ORIENT XXI > MAGAZINE > HISTOIRE > JULIEN LACASSAGNE > 31 MAI 2018
Le 23 avril dernier, Le Parisien publiait un « Appel des 300 contre le nouvel antisémitisme » suggérant que l’antisémitisme imprègne la tradition musulmane. C’est oublier que l’expansion de l’islam joua un rôle dans la construction du judaïsme.
Lettre à une juive de Paris
Madame, bonjour,
En passant par l’écrit j’espère nous permettre de dépasser votre « colère » (selon votre mot) qui, suite à la vue de mon sac sérigraphié « Boycott Israël Apartheid – Justice en Palestine », est allée jusqu’à vous rendre « folle » (votre mot) en découvrant que ma compagne juive et israélienne pense la même chose que moi de la politique coloniale, meurtrière et illégale israélienne. Dépasser votre colère pour nous permettre d’échanger autrement que sous le coup de votre émotion, de manière un tant soit peu distanciée.
Tandis que leur bus roulait vers la ville palestinienne de Hebron, les militants juifs américains se mirent à chanter « Olam Khessed Yibaneh », un chant hébreu sur la construction d’un monde de miséricorde. Plus loin, arrêtés par la police israélienne, ils entonnèrent « Lo Yisa Goy » le chant hébreu bien connu des camps d’été qui annonce que « une nation ne devrait pas lever l’épée contre une autre nation ».
Monsieur le Grand Rabbin, Monsieur le Maire, ma très chère famille, ma chère Ursule,
Faire l’hommage de son père est toujours un exercice difficile. Faire celui du Grand Rabbin Warschawski quasiment impossible. Impossible, car il était tout à la fois un érudit, un maître adulé par ses centaines d’élèves, un homme engagé dans la société française, le chef de la tribu des Warschawski, et, plus que tout, un rabbin.
C’est un refrain bien établi. Vous critiquez Israël et le sionisme ? Vous êtes antisémite ! Un Juif français veut pouvoir « vivre son judaïsme » ? On l’invite à faire son « alyah » et à apporter sa pierre à la colonisation de la Palestine.
On essaie de nous marteler que l’histoire des Juifs s’est achevée et qu’Israël en est l’aboutissement. Israël fonctionne comme un effaceur de l’histoire, de la mémoire, des langues, des traditions et des identités juives. La politique israélienne n’est pas seulement criminelle contre le peuple palestinien. Elle se prétend l’héritière de l’histoire juive alors qu’elle la travestit et la trahit. Elle met sciemment en danger les Juifs, où qu’ils se trouvent. Et elle les transforme en robots sommés de justifier l’injustifiable
Nous avons ces derniers jours vécu les mêmes bouleversements à répétition que tous nos concitoyens. Comme Juifs nous avons été profondément atteints par l’horrible attentat perpétré contre des Juifs parce que Juifs. Cela ne peut que faire résonner pour nous les pires heures de l’histoire du judaïsme français. Tout ce que nous croyons comme militants, citoyens, êtres humains, tout ce pour quoi nous luttons, la valeur de la vie, de l’égalité entre les hommes, le ta’ayush (le vivre ensemble), s’est vu bafoué ici dans la rédaction d’un journal, puis dans ce magasin cacher. Nous sommes convaincus que la liberté d’expression est une valeur fondamentale de toute société démocratique et qu’elle doit être défendue à tout prix contre la violence obscurantiste.
Le judaïsme est-il révolutionnaire ou contre-révolutionnaire ? La question n’a sans doute guère de sens, tant qu’on ne précise pas quel judaïsme et quelle révolution. Mais de fait, depuis une trentaine d’années, la référence au judaïsme nourrit un fort courant idéologique visant à disqualifier la pensée révolutionnaire, qu’on l’entende au sens d’une « radicalité de gauche », d’un progressisme ou d’une politique d’émancipation.
Je n’ai jamais pris la plume publiquement pour défendre des valeurs ou des clients. Ma tradition, professionnelle et confessionnelle, est avant tout orale. J’ai pourtant éprouvé la nécessité de transmettre ces quelques reflexions qui me taraudent depuis mardi, depuis cette audience qui s’est tenue devant le Tribunal de Grande Instance de Pontoise, au cours de laquelle j’ai choisi de défendre deux jeunes hommes que beaucoup ont voulu assimiler aux violences à caractère antisémite qui se sont déroulées dimanche dernier à Sarcelles. Depuis ce jour, nombreux sont ceux, proches, connaissances ou personnes se revendiquant de la communauté juive qui m’ont exprimé leur incompréhension voire leur dégout. A cela s’ajoutait la défense que j’avais également choisi d’assurer d’un jeune homme à qui l’on reprochait de s’être rendu en Afghanistan à des fins « Jihadistes ».
Yakov Rabkin a choisi un titre plus « soft » pour son dernier livre : Comprendre l’État d’Israël. Idéologie, religion, société.
Mais le fond du propos est bien celui-ci. Beaucoup de juifs qui ont émigré vers l’Israël pensent que c’est le seul moyen de vivre leur judaïsme. Yakov est un juif religieux auteur d’un précédent ouvrage : Au nom de la Torah, une histoire de l’opposition juive au sionisme (2004). Lors de ma première conférence publique en 2002 sur la guerre israélo-palestinienne, j’avais eu cette intuition : « pour construire l’Israélien nouveau, il a fallu tuer le juif ». Un juif athée et un juif religieux arrivent à peu près à la même conclusion : la société israélienne a éradiqué l’histoire, la mémoire, les identités, les langues, les traditions et les valeurs du judaïsme. Quelque part cette société qui a dérivé vers le colonialisme et l’apartheid est tout sauf fidèle à la continuité juive. L’universitaire israélien Amnon Raz-Krakotzkin a bien saisi le paradoxe du sionisme fondé par des juifs athées ou agnostiques : « Dieu n’existe pas et il nous a promis cette terre ».
C’est pourquoi son compatriote Shlomo Sand dans son commentaire sur ce livre dit : « Celui qui voit dans le sionisme une continuation du judaïsme ferait bien de lire ce livre. Mais celui qui croit que l’État d’Israël est un État juif est obligé de le lire ».