Témoignage d’Abu Amir, le 20 juillet 2025 – Trouver une langue alternative dans les couleurs de Gaza

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Cette séance représentait un souffle nouveau dans une atmosphère étouffante, un espace vital où les couleurs ont exprimé ce que les mots n’ont pu dire au cœur du chaos. Dans un environnement épuisé par les guerres, dépouillé de maisons et de souvenirs, l’art est devenu une langue alternative, un pont silencieux entre le traumatisme et la résilience.

L’une des jeunes femmes, traçant prudemment des lignes jaunes sur sa feuille blanche, confie :

« Je pensais que les couleurs avaient déserté ma vie, comme mes affaires l’ont fait. Tout me paraît gris. Mais quand j’ai pris un crayon de couleur et dessiné une fleur de notre ancien jardin, j’ai eu l’impression de retrouver un battement de cœur perdu. J’ai ajouté une touche de jaune sur la fleur, comme si j’ajoutais un soleil à ma journée. »

Au début de la séance, on a demandé aux participantes de choisir une couleur qui reflétait leur ressenti du jour, sans explication. C’était la première étape vers une libération émotionnelle non verbale, créant un climat visuel où l’âme s’exprime par la langue des couleurs.

Une femme a choisi le bleu : « C’est la couleur de la mer qui me manque depuis que ma fenêtre a été détruite. »

Une autre le brun, « La couleur de la terre qui m’a échappée entre les doigts quand j’ai quitté mon pays sans adieu. »

Les participantes étaient invitées à s’asseoir en silence, fermer les yeux et visualiser un lieu qu’elles aimaient dans leur terre natale, tout en inspirant profondément pour remplir leurs poumons d’air et expirer la douleur du cœur. Ce fut une préparation à l’expression artistique, une porte intérieure permettant au corps de dialoguer avec la mémoire, et à l’air d’épouser l’histoire.

Lors de l’activité « Couleurs de mon pays », les femmes ont commencé à dessiner des éléments liés à leurs souvenirs anciens : un mûrier ombrageant la porte d’une maison, un trottoir du quartier, ou encore les cieux estivaux azurés au-dessus des vieilles habitations.

L’objectif était de libérer la mémoire visuelle de la prison de la peur, et d’invoquer une terre qu’on ne voit plus mais que l’on sent toujours.

Parmi les participantes se trouvait une femme âgée, dont les cheveux mêlaient le blanc à la tristesse. Elle est restée longtemps à contempler sa feuille avant de commencer. Puis, après quelques minutes, elle a dessiné la mer. La mer de Gaza qu’elle ne voit plus.Le pinceau pleurait pour elle.

Elle dit : « J’ai tout perdu, mais je n’ai pas perdu le bruit des vagues dans ma tête. »

Elle a dessiné une vague bleu foncé, puis une autre plus claire…

« C’est ainsi que je vis, entre la dureté d’hier et l’espoir de demain. »

Elle a ajouté, en marge de son dessin, une petite phrase : « Je reviendrai. »

Vint alors le tour de l’espoir. Il fut demandé à chaque participante d’ajouter une couleur vive ou un symbole représentant un souhait ou un rêve.

Les feuilles se sont remplies de fleurs poussant sous les décombres, de soleils brillants se levant aux coins des dessins, et d’oiseaux blancs survolant les tentes des déplacés.

Une mère a dessiné ses deux enfants courant vers une colline verdoyante : « Je leur ai dit que cette colline existe encore, et qu’un jour nous y retournerons. Je la plante pour eux sur cette feuille, pour que le rêve ne meure pas. »

Dernière étape, une fresque collective a été créée sous le titre : « La fresque de la résilience ».

Chaque participante y a inscrit une phrase courte exprimant ce que la terre lui a appris sur la ténacité.

Les mots se sont dispersés sur la fresque comme un tatouage commun :

« La terre ne trahit pas », « Nous naissons des racines », « La terre est mémoire », « Chaque fleur est résistance », « Nous ne mourrons pas deux fois ».

Tisser ensemble une scène visuelle de résilience collective.

Il était clair que les couleurs, malgré leur simplicité, avaient le pouvoir d’allumer une lumière intérieure face à l’obscurité. L’art fut ici un moyen de traverser le mur du traumatisme, un espace sécurisé pour la confession sensorielle, loin des douleurs des mots.

Peut-être cette séance a-t-elle prouvé une fois de plus que les femmes savent transformer les cendres en semences, la douleur en éclat de vie. Lorsqu’on leur offre l’outil et l’espace, elles savent faire de la couleur une patrie temporaire, de l’image une mémoire de substitution, en attendant le retour de l’original. Un acte artistique de résistance.

Abu Amir 20 7 25 atelier psy femmes 2 IMG 4380 Témoignage d'Abu Amir, le 20 juillet 2025 – Trouver une langue alternative dans les couleurs de Gaza

Le dessin des femmes était une narration d’histoires volées, d’une maison absente, d’une berceuse chantée par une mère avant le sommeil. La fresque une patrie miniature sur papier, qui pousse depuis les décombres.

Ainsi, les femmes affirment une fois de plus que l’art, en temps de Nakba continue, est une forme de justice, et que la couleur, à Gaza, est toujours capable de dévoiler l’injustice et d’écrire l’espoir.

(Voir aussi les chroniques et articles postés par Brigitte Challande du Collectif Gaza Urgence déplacé.e.s quotidiennes sur le site d’ISM France et du Poing, article hebdomadaire sur le site d’Altermidi, et sur l’Instagram du comité Palestine des étudiants de Montpellier..)

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