Témoignage d’Abu Amir les 31 mai et 2 juin 2025 –  L’espoir résiste sous les décombres grâce aux classes pour les enfants et aux ateliers pour les femmes

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Classes pour les enfants (2 juin 2025)

Malgré toute la destruction causée par la guerre continue sur la bande de Gaza, malgré la famine systématique, l’hémorragie incessante des vies humaines, et l’oppression collective que subit la population, l’espoir reste fermement accroché à ce qui subsiste des âmes. Il se faufile sous les ruines, entre les tentes du déplacement, et dans les yeux des enfants qui refusent de s’éteindre.

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À Gaza, la guerre est devenue un pain quotidien, et survivre, un miracle. Mais la foi que demain pourrait porter une lueur d’espoir reste ancrée dans les cœurs.

Ici, là où l’anéantissement n’a épargné aucune maison, l’idée de l’éducation n’a jamais quitté les priorités des familles. Car, malgré toutes leurs pertes, les parents savent que le savoir est le passeport de leurs enfants vers un avenir plus juste et plus sûr, même s’il semble lointain. Alors que de nombreux agriculteurs ont perdu leurs proches, que leurs terres à l’est de Khan Younès ont été détruites, qu’ils ont dû fuir vers la zone d’Al-Mawasi à l’ouest de la ville, une seule question les hantait : « Où nos enfants pourront-ils poursuivre leur scolarité ? »

Dans le contexte de ce déplacement massif douloureux, le centre éducatif de l’UJFP a été transféré de la région d’Abou Taïma vers le camp d’Al-Fajr à Al-Mawasi. Ce camp temporaire est devenu un refuge pour environ 1050 familles déplacées, en majorité des agriculteurs ayant fui l’enfer de la guerre à Abou Taïma, Khuza’a et Abssan, laissant derrière eux les terres qui les ont nourris pendant des générations.

Dans ce camp, sans bâtiments, sans salles de classe, ni même un toit pour protéger du soleil, les enfants s’assoient sur le sable, sous une bâche usée, pour recevoir leur enseignement. Et pourtant, les regards brillent, l’écoute est attentive, comme si les quelques mots entendus pendant la leçon étaient leur ticket de survie dans cette vie rude.

Nos équipes travaillent avec acharnement pour trouver un endroit où ériger une tente éducative simple, qui protège les enfants du soleil et offre un cadre plus digne pour apprendre. La crise ne sera peut-être pas résolue demain, mais chaque tente dressée, chaque livre ouvert, est une déclaration claire que cette terre ne meurt pas, et que ses enfants ne cessent jamais de rêver.

À Nusseirat, l’école « Premier Pas » de l’UJFP représente un véritable rayon de lumière dans l’obscurité. Située à l’ouest de Nuseirat, c’est l’un des rares espaces encore dédiés exclusivement à l’éducation, sans avoir été converti en abri pour les déplacés ou détourné de sa mission éducative. L’école est devenue un refuge authentique pour les familles à la recherche d’un lieu sûr et sain, où leurs enfants peuvent poursuivre leur scolarité sans peur ni inquiétude.

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Ce qui distingue l’école Premier Pas, ce n’est pas seulement la continuité de l’enseignement primaire et secondaire, mais aussi son environnement sécurisé, uniquement consacré à l’éducation. De nombreux parents se sont dits soulagés que le bâtiment ne soit pas utilisé comme centre d’hébergement, ce qui évite à leurs enfants le contact direct avec les réalités douloureuses du déplacement, de la promiscuité extrême ou avec des personnes parfois poussées, par la guerre, vers des chemins sécuritaires ou militaires. Cette spécificité a fait de l’école un espace pur pour l’apprentissage et le développement, chose rare dans un contexte rempli de tensions et de mélanges forcés dans les lieux publics.

L’école s’attache à ce que l’enseignement ne soit pas uniquement académique, mais aussi une expérience multidimensionnelle. Outre les cours classiques, un temps hebdomadaire est réservé aux activités récréatives et artistiques, notamment pour les plus jeunes enfants qui souffrent de troubles du comportement ou d’une peur constante due à ce qu’ils ont vécu. L’une des activités les plus réussies est le dessin libre, où les enfants reçoivent du papier et des crayons pour exprimer ce qu’ils ressentent.

