L’État d’Israël et ceux qui le soutiennent inconditionnellement prétendent aujourd’hui définir ce qu’est l’antisémitisme et décréter qui est antisémite. Ils s’emparent de la mémoire de l’antisémitisme et du génocide nazi.
Et pourtant, antisémitisme et sionisme n’ont jamais été incompatibles.
Les Chrétiens sionistes
Quand apparaît le protestantisme, la Bible est traduite dans les différentes langues européennes. Ses épisodes et ses personnages entrent dans la vie quotidienne des fidèles. C’est surtout dans les églises évangéliques que va naître une nouvelle théologie. Ceux qui émigrent dans les colonies dites « de peuplement » (Amérique du Nord, Australie, Afrique du Sud …) auront souvent l’impression de revivre la conquête de Canaan dans leur lutte contre les peuples indigènes.
Dans leur interprétation, Dieu a fait don de la terre d’Israël et de Jérusalem au peuple juif. Les Chrétiens sionistes veulent « restaurer » les Juifs en Terre Sainte et les convertir. Cette conversion est considérée comme un préalable au retour du Christ et à l’avènement de la fin des temps.
Ces Chrétiens sionistes n’aiment pas les Juifs réels, au contraire. Pour eux, les Juifs qui ne se convertiraient pas doivent disparaître.
Les Chrétiens sionistes vont jouer un grand rôle dans l’avènement et le développement du sionisme juif. Le sioniste chrétien William Hechler, à la fin du XIXe siècle, a été un ami d’Herzl et l’a inspiré.
Plus tard, les dirigeants britanniques Lloyd George et Balfour seront très influencés par les Chrétiens sionistes. Quand il est Premier ministre en 1905, Balfour défend une loi ouvertement antisémite qui vise directement les immigrés juifs venus d’Europe de l’Est. En 1917, il signe la fameuse déclaration Balfour qui « offre » la Palestine aux sionistes. Il n’y a aucune contradiction. Pour Balfour, les Juifs en Europe sont des parias asiatiques inassimilables semant la révolution à Londres. En partant en Terre Sainte, ils deviennent des colons européens en Asie pour les services de Sa Gracieuse Majesté.
Après la création de l’État d’Israël et surtout après le début de la colonisation de ce qu’ils appellent la Judée-Samarie en 1967, les Chrétiens sionistes, très influents aux Etats-Unis, vont se rapprocher de la droite israélienne. Ils joueront un rôle essentiel dans le financement de la colonisation.
Ont-ils changé dans leurs sentiments vis-à-vis des Juifs ?
Il suffit de lire dans le texte John Hagee et Robert Jeffress qui donnent la bénédiction religieuse chrétienne lors de l’inauguration de l’ambassade états-unienne à Jérusalem le 14 mai 2018.
Le Pasteur Hagee est le fondateur de Chrétiens Unis pour Israël. Cet homme a pourtant déclaré dans un sermon « qu’Hitler était en partie d’origine juive » et surtout « qu’il était l’instrument d’un dessein supérieur » dès lors que la Shoah avait poussé les Juifs à se rassembler en Israël.
Le prédicateur Jeffress a déclaré dans son émission de télévision Chemins vers la Victoire « qu’aucun Juif ne peut être sauvé ».
Les étranges rencontres de Theodor Herzl
Dans la pensée d’Herzl, l’antisémitisme est une donnée immuable, bien ancrée dans la société humaine et qui ne peut pas être résorbée par l’assimilation. Lui-même partageait avec les antisémites un mépris raciste contre les « Ostjuden », les Juifs d’Europe de l’Est qu’il traite de « youpins » dans son journal Die Welt.
Il était logique que le projet d’Herzl de faire partir les Juifs d’Europe rencontre un écho favorable parmi les antisémites européens.
Quand il est mis au courant du congrès de Bâle par son ambassadeur, l’empereur allemand Guillaume II griffonnera ces mots : « Laissez les youpins aller en Palestine, le plus tôt sera le mieux. Je ne suis pas pour qu’on leur mette des bâtons dans les roues ». Herzl rencontrera l’empereur à deux reprises.
« Père » de l’antisémitisme français, Édouard Drumont a lu, dès sa parution en 1896, l’ouvrage d’Herzl « L’État des Juifs ». Dans son commentaire, il écrit que ce qu’il a lu confirme ce qu’il a toujours dit : « les Juifs constituent une race ». Sur l’idée qu’un Juif puisse proposer à ses coreligionnaires de quitter la France comme solution de la question juive, il écrit dans La Libre Parole (30 août 1897) que « les Juifs font leur bonheur en faisant le nôtre ».
Parmi les événements qui ont marqué Herzl, il y a le pogrom de Kichinev (aujourd’hui capitale de la Moldavie) en avril 1903. L’organisateur des pogroms qui ensanglantent l’empire tsariste est le ministre de l’intérieur Vyacheslav Plehve. Cet antisémite veut enrayer la montée des idées révolutionnaires en détournant la colère populaire contre les Juifs. Herzl rencontre Plehve le 8 août 1903 à Saint-Pétersbourg. Ce dernier s’engage à s’entremettre auprès du sultan ottoman et à autoriser l’émigration juive de Russie. Les deux hommes ont un but commun : qu’un maximum de Juifs quittent la Russie.
