UN PEUPLE! UNE LUTTE!

1er décembre 2013

Hier, 30 novembre 2013, le jour de colère contre le plan Prawer a sans doute marqué une étape importante dans la reconstruction de l’unité nationale palestinienne.

Un peuple! Une lutte! c’est le cri qui a résonné de la mer au Jourdain, de Gaza à Nazareth en Passant par Haïfa de Jérusalem à Ramallah de Hura dans le Naqab à Hébron dans la zone C des territoires occupés palestiniens . Contre le Plan Prawer, c’est toute la nation palestinienne, qui s’est levée hier sur sa terre: Un peuple Une lutte !

L’expropriation de milliers de Palestiniens bédouins du Naqab (Néguev),ou dans les collines du sud Hébron en Zone C, ou encore dans la vallée du Jourdain, à l’Ouest ou à l’Est de la ligne verte, n’est-elle pas la continuité d’une seule et même politique permanente de dépossession d’un peuple?

La répression des manifestants d’hier est-elle si différente à Ramallah lorsque l’armée intervient contre la manifestation qui se dirige vers la colonie de Beth El ou à Haïfa dont les vidéo montraient des scènes violentes de gaz lacrymogènes et d’arrestations par la police (19 personnes dont des mineurs) où à Beersheba -Houra dans le Néguev, avec 15 d’arrestations dont un enfant de 10 ans ) Selon Adalah, à Haïfa la police a demandé aux magistrats de prolonger la détention d’au moins 5 jours. A Beersheba les demandes de prolongation par la police sont plus importantes encore, 12 jours pour les mineurs et 15 jours pour les adultes. Adalah dénonce les pressions policières sur les juges.

Voir sources et photos… site AIC: https://www.alternativenews.com

Le cri de ralliement a ceci de nouveau qu’il émane de ceux que l’on appelle les Palestiniens de 48, citoyens d’Israël, restés longtemps silencieux, contraints à l’arrière d’un combat qu’ils ne pouvaient mener, prisonniers de la fragmentation spatiale et politique.

La multiplication des statuts de la population palestinienne, sous occupation en Cisjordanie, assiégés à Gaza, résidents sur siège éjectable dans Jérusalem, citoyens de seconde zone en Israël, millions de réfugiés isolés en Diaspora, relève du seul objectif bien connu de tous les modes du colonialisme, fragmenter, dissocier, diviser le peuple colonisé pour mieux le soumettre.

Même si l’année 1976 avait été le point culminant de leur lutte contre le plan de judaïsation de la Galilée, avec les journées sanglantes de la grève des terres, la séparation faisait son ouvrage. Mais les nouvelles temporalités , et les nouvelles donnes politiques, notamment l’échec du processus d’ Oslo et ses illusions qui avec le début de la seconde Intifada en 2000, ont progressivement «effacé la ligne verte» et obligé aussi bien les Israéliens que les Palestiniens à se resituer sur l’ensemble d’un territoire où une seule souveraineté d’airain s’exerce.

La répression sanglante de Wadi Ara en Israël même, en octobre 2000 , où 13 jeunes manifestants pacifiques protestant contre la répression de leurs frères dans les TOP sont tués par la police, a sans doute marqué un tournant dans la situation des Palestiniens citoyens de 48. Salah Habibi, fils du célèbre écrivain palestinien Emile Habibi s’exprima ainsi sur cette répression «de l’intérieur»: «Ces san­glants évé­ne­ments nous ont fait retourner un demi-siècle en arrière ; la classe diri­geante et une partie de la société israé­lienne nous ont fait com­prendre qu’elles ne nous consi­dé­raient pas comme des citoyens à part entière. Cinquante-deux ans après la création de l’État, nous restons des ennemis qu’il faut détruire.»

A partir de 2000 la direction politique israélienne ne cesse de mettre en question la légitimité des palestiniens de 48. Tous les projets de négociation travaillés par les Israéliens proposent l’échange de territoires israéliens peuplés de Palestiniens contre des territoires occupés peuplés de colons juif. La logique de la séparation se décline depuis 2000 en Israël, impulsée d’abord par la gauche travailliste qui traduit l’échec de ses « propositions généreuses » par des formules comme «divorçons en paix» «eux chez eux nous chez nous», et le concept du mur de séparation, jusqu’au Plan Bennett[sur le détail du plan Bennett voir [la vidéo sous-titrée en anglais]] de l’extrême droite au pouvoir, qui prévoit l’annexion de la zone C[sur les données concernant la zone C consulter [la fiche documentation Passia en Français]] vidée de la plus grande partie de ses habitants palestiniens.

