Élections israéliennes : l’orgie nationaliste et sécuritaire

Par Thomas Vescovi. Publié le 10 avril 2019 sur le site de Middle East Eye.

Au terme d’une campagne particulièrement violente et raciste, la droite nationaliste et religieuse l’emporte, s’assurant quelques années de plus pour asseoir encore davantage sa domination sur tous les secteurs du pays

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« Le bloc de droite continuera à diriger Israël pour les quatre prochaines années », a déclaré Benyamin Netanyahu au siège du parti mardi soir (Reuters)

En arrivant au coude-à-coude avec son rival centriste Benny Gantz, le pouvoir hégémonique de Benyamin Netanyahou est bien contesté, mais pas suffisamment pour voir le Premier ministre sortant quitter son poste.

Tous les résultats ne sont pas encore définitifs, notamment car le vote des militaires, souvent plus à droite que la moyenne nationale, n’est pas encore connu.

Toutefois, la nouvelle Knesset dessine déjà une carte politique israélienne radicalement nationaliste et opposée à tout État palestinien.

Union nationale ou coalition d’extrême droite ?

À la question « stop ou encore ? », la réponse des Israéliens demeure floue. Si Netanyahou n’est pas arrivé en tête des élections, les partis censés former sa coalition ont obtenu suffisamment de voix pour construire une majorité parlementaire d’au moins 61 mandats sur les 120 députés que compte la Knesset.

Avec 35 sièges, le Likoud a les cartes en mains pour former la prochaine coalition gouvernementale. Il faudra encore attendre quelques jours, voire quelques semaines, pour connaître les intentions de Netanyahou. Deux scénarios semblent probables : une nouvelle coalition d’extrême droite ou un gouvernement d’union nationale par le biais d’une alliance avec ses rivaux centristes.

Poursuivi par la justice israélienne pour de nombreux scandales politico-financiers, Netanyahou jouait dans cette élection sa dernière carte pour espérer échapper aux charges qui l’inculpent. Pour y parvenir, il n’a pas hésité à faciliter la constitution d’une Union des partis de droite comprenant notamment des kahanistes, un mouvement politique qui avait été interdit en Israël en 1988 pour les propos racistes de ses membres et leurs appels à la haine.

Le pari est réussi puisque cette liste entre à la Knesset avec 5 députés. Ce qui n’est pas le cas des principaux représentants du nationalisme religieux et ex-ministres Naftali Bennet et Ayalet Shaked, dont la nouvelle formation politique dite de « Nouvelle droite » ne dépasserait pas le seuil électoral. À l’extrême droite, Netanyahou pourra cependant compter sur le parti d’Avigdor Lieberman, qui obtient 5 mandats.

Quiconque a pu assister au discours de l’ex-général Gantz à la conférence annuelle de l’AIPAC, lobby pro-israélien, à Washington, comprendra que ses positions, notamment sécuritaires, sont bel et bien compatibles avec le Likoud.

Toutefois, la liste Gantz-Lapid, en se présentant comme un barrage à Netanyahou et ses alliés d’extrême droite, trahirait ses promesses de campagne en entrant dans un gouvernement dirigé par le Premier ministre sortant.

Un nouveau bipartisme ?

Déjà, certains analystes voient dans ce résultat une « volonté de changement », du moins la possibilité d’entrevoir en Israël une alternative au Likoud. La principale force d’opposition, abusivement nommée de « gauche » par Netanyahou, rassemblait une coalition hétéroclite dont le maître mot semblait être « Tout sauf lui ».

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Benny Gantz, ancien chef d’État-major de l’armée et principal concurrent de Benjamin Netanyahou (Reuters)

Les deux principales figures de cette liste, nommée « Bleu Blanc », étaient le centriste libéral Yaïr Lapid, connu pour ses bravades contre les ultra-orthodoxes, et l’ancien général Benny Gantz, capable à la fois de promettre aux Israéliens de parvenir à un accord historique avec les Palestiniens, tout en se vantant d’être à l’origine de l’opération « Bordure protectrice » contre la bande de Gaza en 2014, qui fit plus de 2 000 victimes palestiniennes.

Ces deux leaders symbolisent par ailleurs l’évolution nette du champ politique israélien sur la question palestinienne : le soutien à une politique de séparation, le refus d’appliquer le droit international et le non-respect des résolutions de l’ONU. En clair, aucun État palestinien à côté d’Israël. Ce dernier point pourrait mettre d’accord près d’une centaine de députés.

Surtout, en se présentant comme les « opposants » les plus crédibles à Netanyahou, la liste Gantz-Lapid a pillé l’électorat de la gauche sioniste, qui risque de ne pas s’en remettre. Elle a obtenu 35 sièges, quand les travaillistes n’en ont que 6, soit le score le plus faible de l’histoire du parti central de la gauche sioniste.

La fin du sionisme de gauche ?