Le fascisme italien
Le sionisme a connu des scissions et, dans les années 1920, apparaît le courant qui s’est lui-même intitulé « révisionniste ». Minoritaires à l’intérieur du sionisme jusqu’en 1977, les révisionnistes sont aujourd’hui largement hégémoniques. Le fondateur de ce courant, Vladimir Jabotinsky a toujours été attiré par les régimes autoritaires. Et le père de Nétanyahou a été secrétaire de Jabotinsky.
Pendant la révolution russe, Jabotinsky soutient le dirigeant contre-révolutionnaire ukrainien Petlioura. Les troupes de celui-ci ont pourtant commis des massacres systématiques contre les Juifs. On évalue à 60 000 morts le bilan de ces massacres.
Quand Mussolini prend le pouvoir en Italie, Jabotinsky trouve un allié. Les premiers contacts entre les révisionnistes et le régime fasciste datent de 1932. Entre 1934 et 1938, en pleine période fasciste, des centaines de jeunes Juifs du Betar, arrivant d’Europe de l’Est, suivent des cours à l’École Maritime de Civitavecchia. C’est dans cette ville que les révisionnistes installent leur radio. Mussolini s’est montré enthousiaste et s’est livré à Nahum Goldman, fondateur du Congrès Juif Mondial, en 1934 : « pour que le sionisme gagne, vous avez besoin d’un État juif, d’un drapeau juif et d’une langue juive. La personne qui comprend cela, c’est votre fasciste, Jabotinsky. » Le même Mussolini s’alliera au nazisme en 1936 et finira par promulguer et appliquer des lois anti-juives.
Alors que la deuxième guerre mondiale a éclaté, un des groupes terroristes révisionnistes, le Lehi, alors dirigé par Avraham Stern, croira signer le 18 septembre 1940 un accord avec l’Italie fasciste : l’Italie reconnaîtrait un « gouvernement provisoire hébreu » et celui-ci accorderait une base militaire à la flotte militaire italienne. L’accord échouera parce qu’un des intermédiaires était un agent britannique.
Avec le nazisme : ambiguïté ou connivence ?
La décision des nazis d’exterminer tous les Juifs date probablement de 1940, avec la préparation de l’attaque contre l’Union Soviétique. Jusque-là, les Juifs étaient brutalisés, parfois tués, mais surtout expulsés. En août 1933, l’Agence Juive signe avec les autorités nazies les accords de Haavara (= transfert en hébreu). L’accord permet aux Juifs allemands fortunés d’émigrer en Palestine en conservant une partie de leur patrimoine. 50 000 personnes environ émigreront dans le cadre de cet accord. Il y a une contrepartie : de fait, le boycott lancé par de nombreux Juifs contre l’Allemagne perd son efficacité. En brisant le boycott individuel, on brisait toute perspective de boycott d’État. L’Allemagne a eu accès au marché du pétrole et de l’acier sans limites, ce qui a facilité son réarmement. De plus, un mécanisme financier complexe a fait que la Palestine mandataire a été inondée de produits allemands.
En signant cet accord, les nazis signifiaient qu’ils préféraient envoyer les Juifs en Palestine plutôt que vers les pays occidentaux. Et les sionistes montraient qu’ils privilégiaient totalement la construction de leur futur État par rapport à la lutte contre le nazisme.
En 1937, quelques années avant de devenir un assassin de masse, Eichmann reçoit à Berlin un représentant de la Haganah, Feivel Polkes. Eichmann veut visiter la Palestine mandataire pour superviser l’application de l’accord de Haavara. Les autorités britanniques ne lui permettront que 24 h de séjour à Haïfa.
Dans son livre « Comment le terrorisme a créé Israël », Thomas Suarez qui a eu accès aux archives de la Haganah, de l’Irgoun, du Lehi, de l’armée britannique et des journaux de l’époque, montre que tous les groupes armés sionistes de l’époque ont continué à tuer des soldats britanniques, même quand la deuxième guerre mondiale battait son plein. Le Lehi ira plus loin. Il écrira dans un tract que le sort des Juifs du ghetto de Varsovie est plus enviable que celui des Juifs en Palestine sous mandat britannique, il enverra sans succès des émissaires prendre contact avec les Allemands. Et il assassinera en novembre 1944 au Caire Lord Moyne, haut représentant britannique en Égypte.
En mai 1942, la conférence de Biltmore (États-Unis) réunit 600 délégués sionistes. On aurait pu croire qu’elle allait concentrer tous ses efforts pour combattre le nazisme. Eh bien non ! La résolution finale condamne la décision britannique de 1939 de limiter l’immigration juive en Palestine et elle appelle à l’établissement d’un État juif sur l’ensemble de la Palestine.
