Jeudi 8 avril 2021
Le président français bafoue les droits des communautés minoritaires, alimentant l’islamophobie dans une manœuvre électoraliste
Il semble que le gouvernement français n’ait plus de limites. Qu’il s’agisse des droits humains ou des libertés fondamentales, il ne s’embarrasse même plus de sauvegarder les apparences d’un pays démocratique, respectueux de l’État de droit.
Dans une campagne sans précédent visant indistinctement les communautés musulmanes, les défenseurs des droits humains et les groupes progressistes, le gouvernement a franchi toutes les lignes rouges possibles, préparant (de moins en moins discrètement) les prochaines élections présidentielles… comme Pyrrhus préparerait la guerre.
Recul des libertés et criminalisation des associations
Le président Emmanuel Macron et ses équipes détruisent et aliènent, l’un après l’autre, tous les groupes, tous les interlocuteurs et toutes les organisations qui, de près ou de loin, ont un intérêt sur les questions de libertés fondamentales, de vivre ensemble, de diversité et/ou de progrès.
Quand des organisations de défense des droits humains comme le Comité contre l’islamophobie en France (CCIF) ont exprimé des critiques à propos du racisme et des discriminations en France, elles ont été dissoutes sans le moindre motif juridique valable.
Quand des experts internationaux expriment leur préoccupation quant à la situation en France, leurs commentaires sont balayés d’un revers de la main, lorsqu’ils ne sont pas eux-mêmes individuellement visés par des campagnes de groupuscules se présentant comme néo-républicains.
Quand des correspondants de la presse étrangère ou des journalistes internationaux montrent la réalité de ce qui se passe en France s’agissant du traitement des minorités (comme les migrants, les réfugiés, les Rroms, les musulmans, etc.), c’est M. Macron lui-même qui décroche son téléphone pour leur expliquer à quel point ils se trompent. Dans d’autres cas, les articles sont tout simplement retirés, après une campagne de pressions en coulisses.
Quand des universitaires français étudient le racisme et les discriminations structurelles, ou lorsqu’ils dédient leurs efforts de recherche aux questions coloniales ou à l’intersectionnalité, ils sont aussitôt qualifiés « d’islamogauchistes ».
Quand une association d’étudiants ose organiser des groupes de parole pour les personnes qui vivent des situations de discrimination, ceux-ci sont accusés de « racisme anti-blancs » et stigmatisés pendant des semaines dans des médias à forte audience, tandis que le Sénat vote un amendement afin de pouvoir les dissoudre.
Les moyens de l’État au service d’une idéologie
Et donc, quand j’ai personnellement osé mettre en évidence la complaisance des autorités face aux groupes d’extrême droite qui sont en plein essor, préparent des attentats sur le sol français et infiltrent l’armée par le biais de groupuscules néo-nazis, il n’a pas fallu attendre longtemps pour qu’un compte twitter gouvernemental me cible nommément sur les réseaux sociaux pour me déstabiliser, déclenchant des centaines de messages d’insultes et de menaces à mon encontre.
Dans une série de tweets insensés, dignes d’un régime autoritaire, le compte en question, chargé de « lutter contre les mouvements radicaux », poursuit dans le déni, en expliquant qu’il n’y a pas d’islamophobie en France. « La France lutte contre le racisme », ajoute-t-il, tandis que quiconque dit autre chose est instantanément accusé de propager des « fake news ».La liberté d’expression en France doit également s’étendre aux détracteurs de MacronLire
Derrière ce compte anonyme pourtant frappé du sceau officiel, se trouve une équipe chargée désormais de diffuser la propagande gouvernementale s’agissant du traitement inique des musulmans en France, dirigée par un certain Christian Gravel. Ce dernier s’était rendu célèbre à la suite d’une vidéo infâme, dans laquelle on le voyait aux côtés de l’ancien Premier ministre Manuel Valls à Evry. Ce dernier, visiblement déçu par les gens qu’il croisait dans cette banlieue parisienne, demandait de lui « met[tre] plus de white, de blancos ».
Dès lors, il apparaît que les nouvelles convictions « anti-racistes » de M. Gravel proviennent de son expérience personnelle. En tant qu’homme blanc membre de l’establishment, sans la moindre légitimité ni qualification en matière de droits humains, il se peut que les piteux résultats électoraux de son mentor lui aient donné le sentiment de faire partie d’une minorité honnie. Depuis, M. Valls flirte avec l’extrême droite catalane et rêve de « jouer un rôle » dans la prochaine campagne présidentielle.
