Le contrat sur Corbyn

Corbyn n’est pas antisémite. Son vrai péché est de se battre contre l’injustice dans le monde, dont sa version israélienne.

Les Juifs de Grande-Bretagne et la machine de propagande israélienne ont mis un contrat sur le leader du Parti travailliste, Jeremy Corbin. Ce contrat a été signé il y a longtemps mais il est clair que plus Corbyn s’approche du poste de Premier ministre, plus le conflit devient dur.

Le 26 novembre dernier, il a atteint son apogée avec la publication d’un article du premier rabbin de Grande-Bretagne, Ephraïm Mirvis, dans le Times. Celui-ci a décidé que l’inquiétude des Juifs anglais à l’égard de Corbyn est justifiée et qu’il n’est pas taillé pour être Premier ministre. Il appelle donc la communauté juive à ne pas voter pour lui lors des élections du 12 décembre.

Né en Afrique du sud et diplômé de la yeshiva Har Etzion de la colonie d’Alon Shvut, Ephraïm Mirvis est la voix de la communauté juive britannique. Au Cap, à Johannesburg et Har Etzion, il a dû apprendre ce qu’est l’apartheid et pourquoi on devrait le combattre. Ses parents aussi sûrement, aucun doute sur le fait qu’il a dû tirer une leçon morale de sa vie dans les régions de privation de droits civiques où il a vécu comme l’Afrique du sud ou la Cisjordanie.

Contrairement à l’horrible Corbyn, Mirvis ne voit rien de mal à l’occupation sans fin ; il ne s’identifie pas à la lutte des Palestiniens pour la liberté et il ne voit pas les similitudes entre l’Afrique du sud de son enfance, le Har Etzion de sa jeunesse et Israël en 2019. C’est la vraie raison de son rejet de Corbyn. Les Juifs anglais veulent un Premier ministre qui soutient Israël qui soutient l’occupation. Un Premier ministre qui critiquerait Israël est pour eux l’exemple du nouvel antisémitisme.

Jeremy Corbyn n’est pas antisémite. Il ne l’a jamais été. Son vrai péché, c’est son combat fervent contre l’injustice dans le monde, dont celle qu’Israël perpétue. C’est ça, l’antisémitisme d’aujourd’hui. Le Hongrois Viktor Orban, le Parti de la liberté en Autriche et l’extrême droite en Europe ne mettent pas les Juifs en danger. Non, c’est Corbyn l’ennemi. La nouvelle, et très efficace, stratégie d’Israël et des sionistes est d’étiqueter chaque défenseur de la justice comme antisémite et chaque critique d’Israël comme haine des Juifs. Corbyn est victime de cette stratégie, laquelle menace de paralyser et de faire taire l’Europe par égard pour Israël.

Ce n’est pas pour dire que l’inquiétude de la communauté juive anglaise n’est pas réelle mais elle amplifie très certainement le danger. L’antisémitisme existe certainement à gauche, simplement moins qu’on le prétend. Près de la moitié des Juifs britanniques se disent prêts à fuir si Corbyn est élu. Laissez-les partir. Le sondage qui présente ces chiffres pourrait en fait nourrir l’antisémitisme : les Juifs de Grande-Bretagne sont-ils si anglais ? A qui va leur loyauté ?

L’avenir de n’importe lequel Juif britannique est plus assuré que celui d’un Palestinien vivant sous occupation, et même que celui d’un Arabe israélien. Les Juifs sont persécutés et victimes de discrimination et de racisme dans des proportions qui n’ont rien à voir avec la situation des Palestiniens en Israël. Plus encore, l’islamophobie en Europe est bien plus courante que l’antisémitisme sauf que les gens en parlent moins.

Ephraïm Mirvis ne présente aucune preuve de l’antisémitisme de Corbyn. Il lui suffit de rappeler que le chef du Parti travailliste a appelé « amis » ceux qui « endossent le meurtre des Juifs » – en référence aux propos de Corbyn sur le Hezbollah et le Hamas. Il est vrai qu’il est un infatigable pourfendeur de l’occupation, qu’il soutient le boycott et qu’il compare le siège de Gaza à celui Stalingrad ou de Leningrad. Ce sont des positions anti-israéliennes mais pas nécessairement antisémites. Les Juifs de Grande-Bretagne jouent de cette différence, de même que de nombreux Juifs à travers le monde brouillent le message, intentionnellement. On peut (et on devrait) critiquer sévèrement Israël sans être antisémite.

Si les Juifs britanniques et leur rabbin étaient plus honnêtes et courageux, ils se poseraient la question suivante : n’est-ce pas la politique brutale d’occupation d’Israël qui constitue le plus sérieux motif d’antisémitisme aujourd’hui ? Il y a un antisémitisme qui doit être combattu mais il faut aussi reconnaître qu’Israël lui fournit moult excuses et motifs.

Les Juifs et les vrais amis d’Israël devraient espérer que Corbyn sera élu. Il est un homme d’État qui peut changer le discours international sur l’occupation et la façon dont il faut la combattre. Il incarne l’espoir d’un monde différent, d’un Israël différent – et que pourrions-nous vouloir de plus.

Par Gideon Levy. Publié le 28 novembre 2019 sur le site de l’AFPS.

Traduit de l’anglais par l’AFPS

Source : Publié par haaretz.com

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