Nous laissons au lecteur le soin de décider si les faits décrits ci-dessus font ou non de leurs auteurs des « collabos ». Ce qui est sûr, c’est que, même dans les pires moments, quand l’extermination anéantissait le judaïsme dans l’Europe occupée, la préoccupation principale des dirigeants sionistes n’était pas la lutte antinazie.
Après la création de l’État d’Israël, Ben Gourion entamera des négociations avec l’Allemagne fédérale qui aboutiront à l’indemnisation des victimes juives du nazisme. Le négociateur allemand, devenu principal conseiller d’Adenauer était Hans Globke, un des principaux auteurs, quelques années plus tôt, des lois raciales de Nuremberg.
L’extrême droite pro israélienne
L’État d’Israël a entretenu ou continue d’entretenir des liens étroits avec des régimes ou des mouvements d’extrême droite, très souvent antisémites ou issus idéologiquement de l’antisémitisme.
L’Afrique du Sud à l’époque de l’apartheid a eu d’excellentes relations politiques et économiques avec Israël. Certains des dirigeants de ce régime, comme John Vorster étaient pourtant d’anciens soutiens du nazisme.
En Argentine, les dirigeants de la junte militaire responsable de la disparition de 30 000 personnes, étaient clairement antisémites. Pourtant la junte a été soutenue militairement par Israël. Jacobo Timmerman, argentin d’origine juive, à la tête du journal La Opinion et qui a été séquestré pendant plusieurs années par les tortionnaires, a dénoncé cette collusion. Un grand nombre des victimes de la junte étaient juives.
Plus récemment, le président brésilien Bolsonaro a déclaré en visitant le mémorial Yad Vashem de Jérusalem en avril 2019 : « le nazisme est une idéologie de gauche, il n’y a pas de doute là-dessus, non ? ». On est ahuri qu’une déclaration aussi clairement révisionniste ait été accueillie avec le sourire par ses hôtes.
En Europe occidentale, les premiers rapprochements entre sionistes et extrême droite ont lieu dès la guerre d’Algérie. On retrouve plus tard Claude Goasguen, un ancien du mouvement Ordre Nouveau, à la tête du groupe parlementaire d’amitié France-Israël.
En 2010, plusieurs dirigeants de l’extrême droite européenne visitent Israël, à l’invitation, notamment d’Avigdor Liberman. Parmi eux, l’Autrichien Strache dont le parti, le FPÖ regroupe tous les nostalgiques du nazisme. On y trouve aussi le Néerlandais Wilders qui propose d’interdire le Coran aux Pays-Bas (pour lui, l’islamophobie remplace l’antisémitisme), le Flamand Dewinter qui réclame l’amnistie des Flamands qui ont collaboré pendant l’occupation ou l’Allemand Brinkman, un ancien du parti néonazi NPD.
En Hongrie, Viktor Orban a entrepris la réhabilitation du régime de l’Amiral Horthy, celui qui a participé avec Eichmann à l’extermination des Juifs hongrois. Lors d’une campagne électorale, Orban a tenu des propos violents, sur fond d’antisémitisme à peine masqué, contre le milliardaire états-unien d’origine juive hongroise Georges Soros. Netanyahou a été le premier à féliciter Orban de sa réélection. Il a fait une visite officielle en Hongrie et a qualifié Soros d’ennemi d’Israël.
Dans les Pays Baltes ou en Ukraine, les partis qui se réclament de ceux qui ont participé à l’extermination des Juifs ont été réhabilités, ce qui n’empêche pas les gouvernements de ces pays de défendre inconditionnellement la politique israélienne.
Aux États-Unis, Steve Bannon a accompagné Trump dans sa marche vers le pouvoir et il a été pendant quelques temps son principal conseiller. Bannon a dirigé le site Breitbar News qui donne régulièrement la parole à tout ce que le pays compte de suprématistes et de néonazis. Pourtant la ZOA (Organisation sioniste américaine) a salué la promotion de Bannon qui est un défenseur inconditionnel d’Israël.
Trump lui-même a déclaré « aux électeurs juifs » (décembre 2019) :.« Je vous connais très bien. Vous êtes des tueurs brutaux. Vous n’êtes pas vraiment des personnes gentilles. Vous n’avez pas d’autre choix. Je peux vous dire que vous n’allez pas voter Pocahontas (Elizabeth Warren). Vous n’allez pas voter en faveur de l’impôt sur la fortune. Même si vous ne m’aimez pas et c’est ce qui est le cas d’ailleurs pour certains d’entre vous. En effet, je n’aime pas aussi certains d’entre vous. Mais vous serez quand même mes plus grands soutiens car s’ils remportent les élections, vous vous retrouverez sans emploi en 15 minutes. »
Gideon Lévy, journaliste anticolonialiste israélien a écrit dans le journal Haaretz le 20 novembre 2016 un article intitulé « nos amis antisémites » : « Tout à coup, il n’est plus si horrible d’être antisémite. Soudain, il est devenu excusable de haïr les musulmans et les Arabes à condition « d’aimer Israël ». Les droites juive et israélienne ont décrété une large amnistie aux amants antisémites d’Israël. Et ce sont ces derniers qui vont bientôt exercer le pouvoir à Washington. »