Cette nuit froide, alors que je rentrais chez moi à neuf heures, j’ai ressenti quelque chose de différent. J’évite habituellement de rester tard le soir, de peur des voleurs qui rôdent dans les rues dans le noir. Les routes étaient presque désertes, on ne voyait presque personne passer et le froid glacial accentuait la solitude des rues vides. Mais ce que j’ai vu cette nuit-là m’a bouleversé au plus profond de moi-même, m’obligeant à repenser à tout ce en quoi je croyais.
Au bord de la route, la lumière de ma voiture éclairait une femme vêtue de noir. Son visage était recouvert d’un voile, ne laissant voir que ses yeux. Elle tenait un petit bâton dans sa main et fouillait dans une poubelle, à la recherche de restes de nourriture ou de fruits.
Le spectacle était déchirant, indescriptible. J’ai ressenti une vive douleur dans la poitrine, comme si l’air autour de moi était étouffant. J’ai arrêté ma voiture à quelques mètres de là, ne voulant pas la gêner. Je l’ai appelée doucement de loin, hésitant entre m’approcher ou rester en retrait. Elle s’est dirigée vers moi lentement, prudemment.
Quand je lui ai demandé pourquoi elle était dehors à cette heure tardive, alors que les rues étaient vides et que le danger rôdait, elle s’est mise à pleurer. Je ne pouvais voir que ses yeux remplis de larmes. D’une voix étranglée, elle m’a dit qu’elle fouillait dans les poubelles à la recherche de restes de nourriture pour ramener à ses enfants affamés.
Je n’arrivais pas à me retenir. J’ai lutté pour retenir mes larmes, mais le moment était bouleversant. Je lui ai donné de l’argent dans la main et je lui ai demandé de se rendre dans un centre alimentaire géré par une de mes amies le lendemain matin. Je lui ai dit de mentionner mon nom pour qu’ils l’aident.
Puis je suis remontée dans ma voiture et je suis rentrée chez moi, le cœur brûlant de colère et de désespoir. À ce moment-là, mes émotions ont débordé. Je ne pouvais plus croire aux slogans creux répétés par ceux qui étaient assis dans des fauteuils luxueux. Quelle est la valeur d’une patrie si elle ne peut pas fournir à son peuple les nécessités de base de la vie ? Quel est le but de la lutte si le prix à payer est la faim des enfants, les larmes des femmes et l’impuissance des hommes ? Quel genre de patrie laisse son peuple mendier dans les rues, avec des mères fouillant dans les poubelles pour trouver de la nourriture ? La situation à Gaza aujourd’hui ne peut plus supporter le silence.
Nos enfants sont devenus des mendiants dans les rues, nos femmes fouillent les poubelles à la recherche de restes de nourriture et nos hommes pleurent dans les coins, brisés par leur incapacité à subvenir aux besoins les plus simples de leur famille. Quelle humiliation avons-nous atteinte ? Comment pouvons-nous parler d’une patrie alors que notre peuple vit sous le poids écrasant de la pauvreté, de la faim et de l’oppression ?
Le peuple de Gaza a suffisamment souffert – plus que toute autre nation ne pourrait le supporter. Il a enduré la faim, le siège, les bombardements et les déplacements. Mais maintenant, il est confronté à une corruption interne qui ronge notre société comme un parasite. Les dirigeants échangent des slogans nationaux et parlent de résistance alors que le peuple meurt de faim et de désespoir. N’est-il pas temps de crier « ça suffit » ? N’est-il pas temps de faire face à l’oppression qui nous étouffe ? Le silence n’est plus une option. Garder le silence, c’est participer à cette injustice, l’accepter comme une réalité immuable. Un peuple qui attend que quelqu’un d’autre le sauve restera coincé dans cet abîme pour toujours. Nous devons agir nous-mêmes, exiger nos droits et affronter ceux qui exploitent nos souffrances à leur profit. Il ne suffit pas de blâmer uniquement l’occupation.
Parmi nous se trouvent ceux qui nous volent nos droits au nom de la patrie, qui se nourrissent de notre douleur au nom de la cause. Le temps est venu de commencer par nous-mêmes, d’élever la voix et de déclarer que cette situation ne peut plus être supportée. Garder le silence face à une telle injustice n’est pas seulement de la lâcheté, mais une complicité dans le crime commis contre nous, nos enfants et notre avenir. Gaza mérite une vie meilleure. Son peuple, qui a tant enduré sous le siège et les bombardements, mérite de vivre dans la dignité, de manger avec honneur et de dormir sans peur. Gaza, ce n’est pas des slogans ni de grands discours. Ce sont des âmes en souffrance, des cœurs brisés et des enfants qui attendent la lumière qui les guidera un jour vers un meilleur chemin.
(Voir aussi les chroniques et articles postés par Brigitte Challande du Collectif Gaza Urgence déplacé.e.s quotidiennes sur le site d’ISM France et du Poing, article hebdomadaire sur le site d’Altermidi, et sur l’Instagram du comité Palestine des étudiants de Montpellier..)