Mais est-ce vraiment un génocide ?

« Et alors qu’on perd du temps, à décider si c’est un génocide ou pas, 10 personnes ont déjà été abattues ».

Bassem Youssef, le 15 avril


Alors que la CIJ a reconnu le 26 janvier un risque plausible de génocide, il n’aura échappé à personne que non seulement Israël n’a tenu aucun compte des mesures conservatoires qui lui incombaient, mais les dirigeants sionistes sont loin d’avoir relâché l’offensive sur Gaza. Les massacres sont partagés quotidiennement sur les réseaux sociaux, contrairement aux médias mainstream qui se font les relais des intérêts impérialistes via notamment Bolloré. L’UNRWA a été attaquée, directement et financièrement ce qui ajoute à la famine des Gazaouis. Personne n’arrête Israël, et surtout pas les États-Unis, sponsors officiels en armement. Devenant d’autant plus menaçant sur Rafah, Israël a lancé une offensive en Iran. Cela fait diversion. Plutôt que de les stopper, les États-Unis semblent concéder que, Israël peut taper ici s’il tape pas là. Rafah plutôt que l’escalade régionale. Suite à des négociations que l’on suppose de haute teneur en matière de droit international, c’est encore les palestiniens qui vont trinquer.


Tandis que le.a citoyen.ne occidental.e ménage la chèvre et le chou, appeler ça un génocide, y a t-il vraiment assez de mort.e.s vous pensez, Israël fait son biz. Tout en ciblant un maximum d’infrastructures, bombardant la population civile, l’armée israélienne teste les armes qui seront mises en exposition à Eurosatory. Des technologies puissantes testées sur la population palestinienne. Avec dommages collatéraux, cela s’entend. 150 pertes civiles pour un combattant du Hamas. Les bébés sont des terroristes à partir de combien d’années ? Tandis que ce type de débats « démocratiques » animent les chaînes israéliennes pour déterminer à partir de quel âge il est légitime de massacrer les Gazaouis, l’armée teste des programmes d’intelligence artificielle. Le programme Lavender établirait via une « Kill liste » des militants du Hamas. Les 10 % d’erreurs ont été jugés comme acceptables par les dirigeants « humains ». S’ajoute le programme « Where is daddy« . Si l’appellation évoque le même univers dystopique, cela désigne tout bonnement les massacres des civils ; bombarder les suspects dans leur domicile même, avec leurs proches, leur famille. Et là on ne compte plus l’âge des bébés.


Ces stratégies ont été soutenues par des responsables des renseignements et de l’armée israélienne dans des déclarations publiques avant le 7 octobre. Depuis, l’armée israélienne a largué plus d’explosifs sur l’enclave de 200 km carrés que n’en contenaient les bombes atomiques qui ont décimé Hiroshima et Nagasaki pendant la Seconde Guerre mondiale. Au final à Gaza, les soldats tirent de leurs tanks pour un maximum de victimes civiles, enfermés dans leurs bolides pour parer aux Gazaouis qui les attaquent. Sur leur terrain, des Gazaouis se défendent et atteignent largement les militaires. L’armée israélienne compte de lourdes pertes.
Tout ce mode opératoire du massacre de masse est bien au service d’une idéologie suprémaciste. Sous couvert d’intelligence artificielle sensée démanteler le réseau du Hamas, les déclarations des dirigeants sionistes depuis le 7 octobre ne laissent plus de doute quant aux réels objectifs des assaillants. Des « Animaux humains », « J’ai tué beaucoup d’arabes dans ma vie, je ne vois pas où est le problème » ; le sionisme, qui a marqué son terreau par la Nakba, la « Catastrophe » en 1948, déferle comme un bulldozer. La ségrégation est inscrite dans la loi qui définit « l’État-nation du peuple juif » depuis 2018 ; il n’y a plus de mots couverts. Pour Yaïr Golan, qui représente la gauche, la seule solution est d’affamer Gaza.