En additionnant leurs mandats, les deux partis de gauche sioniste, travaillistes et Meretz, n’obtiennent que 10 députés, soit presque trois fois moins qu’en 2015.

Les militants travaillistes avaient pourtant essayé de donner une nouvelle image à leur organisation pour contrebalancer celle de l’actuel leader Avi Gabbay, un homme d’affaires défenseur du libéralisme économique.

Lors des primaires du parti, tenues le 11 février dernier, ils avaient placé en tête de leur choix des candidats issus de l’aile gauche du parti pour les représenter aux élections. Parmi eux, Itzik Shmuli et Stav Shaffir, deux trentenaires qui se sont fait connaître lors de la contestation sociale de 2011-2012. Shmuli a également été le secrétaire général du principal syndicat étudiant, l’Union nationale des étudiants israéliens.

Force est de constater que cette liste, menée par Gabbay, a fait un flop. Gabbay avait pourtant dragué l’électorat religieux et pro-colonisation en affirmant que les colonies israéliennes représentaient le « beau visage du sionisme » et que les errements de la gauche étaient dus au fait que ses militants avaient oublié ce qu’être juif signifie. Peut-être a-t-il, quant à lui, oublié ce qu’être de gauche signifie. L’a-t-il jamais su ?

Fake news et coup de poker

En 2015, Netanyahou était annoncé perdant à quelques jours du scrutin. Il avait réussi un coup de poker en accusant l’union de centre gauche menée par les travaillistes d’avoir passé un accord secret avec les partis arabes pour gouverner ensemble. Il fit encore plus fort en annonçant, le jour du scrutin, que des électeurs arabes étaient transportés « en masse » aux bureaux de vote.

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Partisans de la liste Bleu Blanc dirigée par le centriste libéral Yaïr Lapid et l’ancien général Benny Gantz (Reuters)

Sans faire reposer sa victoire sur de tels mensonges cette fois-ci, il n’en demeure pas moins qu’il parvint à garder les clés du pouvoir entre ses mains.

Pour cette élection, le scénario a d’ailleurs été sensiblement identique. Annoncé derrière la liste Gantz-Lapid, le leader du Likoud a commencé par réitérer ses accusations sur une alliance de ses adversaires avec les partis arabes. Surtout, à quelques jours du scrutin, il a annoncé son soutien à la poursuite de l’annexion de la Cisjordanie.

Cet instant a été le seul qui a permis, sous un angle très colonial, d’évoquer la question palestinienne. Celle-ci était demeurée absente des scrutins de 2013 et 2015, fruit de la disparition du Palestinien dans l’espace public israélien depuis la fin de la seconde intifada.

La division du camp « non sioniste »

Si les partis arabes demeurent des épouvantails agités par la droite nationaliste pour s’assurer qu’aucune voix ne manque dans leur camp, la participation des Palestiniens d’Israël à ce scrutin connaît une significative baisse.

Assurément, la présence de militants du Likoud avec des caméras aux bureaux de vote des villes arabes – soi-disant pour éviter que les Palestiniens d’Israël ne gonflent leurs scores – n’a pas favorisé la mobilisation de cet électorat.

Plus encore, le camp politique palestinien, ainsi que la coalition judéo-arabe Hadash-Taal, paie dans les urnes ses divisions.

Rassemblés en 2015 au sein d’une Liste unie, ces organisations ont présenté cette fois-ci deux listes concurrentes. L’incapacité des 13 députés à réellement peser sur les décisions de la Knesset, alors qu’ils représentaient la troisième force politique de l’assemblée, a alimenté les tensions entre eux.

Néanmoins, pour la première fois dans l’histoire d’Israël, la gauche non sioniste (Hadash-Taal-Balad) obtient autant de mandats que la gauche sioniste (travaillistes et Meretz).

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Une femme druze vote à Daliyat al-Karmel, dans le nord d’Israël (AFP)

Schématiquement, une première tendance rassemblée autour du communiste Ayman Odeh ouvre la possibilité d’une alliance avec la gauche sioniste, qui a obtenu 6 députés, voire l’entrée dans un gouvernement opposé à la politique de Netanyahou, mais sous certaines conditions, notamment la relance des négociations avec les Palestiniens et l’abrogation de la loi sur l’État-nation du peuple juif.

L’autre tendance, représentée notamment par le parti nationaliste arabe Balad, considère l’antisionisme comme la clé de voûte de toute alliance. Cette liste a bien failli ne pas être représentée à la Knesset, dépassant de peu le seuil électoral de 3,25 %. Elle s’assure finalement quatre mandats.

Si aujourd’hui, encore plus qu’hier, de nombreux militants issus de la gauche non sioniste appellent au boycott des élections, c’est avant tout pour renforcer d’autres types d’engagement politique. Car comme l’affirme Hagai El-Ad, directeur de l’ONG israélienne B’tselem, « Quels que soient les résultats des élections, l’occupation sera toujours là demain ».