La jubilation barbare d’Israël face à l’assassinat de Nasrallah est une nouvelle déchéance pour la société israélienne

Gideon Levy, 29 septembre 2024

Un journaliste de Channel 13 News a distribué du chocolat à des passants dans la ville de Carmiel samedi matin, en direct à la télévision. Un journaliste des médias de masse, qui n’a pas la moindre idée de son travail, a distribué du chocolat à des personnes épuisées qui ne se souviennent pas d’un Israël différent. Jamais auparavant du chocolat n’avait été distribué en direct à l’occasion d’un assassinat ciblé. Jamais nous n’étions tombés aussi bas.

Un autre journaliste, bien plus important et populaire, Ben Caspit, représentant de l’imposture du «centre modéré», a écrit sur X: «[Le chef du Hezbollah Hassan] Nasrallah a été écrasé dans sa tanière et est mort comme un lézard … une fin appropriée». Comme s’il avait lui-même défoncé le bunker.

Ce patriotisme barbare a relevé la tête samedi, Israël s’en est réjoui. Les nazis appelaient les juifs des rats, Nasrallah est un lézard. Qui pourrait s’y opposer? Les fascistes les plus extrémistes étaient encore terrés dans leurs synagogues, attendant les trois étoiles du crépuscule pour cracher leurs blasphèmes et leur joie maladive, mais en attendant, l’honnête et éclairé Ben Caspits a admirablement fait le job.

L’un d’eux a écrit «Shehehianu vekiamanu», en référence à une prière de gratitude – un sentiment partagé par de nombreuses personnes. L’ampleur des pertes causées par les 80 bombes américaines n’est pas encore connue, mais les chiffres n’auront aucun effet en Israël – 100 ou 1000 civils innocents, même la mort de dizaines de milliers d’enfants, ne changeront rien à l’état d’esprit des Israéliens. Pourquoi pas une petite bombe atomique? Après tout, nous avons tué Hitler.

Il n’est pas nécessaire d’être un rabat-joie en série pour s’interroger sur la joie et ses raisons. La situation d’Israël est-elle meilleure dimanche matin que vendredi matin? L’humeur de la plupart des Israéliens s’est améliorée après une année morose; nous avons recommencé à vénérer l’armée (tout le monde) et à vénérer le Premier ministre Benjamin Netanyahu (pas tout le monde), mais qu’est-ce qui a changé? Hassan Nasrallah a été désigné pour mourir parce qu’il était un ennemi acharné d’Israël (et du Liban). Son assassinat ne sauvera pas Israël.

En cette première semaine sans Nasrallah, nous ferions bien de regarder autour de nous. La Cisjordanie est au bord de l’explosion; Israël est coincé dans une bande de Gaza en ruine, sans issue en vue, tout comme les otages; Moody’s a rétrogradé l’économie au niveau plancher; le massacre de masse qui a commencé à Gaza se déplace vers le Liban. Un demi-million de personnes ont été déplacées de leurs maisons, en plus des deux millions de leurs semblables dans la bande de Gaza qui errent ici et là, sans ressources. Mais bon, nous avons tué Hitler.

Il est préférable de ne même pas mentionner la position internationale d’Israël; il suffisait de regarder l’Assemblée générale des Nations unies pendant le discours de M. Netanyahou vendredi. La situation en matière de sécurité est également plus précaire qu’il n’y paraît. Attendez la guerre régionale qui pourrait encore éclater; nous avons fait de grands pas dans cette direction vendredi. Pendant ce temps, le pays vit dans la terreur; vendredi, les dizaines de milliers de personnes déplacées de leurs maisons dans le nord n’ont pas fait un pas de plus vers leur retour, mais Israël se réjouit de la chute de son ennemi.

Au cours de l’année écoulée, Israël n’a parlé qu’une seule langue, celle de la guerre et de la force débridées. Il est exaspérant de penser que des millions de personnes ont tout perdu à cause de cela. Pendant que les bombardiers bombardaient Dahiyeh, sous les applaudissements en Israël, des millions de personnes à Gaza, en Cisjordanie et au Liban pleuraient amèrement leur sort, leurs morts, leurs infirmes, leurs biens perdus et les derniers lambeaux de leur dignité. Il ne leur reste plus rien.

Telle est la réalité qu’Israël promet. Nasrallah mort ou vif, un jour le volcan entrera en éruption. Dépendant de l’Amérique, complice servile du massacre de Gaza et de la guerre du Liban – qui n’a rien fait pour les éviter si ce n’est les paroles du président Joe Biden et du secrétaire d’État Antony Blinken, impuissants face à Netanyahou -, Israël pense pouvoir continuer ainsi éternellement. Il ne voit pas d’autre option.

Ce serait impossible sans le soutien de Washington. L’Amérique ne restera pas éternellement ainsi, compte tenu de ses tendances isolationnistes. Que se passera-t-il alors? Félicitations pour avoir tué Nasrallah, mazel tov, son successeur attend dans les coulisses et, à en juger par l’expérience passée, il sera encore plus dangereux. Et Israël? Il le tuera aussi et distribuera du chocolat aux passants.

Traduction de Thierry Tyler-Durden

Article original de Haaretz

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