Au vu des violations du droit international, de la convention de Genève, des crimes de guerre qui s’accumulent, rien ne permet de penser que le risque de génocide est entravé. La barbarie ne trouve pas de limites ; dans la pleine conscience de nos États dits démocratiques. L’indécence est à la hauteur du génocide du 21ème siècle, au su et au vu de tou.te.s. En France, tandis que les « sionistes de gauche » nous attaquent, juif.ves antisionistes, sur nos soi-disant états d’âme, pseudo-culpabilité, haine de soi, et ramènent le sujet à un problème inter-personnel, psychologique voir psychanalytique, le débat se détourne de la vraie question. Finalement, pourquoi blanchir Israël de ses crimes contre l’humanité ? Au-delà de tout le « mal » qu’il fait, du régime d’extrême droite sans conteste à l’œuvre, l’État sioniste retient l’indulgence de nos paires. Issu de la culpabilité des États européens qui pansent les gouffres de l’après guerre, Israël garde l’auréole judéo-chrétienne du berceau qui l’a fait naître. Mais le régime sioniste est-il vraiment « un petit havre de paix » au milieu du Proche-Orient qui agirait au nom de valeurs démocratiques ?

Au niveau international, toute cette industrie technologique est un marché de la guerre qui sert des puissances impérialistes, notamment des dirigeants d’extrême droite aux idéologies fascistes et racistes. Les alliances de Netanyahu avec le dirigeant Orbán, connu pour son antisémitisme en Hongrie ne sont un secret pour personne. Celles également avec Bolsonaro, avec l’autocrate nationaliste hindou Narendra Modi, ou encore au Myanmar où a été commandité le génocide des Rohingyas sont également connues sur la scène internationale. « Venu négocier l’acquisition de matériel militaire en Israël, le chef d’état major birman Min Aung Hlaing effectua comme de rigueur une visite au Mémorial de la Shoah, à Yad Vashem. il a été depuis accusé par les Nations unies de crime contre l’humanité… » 1. Les dirigeants israéliens ont beau jeu d’accuser les pays du Proche-Orient d’antisémitisme, tout en armant les régimes les plus réactionnaires. Ces enjeux sont ceux d’États impérialistes et colonialistes, il faudrait être bien mal informé ou de très mauvaise foi pour entendre ces informations à travers un quelconque antisémitisme ; si ce n’est celui mis en acte par les dirigeants d’extrême droite.


Au-delà du rapport colonial, on est bien loin aujourd’hui des valeurs d’égalité d’un état de droit. Lors des cérémonies religieuses, les hommes sont mis en avant, les femmes restent au second plan. Concernant les droits lgbtqia+, seul le mariage religieux est reconnu. Smotrich se déclare « fièrement homophobe » ; en 2006, il organise une anti-Gay Pride dépeignant les homosexuels sous les traits de chèvres et d’ânes s’adonnant à des « actes déviants ». Mais Israël ne se gène pas pour inviter les gays du monde entier à festoyer à Tel Aviv. Au delà du tourisme, cela redore son image à l’international. En 2011, la loi légalise les comités d’admission pour candidats à la terre et unités constructibles ; ce qui permet de filtrer les « comportements déviants « .  « Le logement est aussi un terreau fertile pour harceler les LGBT. Le rabbin Yaakov Ariel déconseille à ses ouailles de louer des appartements aux couples LGBT qui ont l’intention « d’y vivre dans le péché ». Certains contrats de location spécifient que les appartements ne peuvent être loués « aux couples de même sexe. » 2. Nous n’avons pas affaire ici à un état de droit mais à l’État-nation des juifs.


Tandis que le peuple palestinien est vulgairement réduit à Hamas=islamisme=terrorisme, la société israélienne est bien construite sur un fondamentalisme religieux. Qui le dénonce ? Mouvement laïque dont les militants étaient à l’origine en majorité athées, le sionisme n’a pas hésité à s’emparer de concepts fondamentaux du judaïsme puis à les refaçonner, pour bâtir une identité nationale. Sans surprise, le discours messianique sert aujourd’hui à justifier la guerre dévastatrice à Gaza.


