« Les communications sont enfin rétablies, même si l’Internet est très lent.
Je voudrais dire d’abord qu’il y a un très grand nombre de familles dans la zone où nous agissons, que le nombre de familles a augmenté depuis que nous avons commencé à distribuer des repas, et donc que la quantité nécessaire a augmenté. Nous avions l’habitude de distribuer l’équivalent d’une grande marmite de collectivité, ce qui correspondait à deux marmites moyennes. Cela ne suffit plus du tout, on en est arrivé à ce qu’une cinquantaine de familles repartent sans rien – sachant que certaines familles marchent 2 km pour rejoindre notre point de distribution. Aujourd’hui, nous avons augmenté la quantité à une grande marmite et demi, ce qui équivaut à trois marmites moyennes, comme le montrent les photos. C’est le minimum nécessaire.
Deux groupes locaux sont venus nous voir travailler, ils ont beaucoup apprécié ce que nous faisons. Ils étaient si contents qu’ils ont proposé de prendre en charge les jours où nous n’intervenons pas. Ce sont des groupes locaux, pas des associations enregistrées, ils sont en relation avec des donneurs, pour l’un en Jordanie et pour l’autre en Turquie.
Nous pourrions alors travailler deux jours au lieu de trois, et nous nous sommes mis d’accord avec les deux groupes qui couvriront la même quantité (3 marmites moyennes) pour le reste de la semaine. Ainsi, nous pouvons distribuer une plus grande quantité de nourriture pour les personnes déplacées sur nos deux jours, au prix que nous avions défini pour trois jours de distribution, donc en restant dans le budget, et les deux autres institutions garantiront le reste de la semaine.
S’ils le peuvent, les deux groupes essaieront de fournir un deuxième repas certains jours.
Le pire est à venir. Les tank de l’occupation sont entrés dans la zone à l’ouest de Khan Yunis avant hier, ils ont détruit de nombreuses maisons et installations, et ont tué plus de cinquante personnes déplacées dans cette zone. Les soldats sont entrés dans l’université Al Aqsa, qui était pleine de déplacés, ils les ont chassés vers le centre de Khan Younis, puis obligé de continuer vers l’ouest. De nombreuses écoles sont assiégées, y compris l’école où se trouvent les agriculteurs de Khuza’a – Abu Taïma.
Il y a ainsi de mauvaises nouvelles pour les agriculteurs déplacés dans l’école de Khan Yunis. Hier, quand les tanks de l’occupation ont encerclé l’école, ils ont tué trois personnes qui étaient assises devant l’école. Les écoles assiégées ont demandé l’aide de la Croix Rouge, mais personne n’est venu, les cadavres des tués sont restés dans les cours des écoles.
Je suis allé à l’Hôpital Européen pour avoir des nouvelles. Le dernier contact avec les paysans déplacés a eu lieu cet après-midi, et ils nous ont déclaré que les tanks étaient stationnés à dix mètres de l’école : ils ne peuvent que difficilement sortir des salles de classe ou des tentes. »
J’ai interrogé Abu Amir sur la question qui nous est sans cesse posée : comment trouve-t-il encore de la nourriture à acheter ?
« Il y a une grande pagaille avec l’entrée des camions transportant l’aide alimentaire, pagaille favorisant des vols et détournements, qui aboutissent à ce qu’une partie des denrées se retrouvent proposées à la vente… à des prix que les familles ne peuvent pas envisager : de la nourriture on en trouve, mais les gens ne peuvent pas l’acheter.
Depuis hier, il y a un effort de la police gazaouie pour enrayer le phénomène, mais c’est sans espoir.
De son côté, l’armée israélienne dépouille les gens, leur argent, leurs objets en or, et fait des razzias dans les bâtiments des organisations, comme au siège du Croissant Rouge, où ils ont tout volé. »
Cette conduite de pillage de l’armée israélienne entraîne une situation inattendue. J’ai demandé à Abu Amir comment il se débrouillait pour acheter les denrées, puisque l’argent collecté arrive bien sur son compte, mais pas « dans sa main », car le système bancaire est à l’arrêt ?
« Il y a de l’argent liquide en circulation, les trésoreries des entreprises, les derniers salaires, les réserves… Tous comprennent que cet argent liquide a de grande chance d’être volé par l’armée d’occupation, mais ils ne peuvent pas le déposer en banque, puisque rien ne fonctionne dans ce domaine. Les gens qui me connaissent préfèrent me le donner, sachant à quoi je l’utilise, et que je pourrai leur rendre quand les banques rouvriront. Ils me disent : « prends ce dont tu as besoin, avec toi l’argent est en sécurité ! ».
Quand les banques reprendront leur travail, j’aurai accès à l’argent de la collecte et mettrai les comptes à jour. »
« Un mot sur l’état d’esprit d’amis non politisés, avec lesquels j’ai l’habitude de discuter. Ils expriment qu’ils considèrent qu’il y a un aspect positif à la situation, c’est la prise de conscience des peuples du monde entier sur la réalité de la Palestine. Ils envisagent aussi le cessez-le-feu comme un moment de changement radical nécessaire. Eux ne veulent plus entendre parler du Hamas, ils le considèrent failli, donnant l’exemple de l’incapacité du mouvement à rétribuer ses propres salariés. Ils sont très en colère contre les dirigeants.
Enfin, il y a une très grande attente à notre égard de la part des paysans impliqués dans les projets depuis 2016. Le travail va être énorme pour remettre les terres en culture, ce sera juste impossible sans aides conséquentes. Leur espoir est pour leurs terres, mais ils auront grandement besoin d’être appuyés. »
Abu Amir termine par une jolie anecdote. Il va aux nouvelles près de l’Hôpital Européen, rencontre un ami de la famille du mokhtar Abu Jamal et lui demande aussitôt : ‘Le château d’eau est-il toujours debout ?’. ‘Quand même, réagit son interlocuteur, tu pourrais commencer par me demander des nouvelles, par exemple, de ma femme…’
Alors oui, aux dernières nouvelles, le château d’eau est toujours debout.
Voici une vidéo montrant la fabrication et distribution des repas dans la zone Al Mawasi ce 24 janvier 2024 :
https://drive.google.com/drive/folders/12luDEJ2_EmaXDBhP05xDIjYShUHBVcq-
(Propos recueillis par Sarah Katz)