Le cinglant désaveu de Nétanyahou par les Juifs américains

Netanyahou-et-Trump

Malgré l’engagement sans précédent de Nétanyahou aux côtés de Trump, les Juifs américains ont voté massivement Biden, un sénateur juif lui offrant même la majorité au Congrès.

Benyamin Nétanyahou et Donald Trump lors de la proclamation de « l’accord du siècle » à la Maison blanche, le 28 janvier 2020 (Alex Brandon, AP)

L’accession de Joe Biden à la Maison blanche, le 20 janvier, marquera la victoire du candidat plébiscité par les Juifs américains contre le président sortant, Donald Trump, auquel Benyamin Nétanyahou s’est largement identifié. Et tant pis si « l‘accord du siècle »  que les deux dirigeants avaient conclu il y a un an n’a donné strictement aucun résultat en termes de paix israélo-palestinienne: il s’agissait en fait d’un pacte personnel  entre Trump et Nétanyahou, chacun s’engageant à mobiliser toutes ses ressources pour favoriser la réélection de l’autre. C’est dire combien le désaveu des Juifs américains est un revers cinglant pour le chef du gouvernement israélien, dont l’avenir politique, déjà compromis par une triple mise en examen pour corruption, fraude et abus de confiance, se jouera lors des élections israéliennes du 23 mars prochain, les quatrièmes en moins de deux ans.

DES « SIONISTES CHRETIENS » PARFOIS ANTISEMITES

Nétanyahou a fait le choix stratégique de s’appuyer au nom d’Israël, non plus sur une diaspora jugée trop critique, mais sur des « sionistes chrétiens » dont le soutien lui était inconditionnel. En effet, pour ces fondamentalistes évangéliques, le « retour » du peuple juif sur une « terre d’Israël » qui inclut la Cisjordanie participe de l’accomplissement des prophéties. Nétanyahou a cultivé durant de longues années ces réseaux très marqués à droite, malgré le trouble causé chez les Juifs américains par les dérapages antisémites de figures de proue de cette mouvance « sioniste chrétienne ». C’est avant tout pour s’attacher un tel électorat fondamentaliste que Trump a enchaîné les violations du droit international, depuis le déplacement à Jérusalem de l’ambassade des Etats-Unis en Israël et le retrait de l’accord sur le nucléaire iranien jusqu’à la reconnaissance de la souveraineté israélienne sur le territoire occupé du Golan syrien et sur les colonies de la Cisjordanie palestinienne.

Nétanyahou a été le premier bénéficiaire de tous ces gestes unilatéraux de Trump et il n’a pas manqué de célébrer avec emphase la politique et la personne du président américain. Celui-ci s’est cependant inquiété de ne pas recueillir, après de telles initiatives, le soutien qu’il espérait en retour de la communauté juive. Trump a même accusé ses compatriotes juifs de « ne pas assez aimer Israël »poussant la confusion des genres jusqu’à qualifier Nétanyahou de « votre Premier ministre » devant la convention des Juifs républicains, comme si les Juifs américains avaient pour patrie Israël plutôt que les Etats-Unis. Quant au forcing pro-Trump de Nétanyahou, il n’a pas plus convaincu la grande majorité des Juifs américains de se détourner du parti démocrate. La politique moyen-orientale de Trump a, à cet égard, pesé moins que la montée de la violence antisémite aux Etats-Unis durant sa présidence.

LA CLEF DE LA MAJORITE DEMOCRATE AU CONGRES

Biden a pu ainsi rallier, à la présidentielle du 3 novembre 2020, les trois quarts des électeurs juifs. Mais la polarisation est encore plus forte lors des sénatoriales du 3 janvier 2021 en Géorgie. L’élection du sénateur juif Jon Ossoff, après celle de son colistier noir Raphaël Warnock, offre au président démocrate la majorité à la chambre haute, et donc le contrôle du Congrès où la chambre des Représentants était déjà majoritairement démocrate. Durant une campagne électrique, Ossoff a été la cible de caricatures antisémites de la part du sénateur républicain sortant qui, pour sa part, mettait en avant la politique pro-Nétanyahou de la Maison blanche. Ossoff avait au contraire mis en garde contre toute annexion de la Cisjordanie et rappelé son attachement aux accords israélo-palestiniens d’Oslo: « une nouvelle génération de dirigeants israéliens et palestiniens doit émerger pour tracer la voie vers la garantie de la liberté, de la sécurité, de la paix et de la prospérité pour tous les habitants de la région ».

Nétanyahou n’a à l’évidence aucune place dans cette « nouvelle génération » à laquelle aspire Ossoff. L’élection du sénateur juif de Géorgie illustre en outre la relance de la dynamique, historiquement liée au mouvement des droits civiques, associant militants juifs et noirs. Face à cette vague de fond, certains des émeutiers pro-Trump qui ont envahi le Capitole, le 6 janvier, ont affiché leurs convictions antisémites, l’un d’eux arborant même « Auschwitz » sur son T-shirt. Le Premier ministre israélien se retrouve ainsi piégé par son pari exclusif sur Trump et ses alliés « sionistes chrétiens ». La disparition, le 12 janvier, du milliardaire Sheldon Adelson, fervent soutien de la colonisation de la Cisjordanie, prive en outre Nétanyahou de son plus généreux mécène aux Etats-Unis. Le retournement est sévère pour le chef du gouvernement israélien, formé à Philadelphie et à Boston, grand artisan de « l’américanisation » de la vie politique dans son pays, au point de lier son destin au locataire le plus controversé de la Maison blanche.

Pour le meilleur et pour le pire.