Par Ali Abunimah, 3 mai 2015
Un témoignage oculaire démolit un rapport disséminé par des groupes anti-palestiniens et par les médias israéliens, d’après lesquels des Juifs ont été attaqués par des militants de « BDS » – Boycott, Désinvestissement et Sanctions – au cours des commémorations du 1er mai vendredi à Paris.
D’après le témoin, une altercation a été provoquée par des extrémistes de la Ligue de défense juive (LDJ), l’équivalent français de la Jewish Defense League.
Fondée par le rabbin ultra raciste Meir Kahane in New York en 1968, la Ligue de défense juive a été qualifiée par le FBI d’organisation terroriste violente. Kahane a été élu plus tard au Parlement israélien, fondant le parti Kach qui fut interdit comme groupe terroriste en Israël même.
En mars, deux extrémistes de la Ligue de défense juive britannique ont été condamnés pour avoir attaqué des militants pour la Palestine à Londres.
Soi-disant attaque
Le site pro-israélien français JSSNews déclare que vendredi vers 15 heures, un groupe de 40 personnes a foncé sur deux hommes « identifiables » comme Juifs.
JSSNews cite une personne anonyme d’un « service de sécurité appartenant à la communauté juive » déclarant que « les sauvages » qui auraient mené l’attaque « étaient liés aux organisations antisémites et antisionistes Gaza Firm et BDS ».
L’article déclare que « la police a ouvert une enquête et il nous a été impossible de connaître l’état de santé des deux victimes. »
Il ajoute que « A l’été 2014, c’était déjà ces jeunes « pro-palestiniens » de Gaza Firm qui attaquaient les synagogues de Paris (rue de la Roquette notamment). »
En réalité, comme l’a rapporté The Electronic Intifada, Serge Benhaim, président de la synagogue de la rue de la Roquette, a nié catégoriquement qu’une telle attaque ait eu lieu.
L’incident du 13 juillet fut une autre altercation déclenchée, d’après les témoins, lorsque des membres de la LDJ armés de bâtons et de matraques se sont répandus depuis la synagogue et ont tenté de provoquer des combats de rue avec des membres des groupes de solidarité avec la Palestine manifestant pacifiquement sur la place de la Bastille contre l’attaque israélienne contre Gaza. JSSNews a aussi cité comme source le BNCVA – un groupe pro israélien qui prétend surveiller les incidents antisémites en France.
Sur son site, le BNCVA déclare que le 1er mai, deux Juifs âgés d’environ 21 ans ont été attaqués par environ 40 « Brothers » et légèrement blessés.
En fait, l’article en français utilise le mot anglais « brothers » pour « frères », sans qu’on sache si c’est supposé indiquer le Muslim Brotherhood ou de l’argot pour « hommes de couleur » ou autre chose.
Le poste de police du 11e arrondissement, responsable de la zone où l’incident du 1er mai aurait eu lieu – a refusé de fournir des commentaires à The Electronic Intifada et renvoyé la question au service central de communication qui ne répond pas au téléphone le dimanche.
Il n’y a pas eu d’informations sur des arrestations en lien avec le soi-disant incident.
Les médias israéliens, y compris Haaretz, se sont emparés de l’article douteux. Le site Internet de la chaîne de nouvelles israéliennes i24News, citant le BNCVA, a déclaré que « deux jeunes hommes d’origine juive ont été battus à Paris vendredi par un groupe d’une quarantaine. »
Témoin
Michael, un militant de 28 ans du Collectif Antifasciste Paris Banlieue (CAPAB), a dit à The Electronic Intifada ce qu’il a vu.
Pour des raisons de sécurité, ici The Electronic intifada n’indique pas de noms de famille.
Le matin du 1er mai, des militants antifascistes se rencontrent à la station de métro Saint-Michel, prévoyant d’aller à une commémoration pour Brahim Bouarram, un Marocain tué et jeté dans la Seine par des extrémistes de droite le 1er mai 1995. Mais d’après Michael, des dizaines de policiers antiémeutes ont encerclé, ou contenu, environ 50 antifascistes, les empêchant de rejoindre le rassemblement.
En même temps, d’autres membres du CAPAB avait prévu de rencontrer les membres d’un autre groupe, Action antifasciste, près du métro Charonne sur le boulevard Voltaire pour participer ensemble à la grande manifestation du 1er mai.
Parce qu’ils avaient été encerclés près de Saint-Michel, Michael et certains de ses camarades arrivèrent en retard au second rendez-vous.
Mais la police avait chassé les militants de l’Action antifasciste du point de rendez-vous sur le boulevard Voltaire après, comme Michael l’apprit plus tard, une altercation déclenchée par des membres de la Ligue de défense juive (LDJ) et le groupe juif d’extrême droite Betar.
Crachats et insultes
Michael a expliqué que son groupe a essayé de fixer un lieu de rendez-vous alternatif pour rejoindre les autres antifascistes et qu’ils se dirigèrent vers la station de métro rue des Boulets, 450 m plus bas sur le boulevard Voltaire.
« Nous étions environ une douzaine » dit Michael. « Comme nous allions vers la rue des Boulets, nous avons dépassé environ 50 membres de la LDJ et du Betar, » clairement identifiables par leurs vêtements. Beaucoup étaient masqués et certains avaient des bâtons.
