400 personnalités israéliennes veulent une «liste noire» des entreprises opérant dans les Territoires occupés

Chercheurs, intellectuels et scientifiques originaires de l’État hébreu appellent à la publication par l’ONU des compagnies travaillant en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.

A Yanoun, un village cerné d’avant-postes proche de Qusra. (Photo Cyril Zannettacci)
A Yanoun, un village cerné d’avant-postes proche de Qusra. (Photo Cyril Zannettacci)

Dans une lettre que Libération a pu consulter et qui sera rendue publique ce jeudi, 400 personnalités israéliennes, dont plusieurs figures emblématiques du camp de la paix, appellent le Haut-Conseil des droits de l’homme (HCDH) de l’ONU à la divulgation d’une liste des entreprises opérant dans les Territoires occupés, que l’agence a compilée mais n’a pas rendu publique. Cette «liste noire» fait l’objet depuis presque un an d’un intense bras de fer entre l’Etat hébreu et l’organe onusien. Dimanche, l’ambassadeur d’Israël auprès des Nations unies, Danny Danon, a déclaré à l’agence AP que l’Etat hébreu «ferait tout son possible pour que cette liste ne voit pas la lumière du jour».

Le HCDH, avec à sa tête le prince jordanien Zeid Ra’ad Al Hussein, a commencé à constituer cette liste après avoir adopté quatre résolutions relatives à la colonisation de la Cisjordanie l’hiver dernier, qualifiant alors Israël de «puissance occupante». Le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, avait alors qualifié le HCDH de «cirque anti-israélien». Le Haut-Conseil provoque régulièrement la furie de l’Etat hébreu, qui l’accuse de parti pris permanent, estimant que près d’un quart des résolutions de l’organe onusien le vise directement. Si Israël a pris l’habitude d’ignorer ces remontrances constantes, la publication d’une telle «liste noire» d’entreprises opérant dans les colonies pourrait avoir d’importantes implications économiques. D’après Zeid Ra’ad Al Hussein, 150 compagnies israéliennes et internationales seraient concernées par cette opération de «name and shame».

Soutien ferme de personnalités israéliennes

Parmi les signataires de la lettre – universitaires, anciens politiciens, chercheurs, scientifiques et artistes –, on retrouve d’importantes figures de la gauche israélienne telles que l’ex-ambassadeur d’Israël en France Elie Barnavi, Mordechai Bar-On, ex-commandant du corps éducatif de Tsahal et figure historique du mouvement La Paix maintenant, ainsi que l’ex-ambassadeur d’Israël en Afrique du Sud Ilan Baruch. Font aussi partie des pétitionnaires Michael Ben-Yair, ex-procureur général et ex-juge à Cour suprême d’Israël, Yael Dayan, ex-députée travailliste et vice-présidente du conseil de Tel Aviv-Jaffa, fille de Moshe Dayan, l’un des pères–fondateurs de l’État hébreu, ainsi qu’une flopée de lauréats du prix Israël. Ces derniers «soutiennent fermement la décision du Conseil des droits de l’homme des Nations unies de publier une liste des sociétés qui font des affaires avec ces colonies de peuplement», qu’ils jugent dans la droite ligne de la résolution 2 334 du Conseil de Sécurité de l’ONU. Votée fin 2016 grâce à l’abstention des États-Unis, celle-ci condamne l’accélération de la colonisation dans les territoires cisjordaniens investis par Israël après la guerre des Six Jours en 1967.

«En tant que loyaux citoyens d’Israël, nous, les soussignés, pensons que la communauté internationale a un rôle crucial et urgent à jouer pour améliorer la situation du conflit Israël Palestine, qui se détériore rapidement, détaille la tribune. Nous pensons qu’à ces fins, il est essentiel que la communauté internationale s’oppose activement à la politique de colonisation du gouvernement israélien, qui empêche tout dénouement de ce conflit. […] Qui plus est, les peuplements israéliens en Cisjordanie et à Jérusalem-Est engendrent des violations graves des droits de l’homme des Palestiniens. Ces violations, qui ne sont pas sans rappeler l’Apartheid, nuisent vivement à toute réconciliation ou paix future.»

«Moyen de pression international»

La question du boycott des produits israéliens est éminemment sensible. Si les pétitionnaires n’appellent pas explicitement au boycott de l’ensemble des produits israéliens – à la différence du controversé mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanction) –, Israël considère que la publication de cette liste ferait du HCDH «le principal promoteur mondial du BDS». En mars, le gouvernement a fait passer une loi autorisant l’interdiction d’accès à son territoire des militants ou sympathisants du BDS, législation récemment utilisée contre plusieurs parlementaires français cherchant à se rendre dans les Territoires palestiniens.

La résolution 2 334 de l’ONU, cité par les pétitionnaires, appelle les entreprises commerciales à «faire une distinction, dans leurs échanges en la matière, entre le territoire de l’État d’Israël et les territoires occupés depuis 1967». Pour ces derniers, la publication de cette «liste noire» – sur laquelle pourraient se trouver des entreprises telle que Coca-Cola, Motorola ou Teva selon les médias israéliens – représenterait «un moyen de pression international pour faire cesser les transactions de ce type». La tribune se conclut par un appel à résister aux pressions internationales. Washington, qui s’est retiré en octobre de l’Unesco, «jugée anti-israélienne», serait aux avant-postes pour étouffer la publication de la liste, pour le moment repoussée à début 2018.

Par Guillaume Gendron, Correspondant à Tel-Aviv de Libération. Publié sur le site du journal Libération, le 30 novembre 2017.

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