UN GÉNOCIDE EN PALESTINE – Silence, on tue !

Parmi les récits d’Auschwitz de mon père, le plus scabreux racontait une visite de la Croix-Rouge : annoncée aux déportés, préparée par une subite et très provisoire amélioration de l’ordinaire. Mais aucun déporté n’eut la possibilité de rencontrer le délégué. Mon père se demandait même s’il était vraiment venu. Pour l’adolescent que j’étais, cet événement était simplement devenu, comme on dit aujourd’hui, un fake. Jusqu’à ce jour de l’automne 2021, au théâtre de l’Atelier, où je vins écouter Samy Frey – toujours aussi charismatique – lire un texte intitulé Un vivant qui passe. Il s’agissait de l’entretien qu’eut le réalisateur Claude Lanzmann en 1979, pendant le tournage de Shoah, avec Maurice Rossel, délégué du Comité International de la Croix-Rouge pendant la Seconde Guerre mondiale à propos de ses visites à Auschwitz en 1943, puis l’année suivante à Theresienstadt (protectorat de Bohême-Moravie), évidemment avec l’assentiment des autorités allemandes1

Pour résumer, le principal responsable de la Croix-Rouge avait pu passer une journée dans le principal camp de la mort nazi, y échanger avec les principaux SS en charge du génocide, ne rien deviner de celui-ci, et rentrer sans ne rien dire de cette visite. Pour appeler un chat un chat, après le passage de Rossel à Auschwitz comme avant, les opinions publiques ne savaient presque rien de la Shoah, bien qu’à l’ apogée de cette industrie de la mort sans précédent. Conclusion à la libération à l’époque : « Plus jamais ça ! »

Plusieurs décennies ont passé, et avec elles de grands massacres génocidaires longtemps entourés, malgré les témoins étrangers, d’un silence coupable, du Cambodge, au Rwanda, en passant par la Bosnie… Arrive l’automne 2023, et voilà que le même silence entoure un autre génocide : celui des Gazaouis. Les chiffres, pourtant, ne permettent pas l’hésitation : la riposte à l’horreur terroriste du 7 octobre –1039 Israéliens et étrangers assassinés dans des conditions épouvantabes, et 250 pris en otages2 – a pris des proportions que nul n’avait imaginées : près de 50 000 assassinés, dont plus de 45 000 à Gaza, près de 800 en Cisjordanie, et près de 4 000 au Liban3.

Quant au caractère intentionnel de ces tueries, il suffit de relire les déclarations des dirigeants politiques et militaires israéliens, en premier lieu l’ex-ministre israélien de la Défense et donc de l’offensive de Tsahal. Yoav Gallant n’y allait pas par quatre chemins : « J’ai ordonné un siège complet de la bande de Gaza. Il n’y aura pas d’électricité, pas de nourriture, pas de carburant, tout est fermé ». Et pour cause : « Nous combattons des animaux et nous agissons en conséquence4 ».

Comme tous les négationnistes, ceux du caractère génocidaire de la guerre à Gaza ne bougerons plus d’un millimètre, quoiqu’il arrive :

  • les énormes proportions de femmes et d’enfants- 70 %- parmi les victimes ;
  • les transferts incessants de population, du nord vers le sud de Gaza, puis du sud vers le nord, et finalement à nouveau du nord vers le nord, le pire fut le fréquent bombardement de zones présentées comme « sûres » ;
  • les centaines de prisonniers capturés, dénudés, torturés, parfois à mort. Le cas le plus scandaleux est celui du directeur de l’hôpital al-Shifa de Gaza, Adnan al-Bursch, mort en « interrogatoire » ;
  • au total, 1 000 membres du personnel humanitaire assassinés à Gaza et 500 au Liban ;
  • autre profession ciblée : celle des journalistes, massivement assassinés à Gaza : près de 200 ;
  • les dirigeants de Tsahal espéraient imposer ainsi le silence sur leurs crimes. C’était sans compter avec les publication des soldats sur leurs réseaux sociaux  personnels: il a fallu plusieurs mois pour mettre fin à la publicité ainsi donnée aux pires exactions – jusqu’à des vidéos de viols de prisonniers palestiniens par des soldats ;
  • la destruction totale par l’armée israélienne de 77 écoles de Gaza et les dégâts infligés à plus de 400 autres, privant ainsi 88 000 étudiants et près de 700 000 élèves d’accès à l’éducation depuis plus d’un an ; de même que la destruction de centaines d’immeubles et d’habitations, celle de mosquées, de centres médicaux, d’hôpitaux, de sites patrimoniaux, historiques, archéologiques et culturels ;
  • la restriction des rentrées de camions porteurs de produits de première nécessité, souvent attaqués par des militants suprémacistes. Faut-il rappeler que la tentative d’affamer la population civile est considérée comme un « crime de guerre », voire « contre l’Humanité » ?

« Ce qui se passe à Gaza est un génocide, car Gaza n’existe plus. Le territoire a été totalement détruit. Le niveau et le rythme de tueries indiscriminées touchant un nombre énorme de personnes innocentes, y compris dans des lieux définis par Israël comme des zones sûres, la destruction de maisons, d’infrastructures, de presque tous les hôpitaux et universités, les déplacements de masse, la famine organisée, l’écrasement des élites et la déshumanisation étendue des Palestiniens dessinent l’image globale d’un génocide. » Ce jugement sévère est signé de l historien israélien Amos Goldberg, professeur de I’Holocauste au Département d’histoire juive et du monde juif contemporain de l’université hébraïque de Jérusalem, et membre du Van Leer Jerusalem Institute;

Même appréciation chez Rony Brauman5 : « Ces atrocités sont commises avec la complicité des pays qui se réclament du droit international, du droit humanitaire de la légalité internationale, c’est-à-dire les pays occidentaux, au premier rang desquels les États-Unis. Mais avec le concours actif de pays européens dont l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la France. Nous sommes en train de devenir activement complices de ce carnage et de cette boucherie6. »

La liste pourrait hélas continuer longtemps, rendant choquant l’omerta des grands médias. Une chaîne comme France 3 aura réussi à se taire dans la plupart de ses journaux télévisés : les rares informations en provenance de la région étaient pour la plupart consacrées… au 7 octobre 2024. D’où cette question : 40 vies palestiniennes valent-elles moins qu’une vie israélienne ?

Pourtant, la définition du génocide par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée le 9 décembre 1948 par l’ONU ne laisse aucun doute :

« Article premier

Les Parties contractantes confirment que le génocide, qu’il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime du droit des gens, qu’elles s’engagent à prévenir et à punir.

Article II

Dans la présente Convention, le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

a) Meurtre de membres du groupe;

b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe;

c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;

d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;

e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. »

Rien ne saurait donc justifier le « Silence on tue ! » de nos grands médias

Dominique Vidal Décembre 2024


Note-s
  1. Ce dialogue fit l’objet d’un livre publié en 1997 aux Mille et une nuits : Un vivant qui passe, sous titré Auschwitz 1943 -Theresienstadt 1944[]
  2. Site du Times of Israel, 17 décembre 2023.[]
  3. Site d’OCHA (ONU).[]
  4. Le Monde 10 octobre 2023.[]
  5. Le Monde, 39 octobre 2024.[]
  6. Franceinfo, 8 février 2024[]
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