Au slogan central de la guerre de Gaza, « Ensemble nous vaincrons ! », la droite israélienne au pouvoir ajoute systématiquement les termes « avec l’aide de Dieu », conférant une dimension religieuse au conflit avec le Mouvement de la résistance islamique. Lors d’une conférence de presse à Tel-Aviv le 28 octobre 2023, puis le 3 novembre dans une lettre aux soldats saluant leur « combat contre les assassins du Hamas », M. Benyamin Netanyahou a cité le Deutéronome de la Bible hébraïque (25:17) : « Souviens-toi de ce que t’a fait Amalek » 3. Les autorités israéliennes usent de cette rhétorique depuis quelques années.

« Ce pays est le nôtre, y compris Gaza, y compris le Liban, c’est la Terre promise », assène M. Amichai Friedman, rabbin au centre d’instruction de la brigade du Naha, ovationné par les soldats. C’est au nom de ces valeurs que les dirigeants israéliens poursuivent l’offensive en Cisjordanie, avec l’annexion de colonies illégales votée par l’armée. Ben Gvir déclare que l’exécution de détenus palestiniens est le meilleur moyen de lutter contre la « surpopulation carcérale ». Détenus pour la plupart en détention administrative : des années sans procès, sans connaître leur chef d’inculpation. Israël n’a de démocratique que le vernis, teinté de pinkwashing. Le projet sioniste a toujours été un maximum de territoire pour un minimum d’Arabes. Il faut urgemment stopper cette entreprise démentielle qui ne cache plus ses intentions.


Notre stupeur est à la hauteur de la banalisation. La banalisation vaut pour validation, et c’est un euphémisme : en 2018, on trouvait sur le site Boulevard Voltaire, dans la mouvance identitaire :
« C’est paradoxalement d’Israël, d’une façon très opportune, que nous vient l’exemple en matière migratoire. Israël nous démontre que seules des actions fermes au nom du réalisme, du bon sens, de l’efficacité, de l’éthique de la responsabilité, de la raison d’État, de l’identité des peuples et de leur sécurité, et non des discours humanistes au nom de la morale individualiste ou chrétienne, peuvent régler le problème migratoire ». Israël est un modèle pour la France de ce qui ne se fait plus, et n’est surtout plus à faire en matière de colonialisme. Depuis 2018, le gouvernement a continué sa tendance toujours plus à droite, et la mouvance identitaire s’est dangereusement banalisée dans l’opinion française. En France, le FN qui s’est bâtit sur des valeurs notamment antisémites s’invite parmi les défenseurs d’Israël à la manif du 12 novembre. Loin de démanteler les idées antisémites, les valeurs coloniales et racistes du sionisme ne font que renforcer la pente actuelle du gouvernement. La clémence de nos compatriotes envers Israël serait-elle teintée de cette construction coloniale dont la France ne s’est pas défaite ? La « loi sur les combattants illégaux » légitime la disparition forcée : le ministère de la santé peut émettre un mandat d’arrêt contre toute personne. Il autorise la détention sans aucun document pendant 45 jours et il est interdit aux détenus de rencontrer un avocat pendant 6 mois. La disparition forcée est un crime au regard international. Nos détracteurs se sont-ils vraiment renseignés sur la politique israélienne ? Le rapport d’Amnesty International sur le régime d’Apartheid en Israël envers le peuple palestinien est sorti en 2022. Il remonte le plus souvent aux origines de l’État d’Israël pour mieux comprendre les racines de cette politique. Il est temps de déconstruire la face dorée du sionisme. Fondamentalisme religieux, terrorisme d’État, patriarcat, homophobie. Israël n’a que le visage des ennemis qu’il prétend combattre.

Israël fait son beurre sur le peuple qu’il expulse, humilie, torture, v(i)ole, massacre. Les Israéliens sont nourris au danger du terrorisme des « Arabes antisémites » qui les menacent de toute part. Le peuple palestinien est la phobie de l’État sioniste autant que sa raison d’être.

Aujourd’hui, maitrise t-il vraiment la pente de l’escalade génocidaire qu’il a pris ?

Mais s’agit-il vraiment d’un génocide ? Oui, c’est bien la question… Et tandis que nous discutons les termes, il y a encore eu combien de morts ?


Note-s
  1. L’État d’Israël contre les juifs de Sylvain Cypel[]
  2. Mirage gay à Tel Aviv de Jean Stern[]
  3. lire « Les mille visages d’Amalek »[]