« A notre passage, ils ont commencé à nous cracher dessus et à nous insulter, » dit Michael. « Puis ils ont frappé une des femmes qui portait un keffieh » – le foulard à carreaux traditionnel palestinien.
Michael dit que cette attaque a provoqué des « insultes » et des « coups » entre membres du CAPAB et LDJ. Jusqu’alors la police n’avait fait qu’observer, mais ensuite plusieurs officiers ont intervenu pour repousser les membres de la LDJ.
Certains des policiers essayèrent de retenir la LDJ, mais un autre officier de police agressa un de nos camarades et tenta de nous repousser, » a expliqué Michael. « La police nous a repoussé de la zone mais a laissé ceux de la LDJ, qui portaient des masques et des bâtons, rester dans la zone de la station de métro rue des Boulets. Il leur fut permis d’occuper la zone et de faire comme ils voulaient ».
Michael note que les antifascistes avaient prévu à l’origine de se rencontrer vers 13 heures, mais que ce fut impossible car la LDJ et ceux du Betar étaient déjà sur place. Il dit que l’attaque décrite ci-dessus a eu lieu vers 15 heures – au même moment que le soi-disant incident rapporté par JSSNews.
Michael, qui connaît bien les groupes militants de Paris, a dit qu’il n’avait reconnu personne de Gaza Firm à proximité l’incident.
Dans une déclaration, le collectif militant Génération Palestine a déclaré que le 1er mai, aux environs du boulevard Voltaire, des personnes identifiables comme appartenant à la LDJ et au Betar ont « agressé des manifestant.e.s participant au traditionnel défilé du premier mai. ».
« Les agressions et provocations sont le modus operandi de ces milices d’extrême droite sionistes. Durant l’été 2014, lors des manifestations en soutien à la population de Gaza, la LDJ est apparue sur le plan médiatique par sa violence, ses provocations et ses multiples agressions. ».
La LDJ a publié sa propre déclaration disant que « après l’attaque de deux jeunes Juifs », ses membres sont restés dans la zone tout l’après-midi pour«la protection des magasins juifs du Bd Voltaire face aux racailles antijuives qui participaient au défilé communiste du 1er Mai sur ce même boulevard. »
Ils ont aussi publié cette image montrant leurs membres arborant le drapeau du groupe, visages noircis, entourés par la police.
Le magasin «Art Optic » permet l’identification précise des lieux : une petite rue latérale au boulevard Voltaire.
La LDJ protégée par la police
Michael note aussi que l’itinéraire de la grande manifestation du 1er mai était de la place de la République à la place de la Nation, deux grandes places de Paris reliées sur 3,5 km par le boulevard Voltaire.
Il explique que quand la manifestation à passé par la station de métro de la rue des Boulets vers 16 heures, les militants de la LDJ étaient encore là, protégés par la police antiémeute qui leur tournait le dos : en effet la police « protégeait la LDJ, avec laquelle elle collabore. »
D’après Michael, les extrémistes de la LDJ continuaient à lancer des insultes, particulièrement quand passaient des manifestants identifiables comme musulmans ou de gauche.
Intimidation
Imen, une militante de la solidarité avec la Palestine à Paris, a dit à The Electronic Intifada qu’elle et ses camarades ont été soumis à de l’intimidation par les membres de la LDJ dans la zone, plusieurs jours avant l’incident du 1er mai.
« Le 28 avril, la veille d’un événement public organisé par BDS France au Centre international de culture populaire [très près du métro de la rue des Boulets], des membres de la LDJ sont venus et ont mis des autocollants sur les portes. »
Les autocollants LDJ, visibles sur les photos ci-dessus, portent l’étoile de David et le symbole du poing utilisé par le groupe raciste anti-palestinien violent Kach, et disent « Je soutiens Israël » et « rejoignez la Ligue de défense juive ».
L’événement du lendemain s’est tenu sans incident – plus de 120 personnes sont venus écouter Maren Mantavoni de Stop the Wall, Patrice Bouveret de l’Observatoire des armements et Sivan Halevy de BDS France.
Imen a dit que la police avait été informée sur les autocollants.
Amalgamer l’antisionisme à l’antisémitisme
À la suite des meurtres par des tireurs français dans les bureaux de Charlie Hebdo et dans un supermarché kasher en janvier à Paris, le gouvernement français a intensifié ses mesures de répression contre ce qu’il appelle antisémitisme.
Alors que les attaques de janvier n’avaient pas le moindre rapport avec les groupes de solidarité avec la Palestine, les autorités françaises visent de plus en plus la critique d’Israël, source supposée d’antisémitisme.
Israël a longtemps cherché à exagérer et à exploiter les infos sur l’antisémitisme en Europe, particulièrement en France, à la fois pour diaboliser le militantisme de soutien à la Palestine et pour déclencher un exode des Juifs.
Dans ce contexte, accuser les militants d’attaques antijuives peut être considéré par les groupes anti-palestiniens comme une bonne stratégie pour favoriser plus de répression de l’État et de sanctions contre ceux qui cherchent légalement et pacifiquement à faire rendre des comptes à Israël.
La lutte contre le racisme exige la vigilance contre toute forme d’intolérance, y compris l’antisémitisme. Elle consiste aussi à ne pas permettre à de fausses accusations d’intolérance d’être utilisées pour faire taire la critique d’Israël.
Traduction: JPB pour l’Agence Média Palestine
Source: Electronic Intifada