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Des jeux collectifs simples sont aussi organisés dans l’école, comme des exercices avec balles ou des jeux d’expression qui encouragent le rire et brisent la rigidité psychologique.

C’est une école qui ne combat pas seulement l’ignorance, mais aussi la tristesse, essayant de préserver une enfance qu’on tente d’arracher complètement.

Par ailleurs, l’école joue aussi un rôle communautaire discret mais profond. Elle a ouvert ses portes aux élèves du secondaire privés d’accès à l’éducation dans la plupart des établissements du secteur, détruits ou transformés en refuges pour des milliers de déplacés. Malgré le manque d’enseignants permanents, des dizaines de diplômés universitaires sont venus volontairement enseigner, croyant fermement que cette génération ne doit pas être abandonnée, et que chaque leçon donnée aujourd’hui pourrait signifier un avenir différent pour un jeune homme ou une jeune fille perdus dans l’obscurité.

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L’école Premier Pas est plus qu’un bâtiment… c’est un appel à la persévérance, une invitation à la connaissance, un abri psychologique pour des enfants dont la peur est devenue une partie intégrante de l’enfance. C’est tout simplement un petit bastion face à un grand effondrement, un message : « Il y a encore, à Gaza, un lieu où l’on peut apprendre. »

Récemment, une session de dialogue a été organisée pour les élèves du secondaire, intitulée « Nous et l’avenir en temps de guerre ». Vingt élèves y ont participé, dont une majorité de filles qui se sont montrées les plus actives. Lorsque la phrase « Nous vivons toutes les mêmes conditions » a été lancée, les langues se sont déliées, les cœurs ont respiré, même avec douleur.

L’une des filles a parlé de sa peur constante de mourir, racontant comment elle dort entièrement habillée, voilée, par crainte d’un bombardement ou d’un déplacement nocturne. Une autre a expliqué qu’elle cuisine au bois, sa famille ayant perdu l’accès au gaz, et que la fumée est devenue aussi familière dans la maison que dans le ciel. Une troisième « Depuis des mois, je n’ai pas porté de vêtements neufs… je porte la même robe à l’école, à la maison, pour dormir. »

Puis les discussions se sont croisées autour du manque d’intimité dans les tentes, du manque de nourriture, du transport de l’eau depuis des endroits éloignés. Écouter, sans dire « sois patiente ».

« Quel est ton souhait ? »

Tous ont unanimement répondu que la fin de la guerre était le premier vœu. Mais la surprise est venue avec le second : quatorze des vingt élèves ont souhaité quitter Gaza, dont neuf filles.

Cinq d’entre elles ont répondu : « Nous voulons continuer nos études… ici, l’éducation est terminée. »

Les autres ont dit clairement : « Même si la guerre se termine, la vie à Gaza est devenue impossible. »

Les jeunes de Gaza ne rêvent pas de luxe, mais simplement d’une vie basique, avec de l’eau, de l’électricité, un livre, une école. Ils ne demandent pas la lune, seulement de sentir qu’ils sont encore des êtres humains, avec leur dignité.

La guerre à Gaza a tout détruit : maisons, écoles, hôpitaux, et même les rêves. Mais elle n’a pas réussi à tuer la foi qu’un lendemain pourrait porter un soulagement.

