Bandits

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L’explosion du port de Beyrouth est le symbole de la rupture entre les élites du pouvoir et le peuple

Il ne s’agit ni d’un séisme ni d’une inondation. Ce qui nous arrive, en plus d’être d’une insoutenable absurdité, nous contraint à assister à des salves d’accusations réciproques entre les « responsables » qu’ils soient politiques ou administratifs. 2700 tonnes de nitrate d’ammonium ont été stockées depuis 2014 dans un entrepôt à l’abandon, sans aucune sécurité ou mesure de précaution, dans des lieux fréquentés par des nuées de piétons et au milieu d’une circulation intense de voitures et de camions.

Il se dit que dans la zone où se situait le hangar lui-même, ou même dans le dépôt n 12 lui-même, des cargaisons de pétards destinés à des fêtes, des mariages en particulier, étaient entreposés… Rien de surprenant dans un pays connu pour ses bruyantes célébrations. Il semblerait que ces stocks de pétards se soient enflammés pour une raison quelconque, et pendant de longues minutes, ont brulé jusqu’à ce que l’incendie parvienne à faire exploser la montagne de nitrate avoisinante. Il se dit également dans d’autres narratifs – mais seul Dieu sait – que des travailleurs auraient été invités à réparer la porte de l’entrepôt « pour éviter le vol et différentes manipulations ». Les ouvriers auraient utilisé une machine à souder dont les étincelles touchant le stock ont fait sauter la moitié de Beyrouth, détruisant son port, fierté de la « bourgeoisie » libanaise, toutes communautés et catégories confondues.

Le port de Beyrouth concentre 93,7% du trafic maritime à l’importation et l’exportation, tandis que 3,5% vont au port de Tripoli, dont la population se souvient – ce que les recherches confirment – que jusqu’en 1947, il était plus important que le port de la capitale. Et beaucoup se souviennent aussi que ce port offrait bien des avantages en dépit de la volonté de ne pas le développer. Le reliquat des flux commerciaux se répartit sur les autres petits ports le long de la côte méditerranéenne. Des querelles obliques sont apparues dès qu’a été suggérée l’idée d’utiliser le port de Tripoli pour compenser la paralysie du port de Beyrouth. Ces querelles appartiennent à la mentalité de la guerre civile, et leurs acteurs n’encombrent pas leurs déclarations de formules courtoises ou maquillées. Leur préoccupation n’est pas l’économie ou les intérêts du peuple, même dans cette période de crise profonde que nous traversons. Il est question avant tout de transmettre à leurs « bases sociales » un message de défense de leurs propres intérêts sectaires. Ainsi, après avoir perturber l’approvisionnement électrique dans tout le pays, pour faire pression afin d’obtenir l’attribution d’une centrale électrique à une région particulière qui leur « reviendrait », on propose des ports de pêche et de plaisance dans ces zones, comme une éventuelle alternative au port de Tripoli… Quelle vilaine empoignade dans le tragique contexte actuel. Ce sont ces « seigneurs féodaux politiques » d’extraction récente, vulgaires à un point tel qu’ils ne savent même pas comment maquiller leurs motivations. A moins qu’ils ne s’en moquent éperdument. Ce sont des pillards et des rustres qui sont un scandale permanent partout où ils passent…. Mais il faut croire qu’ils s’en fichent totalement !

Messieurs, Après la destruction du système bancaire, seule source de richesse dans le pays, vous voilà aussi achevant le Grand Port qui a explosé. Que reste-t-il au Liban ? Le taboulé, bien sûr, mais qui ne convient pas à la consommation au temps du Coronavirus…

Des rumeurs circulent dans tous les sens : un missile israélien aurait frappé un entrepôt souterrain contenant des munitions pour le Hezbollah, et les « pauvres » Israéliens n’étaient pas au courant de la présence du nitrates. Par conséquent, ils ont été embarrassés par l’horreur de ce qui s’est passé et ils l’ont nié. Le Hezbollah était embarrassé par la catastrophe causée par ses arsenaux et par le fait qu’il les stockait dans le port, et non dans les zones qu’il contrôle. Peut-être aussi que ce parti n’était-il pas conscient de l’existence du nitrate lorsqu’il a choisi une place pour ses armements, dans leur sous-sol immédiat ! Il y a, bien sûr, des variations pour ces récits, que ses propagateurs défendent avec enthousiasme et avec une imagination débordante. Selon l’une de ces variantes, ces nitrates étaient destinés à l’opposition syrienne et leur transfert a été bloqué pour une raison quelconque. A moins que – l’auriez-vous oublié – l’apparition de l ‘« État islamique » au cours de la même année 2014 a fait craindre qu’il ne tombe entre les mains du dit « Etat islamique ». Sans négliger ceux qui considèrent que l’explosion avait pour but de fabriquer une catastrophe majeure qui couvrirait la décision du Tribunal international pour l’assassinat du Premier ministre Rafic Hariri. Selon ces sources inspirées, la sentence qui devait être rendue le 7 août condamnerait le Hezbollah.

Tout cela n’a en fait rien à voir avec le sujet : de toute façon et dans tous les cas de figures – réels ou imagés – ce nitrate n’aurait jamais dû être stocké ici. Qui en est responsable ? Ceux qui ont fait que soient entreposées ces quantités énormes d’un produit notoirement dangereux. Ceux qui ont oublié l’existence de cette montagne chimique ou attendaient l’occasion d’en tirer profit en la vendant, par exemple.
Ceux-là sont les criminels. Le responsable de ce désastre, n’est pas seulement l’employé administratif qui a stocké ce produit, mais les dirigeants politiques qui se prennent pour un « État » alors qu’ils se foutent de toutes les affaires du pays. Ils ressemblent à des bandits de chemins. Car on le voit bien, la seule préoccupation de ces dirigeants est de piller les gens, comme tous les bandits.

Cette caste vit en rupture totale avec les populations (au contraire même des usages mafieux !), ses membres ne font plus aucun effort pour séduire l’opinion et n’espèrent plus la subjuguer autrement que par le mensonge et la répression. Leurs méthodes se caractérisent par le mépris des populations et la désinvolture dans la conduite des affaires publiques.

Peut-être n’y a-t-il rien de plus symbolique pour exprimer cette profonde rupture avec la société que la terrible explosion de Beyrouth.

Traduit de l’Arabe par Omar Benderra

Texte publié dans Assafir al Arabi, le 07-08-2020