La souveraineté israélienne s’exerce aujourd’hui de façon absolue sur l’ensemble du territoire, de plus conformément au programme annoncé par Sharon en 2002 devant au Congrès américain, la guerre de 48 n’est pas finie, guerre de conquête territoriale, et de colonisation d’un maximum d’espace entre la mer et le Jourdain, avec un minimum de Palestiniens sur cet espace, repoussés dans des cantons soigneusement dessinés dans les TOP. Il devient difficile d’établir une différence radicale, de nature, aujourd’hui entre une démolition de maison dans les TOP et une démolition dans le Néguev. Comme il est de plus en plus difficile de faire la différence entre contraindre une population à vivre confinée dans une des 7 villes du Néguev planifiées à cet effet, et le confinement d’ une population dans les cantons de Ramallah, Naplouse ou Jénine. Les objectifs israéliens de cette politique sont en effet les mêmes, dans le Naqab comme dans la vallée du Jourdain : concentration de la population palestinienne dans des espaces réduits et sous contrôle, et appropriation des terres au profit d’un peuplement juif.

Les Palestiniens de 48 désignent ce phénomène dont ils font l’expérience , par l’expression « brouillage ou effacement de la ligne verte » Ce brouillage d’une ligne qui devait devenir une frontière si elle remet en question la division en 2 États, a aussi une répercussion sur le statut « privilégié » qui était le leur comme citoyens, même de seconde zone. Dans l’uniformité retrouvée du paysage, ils redeviennent ce qu’ils ont toujours été des Palestiniens donc un danger pour l’État juif. S’il y a quinze ans on n’évoquait en Israël à leur égard que le danger démographique, aujourd’hui des projets de lois successifs envisagent de conditionner leur citoyenneté à un serment d’allégeance à l’État comme État juif et au sionisme.. L’évolution démographique et sociologique palestinienne de 48 a fait émerger une classe cultivée, conscientisée et critique qui revendique elle, un Israël: État de tous ses citoyens.

Une des questions clé si l’on ose dire, le droit au retour des réfugiés, trouve aussi ses réponses aujourd’hui sur le territoire de 48. L’expulsion de la Naqba s’est faite sur ce territoire, et le retour devrait pouvoir s’exercer sur les mêmes lieux. La nouvelle génération palestinienne de 48 s’attache avec fermeté à la réalisation de ce droit qui est, faut-il le rappeler, celui des membres de leurs familles, et aussi à dédramatiser cette question aux yeux de la société juive. Elle est investie de par sa situation d’une responsabilité particulière qu’elle traduit dans l’action: des groupes de jeunes palestiniens, réfugiés de l’intérieur, se réinstallent sur les ruines de leurs villages d’origine en Galilée, et dans la réflexion, construction de modèles sociaux et urbains de retours chiffrés …

La Bataille du Plan Prawer est à la fois une parfaite illustration de cette revendication des droits civiques et nationaux en Israël, et aussi de la place et du rôle des Palestiniens de 48 dans la lutte nationale pour l’émancipation, dans le cadre complexe qui se redessine dans la douleur depuis l’échec d’Oslo . Leur vision prend aujourd’hui le devant de la scène, c’est une vision qui restitue leur place à toutes les parties de la nation où qu’elles se trouvent, travaille à l’unité autour de la terre à préserver, du retour des réfugiés. Cette exigence de la fin de l’oppression, de la dépossession, de l’ exil, est posée comme une exigence citoyenne et démocratique qui ne devrait pas être vécue comme une menace par la population juive d’Israël. À l’Est comme à l’Ouest d’une ligne verte qui se dissout lentement mais sûrement, un seul peuple ,une seule lutte pour ses droits, contre l’apartheid, et pour l’égalité .

Michèle Sibony

membre du bureau national de l’UJFP