Gaza aujourd’hui ne fait pas que mourir… c’est une terre où l’on enterre les rêves d’une génération entière. Mais tant qu’il y aura quelqu’un pour enseigner, pour écouter, pour poser une main sur une épaule fatiguée, cette terre restera vivante, même si cette vie se déroule sur des ruines. »


Partout où c’est possible des ateliers :  soutenir les femmes psychologiquement (le 31 mai 2025)

Au cœur de l’un des camps les plus densément peuplés de la bande de Gaza, précisément dans le camp Al-Israa au centre de Gaza-ville, où les bombardements ne sont plus de simples nouvelles passagères mais une réalité quotidienne vécue entre les décombres, les souvenirs et l’angoisse, les équipes de l’UJFP ont organisé une séance spéciale de soutien psychologique intitulée « Premiers secours psychologiques ». L’atelier a ciblé trente femmes déplacées, ayant laissé derrière elles des maisons détruites, des enfants tremblant de peur au son des avions, et des rêves suspendus dans un espace devenu impossible.
L’objectif principal de cette session était de permettre à ces femmes de s’approprier les outils des premiers secours psychologiques, pour elles-mêmes et pour leur entourage, tout en leur offrant un espace où elles pourraient partager leur douleur et se soutenir mutuellement.

Dès le début de la session, l’animatrice a accueilli les participantes avec un sourire chaleureux. Elle n’a pas commencé par de grands discours, mais a murmuré doucement :
« Je sais que vous êtes fatiguées… Chacune d’entre vous porte en elle ce qui ne peut être dit. Mais aujourd’hui, nous allons essayer d’être ensemble, de nous porter les unes les autres, ne serait-ce qu’avec un mot. »
À cet instant, quelque chose a commencé à changer dans la salle. Des chuchotements timides aux regards emplis d’attente sincère, on sentait que ces femmes étaient prêtes à entendre quelque chose de différent.

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Premier exercice : Respirer la vie
« Inspirez lentement… laissez l’air remplir votre ventre… maintenant, expirez lentement comme si vous chassiez la poussière de votre poitrine… »
« Je n’ai pas ressenti une telle sérénité depuis des mois… »
« C’est comme si je m’étais souvenue de moi-même, l’espace d’un instant. »

Le jeu de la balle : se redire le positif
« Nous allons jouer… Oui, même en temps de guerre, nous avons besoin de jouer ! »
Le jeu était simple : se passer la balle, et celle qui la recevait devait dire quelque chose de positif sur elle-même.
« Je suis forte », « Je suis patiente », « Je suis une mère formidable ».
« Je n’avais pas ri comme ça depuis le début de la guerre… C’est comme si la balle avait emporté avec elle une partie de ma tristesse. »

Exercice des cartes : les murs de l’espoir

Ensuite, l’animatrice a distribué des cartes colorées et a demandé à chaque femme d’écrire une phrase ou un message qu’elle se dédierait à elle-même dans un moment d’effondrement.
Elles ont écrit des phrases telles que :

  • « Je mérite d’être en sécurité. »
  • « Je vais aller bien, malgré les tempêtes. »
  • « La guerre ne m’enlève pas mon droit à la vie. »

Les cartes ont ensuite été accrochées à une corde tendue à l’avant de la salle, formant un mur d’espoir, façonné de leurs propres mains et cœurs.
« Je croyais qu’aider voulait dire de grandes paroles… Maintenant je comprends que simplement s’asseoir à côté de quelqu’un qui souffre, c’est déjà suffisant. »

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Une promesse personnelle

Avant de clore la session, l’animatrice a demandé à chaque femme d’écrire sur un petit bout de papier une promesse simple qu’elle s’engagerait à respecter en cas de détresse :

  • « Je me donnerai le droit de me reposer. »
  • « Je cesserai de me blâmer. »
  • « Je chercherai la lumière, même au milieu des ruines. »

À la fin de la session, les femmes sont reparties plus détendues, moins silencieuses. Elles se souriaient, échangeaient des paroles de réconfort et de prière.

L’atelier « Premiers secours psychologiques » n’a pas été qu’une simple formation. Il a constitué un espace d’écoute, de respiration, de rires et de rappel que, chez chaque femme, existe une capacité à survivre, et à devenir la lumière dans la vie de celles qui l’entourent – même dans les heures les plus sombres.

(Voir aussi les chroniques et articles postés par Brigitte Challande du Collectif Gaza Urgence déplacé.e.s quotidiennes sur le site d’ISM France et du Poing, article hebdomadaire sur le site d’Altermidi, et sur l’Instagram du comité Palestine des étudiants de Montpellier..)

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