprennent très bien; et ils l’ont toujours compris. La seule différence aujourd’hui est qu’ils se sentent forts et encouragés par une nouvelle génération de résistants qui a réussi à rétablir un certain degré d’unité palestinienne, au milieu de la politique factionnelle et de la corruption de l’AP.
L’AP est désormais considérée par la grande majorité des Palestiniens comme le premier obstacle à l’unité complète. Cette position est tout à fait compréhensible. Alors qu’Israël intensifiait ses opérations meurtrières à Jénine et à Naplouse, la police de l’Autorité palestinienne kidnappaient des militants palestiniens, provoquant la colère des groupes de résistance en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.
Si cela continue, une guerre civile en Cisjordanie est une réelle possibilité, d’autant plus que les successeurs potentiels d’Abbas sont tout aussi douteux, même dans les rangs du Fatah. Ces hommes étaient également présents à Jénine, aux côtés d’Abbas qui tentait désespérément d’imposer de nouvelles règles.
Cette fois-ci, il est peu probable que les Palestiniens se laissent embobiner. Pour la Résistance, les enjeux sont trop importants pour à présent reculer.
Pour l’Autorité palestinienne, la perte de la Cisjordanie signifie la perte de la manne financière occidentale, qui se chiffre en milliards de dollars.
Un affrontement entre la Résistance et son soutien populaire, d’une part, et les forces de l’AP soutenues par l’Occident et Israël, d’autre part, s’avérerait très coûteux pour les Palestiniens.
Mais pour Tel Aviv, c’est une situation gagnant-gagnant. C’est pourquoi Netanyahu tient à aider Abbas à conserver son poste, au moins assez longtemps pour que la transition post-Abbas se déroule en toute sécurité.
Les Palestiniens doivent trouver un moyen de bloquer ces projets, de préserver le sang palestinien et de restructurer leurs dirigeants, afin qu’ils les représentent, et non les intérêts de l’occupation israélienne.
Auteur : Ramzy Baroud
* Dr Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle.
Il est l’auteur de six ouvrages. Son dernier livre, coédité avec Ilan Pappé, s’intitule « Our Vision for Liberation : Engaged Palestinian Leaders and Intellectuals Speak out ». Parmi ses autres livres figurent « These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons », « My Father was a Freedom Fighter » (version française), « The Last Earth » et « The Second Palestinian Intifada » (version française)
Dr Ramzy Baroud est chercheur principal non résident au Centre for Islam and Global Affairs (CIGA). Son site web.
17 juillet 2023 – Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah