Par Gidéon Levy, Haaretz, 7 avril 2019
L’élection de mardi entraînera à coup sûr un résultat : une centaine de membres de la prochaine Knesset seront des partisans de l’apartheid. Ce fait est sans précédent dans les États démocratiques. Cent législateurs sur 120, une majorité archi-absolue qui soutient la continuation de la situation actuelle, à savoir l’apartheid.
Avec une majorité pareille, il sera possible pour la prochaine Knesset de déclarer officiellement Israël comme État d’apartheid. Face à un tel soutien à l’apartheid et compte tenu du caractère durable de l’occupation, aucune propagande ne pourra réfuter cette vérité toute simple : presque tous les Israéliens souhaitent que l’apartheid continue. Leur culot – ce qu’on appelle chutzpah en yiddish – atteignant des sommets, ils qualifient cela de démocratie, alors même que plus de 4 millions de personnes qui vivent près d’eux et sous leur domination n’ont pas le droit de voter pour cette élection.
Bien sûr, personne n’en parle, mais sous aucun autre régime dans le monde on ne peut voir deux localités limitrophes dont l’une, appelée colonie cisjordanienne, abrite des habitants dotés du droit de vote alors que leurs voisins, habitants d’un village palestinien, ne peuvent exercer ce droit. On a là l’apartheid dans toute sa splendeur, et presque tous les citoyens juifs de ce pays souhaitent qu’il continue à exister.
Cent membres de la Knesset seront élus sur des listes dites de droite, de gauche ou centristes, mais ce qu’elles ont en commun l’emporte sur leurs différences : aucune n’a l’intention de mettre fin à l’occupation. La droite l’affirme avec fierté, alors que le centre-gauche a recours à des illusions futiles pour brouiller les cartes, lançant des propositions de « conférence régionale » ou de « séparation sécurisée ». La différence entre ces deux regroupements est négligeable. À l’unisson, droite et gauche chantent « dites oui à l’apartheid ».
Dans ces conditions, cette élection n’a guère d’importance ; elle est loin d’être cruciale. Dispensons-nous de toute hystérie ou déclarations pathétiques sur ses résultats. Ni la guerre civile ni même une scission ne sont en jeu. Le peuple est plus uni que jamais, et se prononce pour l’apartheid. Quels que soient les résultats de mardi, le pays de l’occupant restera le pays de l’occupant. Cela le définit mieux que toute autre question marginale, par exemple la campagne du parti Zehut pour légaliser la marijuana.
Il n’y a donc pas de raison pour que nous retenions notre souffle en attendant les résultats. L’élection est déjà perdue. Pour les Juifs de ce pays, elle donnera le ton, elle déterminera à quel degré de démocratie, de primauté de la loi, de corruption ils vont vivre, mais elle ne fera rien pour changer l’essence fondamentale d’Israël en tant que pays colonialiste.
L’extrême droite demande l’annexion de la Cisjordanie, ce qui doterait d’une permanence juridique une situation permanente depuis longtemps dans la pratique. Cette mesure présenterait un avantage attirant. Elle arracherait enfin du visage d’Israël le masque de la démocratie et finirait peut-être par susciter une opposition dans le pays et à l’étranger.
Mais aucune personne dotée d’une conscience ne peut voter pour la droite fasciste, qui compte dans ses rangs des partisans de l’expulsion des Palestiniens, de la construction d’un Troisième Temple sur le Mont du Temple, de la destruction des mosquées qui s’y trouvent, ou qui rêvent même d’extermination. Le parti Likud du Premier Ministre Benjamin Netanyahu, censé être plus modéré, souhaite simplement perpétuer la situation actuelle, c’est-à-dire l’apartheid non déclaré.
Le centre-gauche entend mettre en œuvre une supercherie, sans que ni Kahol Lavan ni le Parti travailliste ne disent un mot sur l’occupation, ou même sur la fin du blocus de la Bande de Gaza. Le parti de Benny Gantz formule des plans ambitieux en vue d’une conférence régionale, qui aurait un caractère historique et « approfondirait le processus de séparation avec les Palestiniens tout en maintenant sans compromis … la liberté d’action de l’armée israélienne en tout lieu ».
Il y avait longtemps qu’un document aussi honteux de blanchiment de l’occupation n’avait été publié. Et le Parti travailliste n’est pas à la traîne. La mesure la plus audacieuse de son catalogue est un référendum sur les camps de réfugiés avoisinant Jérusalem dans lequel voteraient les seuls électeurs israéliens, bien entendu.
Et tout cela s’ajoute à une série de déclarations banales sur les blocs de colonisation, Jérusalem, la vallée du Jourdain et l’interruption de la construction de colonies en dehors des blocs, c’est-à-dire que la construction de colonies continuerait à pleine puissance. Ce parti, fondateur vertueux de l’entreprise colonisatrice, parle de « chemins de la séparation ». Ce sont plutôt les chemins de la tromperie.
La paix ? Le retrait ? Le démantèlement des colonies ? La gauche sioniste en rit encore. Il ne reste pas grand monde, deux listes et demie, une frange : le Meretz et Hadash-Ta’al, qui soutiennent une solution à deux États — ce train défaillant qui a déjà quitté la gare — et puis Balad-Liste arabe unie, assez près de préconiser une solution à un État, la seule solution qui reste.
Votez pour l’apartheid.
Traduction SM pour l’Agence Média Palestine
Source: Haaretz