Hier, à l’hôtel David à la mer Morte, une jeune femme de 19 ans originaire du Kibboutz Be’eri (son nom n’est pas divulgué), a demandé à pouvoir délivrer son cri : « Ce qui nous est arrivé n’était pas nouveau, c’était juste pire. » « Nous sommes abandonnés depuis des années ».
J’ai 19 ans, je suis du kibboutz Be’eri.
La chose la plus grave jusqu’ici, à part l’énumération des noms des morts, des disparus et des prisonniers, la chose la plus grave n’était pas d’être couchée dans l’abri, ce n’était pas d’entendre les tirs, ce n était même pas de recevoir en temps réel des notifications de mes amis, des personnes que je connais depuis que je me connais moi-même, appelant à l’aide sans que personne ne vienne.
La chose la plus grave pour moi, à part les morts, les prisonniers et les kidnappés, a été le moment où on nous a libérés et que je suis sortie de la maison et qu’il faisait nuit ; j’étais pieds nus et j’ai marché sur un morceau de verre, et j’ai vu les visages des gens de mon quartier, peur ! Épouvante.. et j’ai vu des visages que je connais depuis que je me souviens de moi-même, comme jamais je ne les avais vu, larmes … des gens avec qui j’ai grandi.. C’est se promener ici, je viens juste d’arriver à la mer morte, c’est se promener ici et voir des camarades de mon kibboutz essayant de se lever le matin, de tenir bon, de sourire parfois, chacun à sa manière, c’est me rassembler chaque matin, c’est pas beaucoup de matins, mais c’est une mission très difficile… me rassembler.
Ce qui nous est arrivé était terrible mais il y a quelque chose que je tiens beaucoup à dire : ce qui nous est arrivé n’était pas NOUVEAU, juste plus grave. On nous abandonne depuis des années. Le dôme de fer c’est un pansement. Ne parlez pas des soldats, c’est un pansement, un être humain agonise et vous lui apportez un pansement ? C’est une honte ! Une honte ! Et ça fait des années qu’on en parle. Des années… on nous abandonne. Et ça arrive à ça, ce n’est pas nouveau, c’est juste plus grave.
Et ce n’est pas la seule chose qui n’est pas nouvelle, mais juste plus grave dans cette guerre, et j’essaye de trouver les mots, et franchement c’est un peu difficile de les trouver avec toute la colère et le deuil qui sont en moi en ce moment. Comment suis-je censée me lever le matin, citoyens d’Israël, politiciens, résidents d’Israël, ou hors d’Israël ! écoutez-moi bien : comment suis-je supposée me lever le matin et savoir qu’à 4,5km du Kibboutz Be’eri, à Gaza, il y a des gens pour qui ce n’est pas fini. Pour moi ça s’est arrêté après 12h, parce qu’il y avait un endroit où me réfugier. Je suis à la mer morte, à l’hôtel. Ceux qui parlent de vengeance, honte à vous ! Il y a beaucoup de douleur, c’est vrai !
Moi ? Après tout ce que j’ai traversé, je perds tellement de force chaque fois que j’entends ce mot de vengeance. Ce que j’ai traversé, que des gens le vivent aussi et qu’il n’y ait personne pour les sauver ? Ce n’est pas possible comme ça, ce n’est pas possible, encore des pansements.. on nous demande sans arrêt : « et vous pensez que vous retournerez au kibboutz après ça ? Vous pensez que vous retournerez habiter là-bas, sans défenses supplémentaires, sans soldats ? Ne me parlez pas de soldats ou de défense, parlez-moi de solution politique. Ça fait des années qu’on demande une solution politique.
J’ai dix neuf ans, j’ai des amis qui sont tombés au combat comme soldats, ces derniers jours, qui, quand ils étaient au jardin d’enfants, savaient ce qu’ils voudraient faire dans l’armée. Que j’élève comme ça mes enfants ?? Honte !! Honte et disgrâce (ou déshonneur expression hébraïque ndlt) !! Que j’élève mes enfants et que je leur demande à l’âge de 5 ans, chéri tu sais ce que tu veux être à l’armée ? Combien peut-on ? Combien peut-on perdre, et absorber…
Nous, nous qui sommes saufs, nous sommes la preuve vivante, et croyez-moi, ceux qui m’écoutent que nous … ça peut être encore plus grave, ça peut l’être..
