Fautes politiques et morales

Politis

Par Denis Sieffert. Publié le 19 juillet 2017 dans Politis.

Il n’a pas suffi à Emmanuel Macron de convier M. Netanyahou à une cérémonie où celui-ci n’avait rien à faire, il lui a grossièrement emprunté sa propagande.

On aurait dû pouvoir applaudir au propos d’Emmanuel Macron, dimanche, lors de la commémoration de la rafle du Vél d’Hiv. Oui, c’est bien la France qui organisa l’arrestation de treize mille juifs, les 16 et 17 juillet 1942. Oui, c’est la France qui les a envoyés dans les camps de la mort. Et ce sont bien des policiers et des gendarmes français, sous les ordres du secrétaire général de la police, René Bousquet, qui ont accompli cet impensable qu’il ne faut cesser de questionner. Face à cette réalité, le byzantinisme mitterrandien et la mythologie gaullienne ne tiennent plus, et, à vrai dire, n’auraient jamais dû tenir. Vichy et Pétain, ça n’était peut-être plus la « République », mais c’était bien l’État d’un pays rongé depuis longtemps déjà par le poison de l’antisémitisme. Les fameuses années 1930, hormis la lumineuse parenthèse du Front populaire, n’ont pas usurpé leur sombre réputation.

Emmanuel Macron a donc bien fait de s’inscrire dans les pas de Jacques Chirac, qui, en 1995, avait su, le premier, parler le langage de la vérité. Malheureusement, l’actuel président de la République n’a pas résisté à la tentation de l’exploitation politique. En invitant à cette cérémonie le Premier ministre israélien, il a commis une faute morale. Plus grave encore, il est allé à l’encontre des intentions qu’il avait lui-même affichées. À savoir combattre l’antisémitisme d’aujourd’hui, bien réel, hélas. Car, à quoi sert une telle commémoration ? D’abord, à entretenir le souvenir, bien sûr. À regarder pendant quelques minutes, en face, ce passé hideux qui appartient pleinement à notre histoire. À le penser, religieusement ou philosophiquement.

Ce qui est en soi une motivation suffisante. Mais elle doit servir aussi à combattre toutes les résurgences d’antisémitisme dans la France d’aujourd’hui. On aimerait pouvoir dire « toutes les formes de racisme », anti-Roms, anti-musulmans, anti-Noirs, pour ne citer que celles qui sont les plus actives dans notre société. Cela, sans contester, bien sûr, la singularité de la Shoah. Mais c’est difficile en présence d’un homme qui inflige aux Arabes de Palestine et d’Israël un traitement discriminatoire proche du régime d’apartheid. On ne peut pas commémorer la Shoah avec n’importe qui. M. Netanyahou, n’est pas grand rabbin de France ou d’Israël. Il n’est pas le représentant des juifs de France ou d’ailleurs. Il est un chef de gouvernement cynique qui mène une politique de colonisation sordide en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, et qui tue la population de Gaza par une asphyxie économique et sanitaire savamment organisée.

Une partie de l’antisémitisme qui existe dans nos banlieues naît précisément de la confusion entre la politique israélienne et la judéité. Dimanche, M. Macron a entretenu cette mortelle confusion. Et il ne lui a pas suffi de convier M. Netanyahou à une cérémonie où celui-ci n’avait rien à faire, il lui a grossièrement emprunté son discours et sa propagande, confondant antisémitisme et antisionisme, et versant pêle-mêle dans le grand fourre-tout idéologique du terrorisme les Palestiniens et Daech. Ce fourre-tout où Poutine, Bachar Al-Assad, Erdogan, Netanyahou, le roi Salmane d’Arabie saoudite, le maréchal Sissi, Donald Trump, Nicolás Maduro jettent leurs opposants.

Daech est devenu un médiateur international de première utilité. Un facilitateur de contacts avec les autocrates les moins recommandables. Et Emmanuel Macron n’est pas le dernier à en faire un usage surabondant. Sa pensée pourtant ne manque pas de sophistications. Il dit avoir argumenté auprès de Donald Trump pour que celui-ci revienne dans l’accord sur le climat en faisant valoir le lien entre réchauffement climatique et terrorisme. C’est tout à fait bien vu. Il devrait donc être capable d’expliquer à M. Netanyahou le lien qui existe entre colonisation et « terrorisme » (qu’on l’appelle ainsi ou « résistance » ou « révolte »), et inverser dans son discours l’ordre des priorités. Non, la colonisation n’est pas seulement un inconvénient qui « nuit à la confiance » entre Palestiniens et Israéliens. Elle est la cause même du conflit, et elle rend impossible cette solution à deux États qu’Emmanuel Macron fait mine de souhaiter.

L’hypocrisie est certes une composante nécessaire de la diplomatie. Mais il y a des limites. Comme il y a des limites à la diplomatie de la tape dans le dos. Voilà que nous avons un président de la République « tactile », familier avec Vladimir Poutine, affectueux avec Donald Trump. Quant à la longue étreinte avec Benyamin Netanyahou, elle n’était pas seulement ridicule, elle était une blessure infligée aux peuples que celui-ci fait souffrir. En a-t-il conscience ? On le dit personnaliste. L’est-il au point de croire que des relations personnelles surjouées peuvent résoudre les problèmes du monde ? Poutine, Trump et Netanyahou ne sont pas précisément des « hommes de bonne volonté » sortis de l’œuvre de Jules Romains. Faire semblant d’y croire peut très vite avoir un coût politique. Le théâtre des fausses amitiés grise sans doute le jeune intrus. Mais il humilie aussi les victimes de ceux qu’il flatte. Et ce n’est pas bon pour notre pays.

Denis Sieffert