Ce fiasco institutionnel n’est pas le premier et, hélas, ne sera pas le dernier. Plutôt que de lutter contre le racisme, les discriminations structurelles et l’essor de l’extrême droite, les autorités françaises préfèrent concentrer leurs efforts à la stigmatisation des musulmans, à la criminalisation de ceux qui dénoncent leurs manquements, et se lancer dans une chasse aux sorcières contre toute personne osant dire la vérité au pouvoir en place.
Une charte de la honte
D’une part, le gouvernement se fait le chantre d’une universalisme français éclairé, se prétendant aveugle aux couleurs et aux appartenances. De l’autre, il planifie et met en œuvre une politique d’État qui vise spécifiquement les citoyens de confession musulmane en les désignant clairement. Ces derniers se voient sommés de démontrer leur loyauté à la République, sous peine d’être criminalisés.
Un récent exemple : le traitement de la mosquée Eyyûb Sultan à Strasbourg, un projet de près de 32 millions d’euros, administré par la Confédération islamique Millî Görüş (CIMG). Dans sa quête revendiquée de l’électorat d’extrême droite, le gouvernement a cherché à bloquer une subvention votée par la municipalité, en accusant la CIMG de soutenir un « islam politique » et en déclarant ses membres d’« ennemis de la République ».
Pourquoi ? Parce que l’organisation, comme l’immense majorité des mosquées et associations musulmanes, a refusé de signer sous la contrainte la « charte des valeurs républicaines » exigées par le gouvernement, en direction des seuls musulmans.
Ce texte inique, désormais la risée de l’opinion internationale, précise entre autres que l’islamophobie en France n’existe pas et considère que les crimes de haine et les discriminations qui visent les musulmans sont en fait des « actes isolés ».
Cette charte de la honte, sans précédent dans l’histoire de la Ve république, n’a pas la moindre base légale, puisque les autorités françaises n’ont pas à intervenir au sein des organisations religieuses en vertu du principe juridique de laïcité. Dès lors, il s’agit purement d’une demande politique, mise en place avec la menace de recours aux moyens coercitifs de l’État, contre toute structure qui refuserait ce diktat.
Ces attaques contre les libertés fondamentales de croyance, de religion et d’association ont été, à juste titre, identifiées par des associations de défense des droits humains, par les institutions de régulation, au niveau national, européen et international, mais le gouvernement s’affranchit totalement de ces mises en garde.
Ces mesures liberticides et destructives font en fait partie de son grand plan pour le contrôle des musulmans à tous les niveaux possibles et quel qu’en soit le prix, afin de capter le vote de l’extrême droite et des groupuscules néo-républicains.
Du « barrage républicain » à un candidat d’extrême droite
Néanmoins, on assiste à un changement de tactique : alors que les observateurs pensaient initialement que Macron se positionnerait comme une alternative à l’extrême droite, on voit par ses actes qu’il est en train d’en devenir le champion le plus présentable.Islamophobie, le variant françaisLire
Sa proposition politique s’agissant des minorités est simple : offrir le racisme sans la culpabilité. Elle se formule comme suit : au lieu de lutter réellement contre le racisme, dissolvons les associations antiracistes les plus en pointe. Au lieu de documenter et d’objectiver les inégalités raciales et ethniques pour mieux les juguler, portons atteinte à la liberté académique et coupons les fonds de recherche dédiés à ces sujets.
Au lieu de lutter contre les discriminations structurelles, mieux vaut les valider institutionnellement, tout en se couvrant de toute accusation, par le biais de mesures aussi insignifiantes que purement symboliques : qu’il s’agisse de nommer quelques rues d’après des « figures de la diversité » ou de poser avec des youtubeurs célèbres en espérant se rendre attractif auprès des jeunes…
Puis, espérer que la mémoire des électeurs sera suffisamment courte pour faire oublier cinq ans de régression sur tous les plans, grâce à une opération de communication superficielle.
Espérons que notre mémoire collective sera plus longue que cela.
– Marwan Muhammad est un auteur et statisticien français d’origine égyptienne. Après une carrière dans la finance, il a consacré ses douze dernières années à la lutte contre l’islamophobie. Il fut le porte-parole puis le directeur du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), la plus importante ONG de défense des droits de l’homme en France dédiée aux musulmans, avant de devenir diplomate pour l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), où il a soutenu les communautés musulmanes à travers toute l’Europe, l’Asie centrale et l’Amérique du Nord. En 2018, il a mené le premier sondage auprès des musulmans de France (auquel ont participé 27 000 personnes), avant de fonder la plate-forme L.E.S Musulmans, organisation-cadre rassemblant des centaines de mosquées et d’organisations islamiques à travers la France, avec plus de 75 000 soutiens. Il travaille désormais en tant que consultant en matière de droits de l’homme pour des organisations internationales.