De mon point de vue, et c’est la chose qui m’est la plus importante à dire maintenant, et c’est comme ça depuis des années : quand on nous bombarde de rockets… au bout du compte ça nous passe au dessus de la tête. Pas les rockets, les rockets passent bien au dessus de nos tête et atterrissent bien sur le sol, croyez-moi. La décision d’envoyer des rockets, est au dessus de ma tête. Bibi, Hamas, ça m’est égal, ce que je sais c’est que Be’eri souffre, Nahalot souffre, Kfar Aza, Sderot, et Gaza.
Croyez-moi, chaque kassam, 4,5 km de distance entre Be’eri et Gaza, et la terre tremble exactement de la même manière, exactement pareil . Ce n’est pas possible, ce n’est pas possible !
Maintenant je sais qu’il y a beaucoup de colère contre Bibi, parce que je la ressens je la ressens très fort, dans les moments où j’arrive à ressentir, parce que ces derniers temps c’est un peu dur.. Je la ressens parce que combien de gens, combien de gens doivent mourir pour lui ? Hein ? Combien de gens doivent mourir pour l’égo, les intérêts ? Je ne sais pas si j’ai déjà dit ça, mais les fusées, en particulier dans la dernière période, parce que je sais pas si vous savez mais, avant qu’il y ait les terroristes, j’ai entendu plus de fusées que dans mes dix neuf ans de vie, en même temps : boum boum boum boum boubouboum boum boum .. Beaucoup, beaucoup, on a tout de suite su que c’était la guerre. Avant les terroristes, avant tout le reste. Nous sommes toujours les premiers à savoir, à entendre… on entend chez nous.. et je dois vous dire que je ressens que ces fusées, ces fusées qui nous frappent, c’est mon gouvernement qui les a envoyées. Parce que c’est le gouvernement qui m’a abandonnée, toutes les années de ma vie, toutes les années de ma vie et à présent arrive le plus grave de tout. Et si ce n’est pas le plus grave de tout, Dieu sait ce qui va se passer ici. Alors c’est vrai que c’est Bibi, Bibi, et vraiment je l’accuse à 100 % de tout. C’est vrai ! Il a choisi de nous laisser vivre comme ça. Il a choisi de nous donner le dôme de protection plutôt qu’une solution politique, et il a choisi encore beaucoup d’autres choses. Et notre sang est sur ses mains. Mais ce n’est pas seulement lui. Il est la racine d’un problème très profond, mais ce n’est pas que lui. Si mes mots atteignent quelqu’un, regardez bien bien à l’intérieur de vous, profondément à l’intérieur. Demandez-vous quelles sont vos valeurs, demandez-vous avec tout ce qui vous entoure et que vous voyez, comment vos valeurs que vous savez être les vôtres, s’opposent à ce que vous voyez. Demandez-vous vraiment. Demandez-vous pour qui vous votez, posez-vous la question de ce que vous lui demandez. Je sais ce que je demande : je demande une paix honnête, je demande que les Bédouins du Negev reçoivent la même aide que celle que le Kibboutz Be’eri a reçu. Et même nous, ce n’est pas suffisant, ce sont des civils qui sont venus nous aider, des civils, en aucun cas le gouvernement ! Et j’ai beaucoup de reconnaissance au fait qu’on ait un hôtel à la mer morte, mais en une seconde chacun ici aurait renoncé à ça si cela signifiait que nos prisonniers allaient revenir. À ce propos j’ai entendu deux fois (seulement ndlt) le gouvernement s’intéresser au fait qu’ils existent, il se comporte comme s’ils n’existaient pas. On bombarde et on sait que ce bombardement va aussi leur coûter la vie. Retour des prisonniers, paix, honnêteté. Si vous n’avez pas d’oreilles pour entendre ce que je viens de dire, il n’y a pas d’espoir.
Arrêtez-vous, écoutez mes mots, ils seront peut-être durs à entendre, durs.. il m’est difficile de parler vous voyez ? Peut être que pour certains d’entre vous mes mots seront difficiles à entendre. Après ce que j’ai vécu à Be’eri, vous me devez cela. Vous me le devez. Pas du côté de la culpabilité, on passe tous par des choses difficiles. Faites des pauses, occupez-vous de vous, de vos enfants de vos familles, mais vous me le devez. Demandez-vous pour qui vous votez, demandez-vous ce que vous exigez de lui, ne faites pas de concessions, si vous laissez mourir l’espoir, vous laissez mourir les résidents de l’enveloppe de Gaza (on appelle ainsi toute la zone des villes et kibboutz qui entourent la bande de Gaza, et dont fait partie le Kibboutz Beeri Ndlt)
(traduction MS, pour l’UJFP)