Avant que la droite israélienne ne se réjouisse des événements de Paris

Gideon Levy, Haaretz, 16 novembre 2015 .

La droite israélienne dira : nous vous l’avions dit. Voilà comment sont les Palestiniens, voilà comment sont les musulmans – des animaux assoiffés de sang. La conclusion : il n’y a aucun partenaire. Il s’agit là, bien sûr, d’un château de cartes propagandiste.

Avant que la droite israélienne ne commence à se réjouir, nous devons leur dire : il n’existe aucune connexion entre l’enfant de Hébron armé d’un couteau et le musulman français avec une ceinture d’explosifs à Paris.

Avant que la droite en France et dans toute l’Europe ne commence à se réjouir, nous devons leur dire : ne dansez pas non plus sur le sang répandu. Le nationalisme, la haine des étrangers, le racisme, l’expulsion des réfugiés, l’isolationisme et la guerre contre l’islam – vos solutions magiques – ne résoudront rien du tout. Les appels réjouis du « nous vous l’avions dit » venant d’Israël et de la droite européenne résonnent déjà.

Le premier ministre Benyamin Netanyahu et Marine le Pen sont à nouveau ceux à qui profitent le plus la terreur. Nous ne devons pas tomber dans leur piège.

La droite israélienne dira : nous vous l’avions dit. Voilà comment sont les Palestiniens, voilà comment sont les Arabes et voilà comment sont les musulmans – des animaux assoiffés de sang. La conclusion : il n’y a aucun partenaire. Nous vivrons pour toujours par l’épée.
L’Europe vit maintenant ce que nous vivons depuis des années. L’Europe fera maintenant des pas en direction d’une guerre contre le terrorisme – les mêmes pas qu’elle a condamnés lorsque nous les avons faits.
L’Europe nous fichera peut-être maintenant la paix. Après tout, nous avons maintenant un ennemi commun. Voyons s’ils continuent à étiqueter des produits, voyons s’ils continuent à condamner les colonies de peuplement.

Nos audacieux raids sur l’hôpital Al-Ahli à Hébron et sur l’école primaire à Silwan, à Jérusalem, font partie de la guerre de civilisation que mène l’Occident et à laquelle Israël est si fer de participer. Quiconque n’envahit pas Al-Ahli ne combat pas le terrorisme. Quiconque n’abat pas une jeune femme tenant un couteau à un check-point s’en prend à Paris. La loi pour Ahmed Manasra (le garçon israélien qui a poignardé un garçon israélien) est la même que pour John le djihadi. Le Hamas est l’organisation Etat islamique et la même chose s’applique au Hezbollah, Mahmoud Abbas, le Cheikh Raad Saleh (le dirigeant du Mouvement islamique), les membres de la liste conjointe à la Knesset Ayman Odeh et Ahmad Tibi – tous sont Daesh, tous les Arabes.

Ceci est évidemment un château de cartes propagandiste qui est complètement déconnectée de la réalité. Le but de celui qui, à Hébron, brandit un couteau, est complètement différent de celui du jihadiste du Stade de France, tout comme l’est leur vision du monde. Ici, le Palestinien se bat pour sa terre et pour son pays, pour sa libération de l’occupation, pour l’autodétermination et pour la liberté – alors que là-bas le jeu consiste à détruire l’Europe et à en prendre le contrôle. Ici, le motif principal est national et politique. Là, c’est du fondamentalisme religieux.

Seulement, la vérité est que la droite israélienne n’a pas complètement tort. En fin de compte, sa prophétie se réalisera d’elle-même. Si Israël poursuit sa politique, l’enfant au couteau de Hébron deviendra le kamikaze de Daech. Aujourd’hui déjà, il observe avec un regard ardent le succès de ses grands frères.

Daech n’est pas encore là mais on peut compter sur Netanyahu consorts pour le faire venir. L’occupation a déjà donné naissance au Hamas et au Djihad Islamique. Une Cisjordanie désespérée et un Gaza emprisonné sont un sol fertile pour les faire pousser. Les sections d’assaut et les assassins dans les hôpitaux fournissent l’accélérateur de particules nécessaire pour attirer les djihadistes.

La droite européenne a également tort. Après tout, les dizaines de milliers de réfugiés musulmans frappant à la porte de l’Europe tentent de fuir pour leur vie, échappant précisément à la terreur des djihadistes qui attaquent maintenant l’Europe. Ils fuient ceux qui ont détruit leur pays et commettent maintenant un massacre au Bataclan.
Leur fermer la porte au nez, alimenter la haine de l’étranger en Europe, couplés à l’islamophobie et à la montée de l’extrême droite, ne feront que faire le jeu de Daesh.

Il y a aujourd’hui un certain nombre d’Israéliens qui se réjouissent au fond d’eux-mêmes (et sur les réseaux sociaux) des événements de Paris. En plus de la perversité que cela représente de se réjouir de la mort d’autres êtres humains, c’est également une célébration d’aveugles. La leçon correcte de ce qui s’est passé à Paris, c’est qu’il n’existe plus de guerre locale. Le monde ne peut plus fermer les yeux face à ce qui se passe en Syrie, pas plus qu’il ne peut le faire devant l’occupation israélienne. Quand le monde se sera remis de son choc, peut-être qu’il se libérera également de la paralysie et qu’il comprendra qu’il doit s’atteler à de trouver une solution à ces conflits, à la fois en Syrie, déchirée par la guerre, et dans les territoires palestiniens occupés. Nous verrons alors ce qu’il en est de la droite israélienne.

Traduction française Robert Zimmerman

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