par WhatsApp
Ce matin, le 28 janvier, j’ai rencontré les fils d’Abu Jamal et un certain nombre d’agriculteurs au marché aux légumes de Rafah. Les agriculteurs ont choisi les légumes nécessaires pour être envoyés à l’école où sont leurs enfants, puis j’ai payé la facture des achats.
Après cela, les achats ont été transférés sur une carriole attelée, car il n’y avait pas de voiture, jusqu’à l’endroit où la cuisine est située dans le camp de réfugiés de la zone d’Al-Mawasi, puis nous avons mis les cageots de légumes dans deux voitures, ma voiture et une autre appartenant à un agriculteur. Nous sommes allés à Khan Younis, plus précisément sur le bord de la mer, en attendant le tuk-tuk, qui devait emmener les achats à l’école [ où sont réfugiés les agriculteurs de la zone Abu Taïma (Khuza’a) ].
Nous sommes restés environ une heure à attendre le tuk-tuk, mais le tuk-tuk n’est pas venu, alors l’agriculteur qui conduisait l’autre voiture a décidé d’aller à l’école, malgré nos avertissements, mais il a insisté pour aller à l’école. Cinq minutes après qu’il a été parti, le tuk-tuk est venu au rendez-vous et nous avons chargé le reste des achats. Puis il est parti en direction de l’école et nous avons attendu sur place.
Nous avons essayé d’appeler l’autre voiture pour savoir ce qui lui arrivait, mais les appels étaient mauvais et nous ne pouvions pas communiquer avec lui.
Nous avons appelé l’un des agriculteurs qui étaient à l’école, et l’appel est passé, Nous l’avons questionné sur la voiture et le tuk-tuk, nous voulions savoir s’ils étaient arrivés à destination.
Nous avons répété l’appel chaque minute, mais la réponse était qu’aucun d’entre eux n’est encore arrivé.
La connexion a ensuite été coupée et nous avons attendu environ 45 minutes, avec le bruit des coups de feu et de l’artillerie. Nous étions sûrs à ce moment qu’ils étaient morts, mais après un moment, la voiture est apparue au loin et s’est approchée, puis s’est arrêtée à côté de nous. Nous avons commencé à lui demander ce qui s’était passé.
Le conducteur a commencé à nous dire ce qui lui était arrivé. Il nous a dit qu’il a attendu un peu sur la route jusqu’à ce qu’il voie des habitants en train de fuir, alors il leur a demandé s’il y avait des tanks, et comment faire pour se rendre à l’école.
À ce moment, le tuk-tuk est arrivé et les deux véhicules se sont déplacés vers l’école. Ils se sont approchés et ont commencé à explorer l’endroit. Ils ont été assurés qu’il n’y avait pas de tanks, alors ils se sont dirigés vers la porte de l’école.
Mais une fois arrivés proche de la porte de l’école, les obus ont commencé à tomber sur le mur de l’école et les maisons environnantes. À ce moment, les agriculteurs présents aux étages supérieurs de l’école, regardant par les fenêtres, ont commencé à crier à ceux au rez-de-chaussée d’ouvrir les portes pour laisser la voiture et le tuk-tuk entrer dans la cour de l’école.
Après plusieurs moments, le bombardement s’est arrêté, il avait entraîné trente blessés et deux morts. Alors le conducteur a décidé d’ouvrir les portes de l’école et de revenir vers nous.
Nous avons fait de très nombreux appels au Croissant-Rouge et à la Croix-Rouge pour leur demander d’intervenir, de secourir les blessés, et d’évacuer de l’école les femmes sur le point d’accoucher, mais jusqu’à présent, nous n’avons reçu aucune réponse, sauf du Croissant-Rouge, qui a expliqué qu’il ne peut pas entrer dans la zone.
Abu Amir a précisé ce soir certains points par téléphone :
Sont donc bloqué dans l’école 30 blessés et 5 femmes sur le point d’accoucher.
Le fils du mokhtar Abu Jamal va essayer d’aller à l’hôpital pour demander l’intervention d’un médecin.
La Croix Rouge ne répond pas.
Le Croissant Rouge dit qu’ils ne peut atteindre la zone où se trouve l’école. L’armée israélienne a établi un check point tout près de l’université Al Aqsa, un véritable poste frontière, où ils vérifient les cartes d’identité et procèdent à des arrestations.
Le chauffeur qui est parti vers l’école lors de l’attente du tuk-tuk est un très jeune agriculteur, il ne supportait pas d’attendre. Il décrit au retour, le visage cireux, les blessés dans l’école, du sang partout.
Je lui demande : d’ici, pouvons-nous faire quelque chose ?
Non. L’armée israélienne dit que lorsqu’ils auront terminé à Khan Younis, ils s’occuperont de Rafah. Ils veulent être à “Philadelphie” dans deux jours – délai commençant ce matin (Philadelphie est l’espace, comprenant une route, parallèle à la frontière égyptienne – les entrées des tunnels s’égrainaient le long de Philadelphie).
L’armée a émis un ordre, aux personnes massées à Rafah, de ne pas se déplacer. C’est 1 500 000 personnes qui y sont rassemblées. Comment penser qu’elles puissent “ne pas bouger” !
Nous ne savons pas quel scénario nous attend. Un transfert en Égypte ? Je crois toujours que c’est le plan projeté.
Car toutes les nouvelles, des pays européens, du Canada, insistent sur la nécessité de donner un pays aux Palestiniens. Mais le placer dans Gaza, c’est impossible. Alors il faudra mordre sur l’Égypte. Et justement la région d’Al Arish est prête, vidée de ses habitants…
J’objecte : Sissi ne peut se permettre cela, les Égyptiens ne l’accepteront jamais.
Sissi a détruit son pays. Sa monnaie s’est beaucoup affaiblie… Mais aucun leader palestinien n’acceptera un tel plan. Alors l’idée est de pousser de force dehors les Gazaouis qui deviendront des réfugiés, puis au bout de quelques années, proposer de faire de ce lieu l’État palestinien…
Pour revenir aux paysans assiégés dans l’école, on ne peut rien faire d’autre qu’attendre, suivre les infos, les appeler chaque heure. Au moins, depuis 10h ce matin, ils ont eu les provisions demandées, vraiment indispensables.
Il faut espérer que les femmes en fin de grossesse n’arriveront pas à leur terme juste maintenant, sinon on se retrouve comme dans le passé, comptant juste sur l’expérience d’autres femmes.
Enfin, pour la cantine d’Al Mawasi j’ai réservé comme nos jours d’intervention aujourd’hui et demain, pour être libre ensuite de me consacrer aux agriculteurs de l’école.
Les photos et vidéos de l’achat des marchandises pour les paysans assiégés dans l’école de Kanh Younis sont à l’adresse suivante :
https://drive.google.com/drive/folders/1AAYiX4OecGES4fY7OjjIoWSd_zzYHTZX
(Propos recueillis par Sarah Katz)