« Roger Waters dit franchement ce qu’il pense : je hais l’apartheid, pas Israël »

par Gidéon Lévy pour Ha’aretz – Article traduit et publié par l’AURDIP

Traduction J.Ch. pour l’AURDIP.

Gideon Levy a passé 24 heures avec l’ancien chanteur des Pink Floyd, qui est devenu l’une des figures phares du mouvement BDS. Une conversation autour des positions politiques, d’une tragique histoire familiale – et quand la rock star¬ virée ¬militant sera heureuse de jouer à nouveau en Israël.

Les pneus du taxi crissent doucement le long de l’allée gravillonnée qui mène à la maison. Le bâtiment gris, caché à la vue de la rue comme toutes les maisons ici, n’est pas très vaste pour Southampton, ce très riche faubourg de Long Island, New York. Une toute petite plaque de numéro, sur le côté de l’entrée de l’allée, est le seul moyen de savoir que vous avez atteint votre destination. Le chauffeur de taxi qui m’avait pris à la gare routière locale me dit que Paris Hilton a une maison dans le coin. Il ne sait pas qui vit dans la maison grise.

Je sonne à l’entrée à l’heure prévue, et j’entends un chien aboyer. Roger Waters ouvre la porte, pieds nus, en short et polo fané. Ses joues sont couvertes d’une fine barbe blanche, ses yeux bleu-gris semblent un peu fatigués et ses cheveux gris sont ébouriffés. Il traîne un peu le pas en marchant, mais son corps a l’air jeune et son sourire chaleureux. Des heures d’hésitation entre saluer cette idole de ma jeunesse avec une poignée de mains ou avec une étreinte sont balayées instantanément. Il me prend dans ses bras. Nous ne nous sommes jamais rencontrés auparavant.

Je le suis dans la maison à deux étages. Un intérieur américain avec des peintures sur les murs et de grands tapis sur le sol, un piano à queue dans le séjour. Dehors, il y a une piscine chauffée dont l’eau est maintenue étonnamment tiède, même de bonne heure par un matin frisquet. A côté de la piscine, il y a une petite salle de gym. Il y a un bon nombre de chambres, certaines réservées aux visiteurs. Et, bien sûr, un studio d’enregistrement.

Le jardin est parfaitement tenu, et on trouve des vases de fleurs bleues fraîchement coupées partout dans la maison. Toutes les fenêtres ouvrent sur une vue magnifique, une grande pièce d’eau suivie de marais verts et, au-delà, l’océan, dont on peut entendre clairement les vagues. La maison la plus proche est à une bonne distance de là et le court de tennis du voisin suédois les sépare. Dans le trajet de deux heures en bus depuis Manhattan, les gens parlaient du nouveau service d’hélicoptères vers la ville : juste 400$ par trajet, une véritable affaire.

Laurie Durning, quatrième femme de Waters, m’accueille avec une amicale poignée de mains et nous nous asseyons sur la terrasse, leur chien blanc de 11 ans nous rejoignant aussi. Laurie est très au fait de ce qui se passe au Moyen Orient, et elle a accompagné Roger pour son inoubliable concert en Israël durant l’été 2006. Elle dit qu’elle pouvait ressentir l’amour du public, peut-être même mieux que son mari.

Une quantité de pois chiches a poussé depuis dans les champs de Neve Shalom où le concert avait eu lieu devant une foule de 54.000 Israéliens. Waters dit qu’il se souvient de la quantité de friandises que le producteur Shuki Weiss avait pu stocker en coulisses. Je me souviens de cette nuit incroyable, magique, mais c’est difficile de le dire à Waters – il n’aime pas entendre les fans se répandre en flatteries « Comme vous avez changé ma vie, bla,bla, bla. »

Pour lui, les Pink Floyd – le groupe responsable de la mystérieuse bande-son légendaire de notre jeunesse, le plus grand groupe de tous les temps à mon avis – est avant tout un travail qu’il a abandonné 30 ans auparavant. Ses 20 ans avec le groupe, spécialement les dernières années, étaient devenues un cauchemar pour lui, surtout à cause de ses relations haineuses avec le guitariste David Gilmour.

Le chef d’oeuvre « Shine on You Crazy Diamond » (Brille sur toi Diamant fou), sur le premier chanteur vedette Syd Barrett, est une histoire navrante de maladie mentale et des drogues qui l’ont précipitée. Waters dit que si Barrett n’était pas tombé malade et n’avait pas cessé d’écrire, il n’aurait peut-être jamais commencé lui même à écrire des chansons. La retraite prématurée de Barrett poussa Roger à écrire ce qui est devenu l’essentiel de l’oeuvre des Pink Floyd.

Un Anglais à New York

A la main droite, Waters porte un anneau qu’il n’a pas enlevé depuis 1968. L’alliance qu’il porte à l’autre main a été remplacée plusieurs fois au cours des années. Il a trois enfants de deux de ses précédents mariages (sa première femme est morte). Durning, avec qui il n’a pas eu d’enfants, est productrice de films à New York.

Depuis de nombreuses années maintenant, Waters est un Anglais à New York, comme l’a chanté Sting. Je lui dis cela alors qu’il me conduit à ma chambre à l’étage, et il sourit. Le couple fait construire actuellement une maison d’été, non loin de celle-ci. Elle sera beaucoup plus grande dans l’espoir qu’enfants et petits enfants viendront les voir plus souvent.

L’homme qui a chanté « Money, it’s a crime » (l’argent, c’est un crime) vit bien. Il a également une maison de ville au centre de Manhattan et une maison de vacances en Angleterre, qu’il n’utilise pas beaucoup. Deux conduites intérieures Mercedes d’un noir brillant sont garées devant la maison ; l’une des deux est un convertible. Pourtant, il se comporte comme un type modeste, dépourvu des prétentions des rock stars. Ici chez lui du moins.

Il a un manager personnel britannique, Mark Fenwick, qui travaille avec lui depuis qu’il a quitté les Pink Floyd, et un majordome hongrois, Csaba Kralik, qui est avec lui depuis 15 ans. Ce dernier ne vit pas avec le couple, mais il pourvoit à tous leurs besoins et les accompagne dans leurs voyages.

La militante de la paix Nurit Peled-Elhanan, fille de feu le général de brigade Matti Peled, tient Waters régulièrement informé de ce qui se passe avec l’occupation. Il a aussi un ami à Bil’in qui lui envoie toutes les semaines des images des manifestations qui s’y tiennent. Après le concert à Neve Shalom, il est retourné une fois en Israël et dans les territoires, invité par l’UNRWA, et a mis un point d’honneur à apposer sa signature sur la barrière de séparation de Cisjordanie. Il pense que « The Wall » (le Mur) est le meilleur album des Pink Floyd.

Ces dernières années, Waters a consacré une bonne part de son temps au mouvement boycott, désinvestissement et sanctions (BDS). Tout artiste qui veut se produire en Israël reçoit de sa part une lettre de réprimande. Neil Young a finalement annulé pendant la guerre de Gaza l’été dernier, mais Waters dit qu’aucun artiste n’admet jamais qu’il a annulé à cause de lui. Cyndi Lauper, Robbie Williams et même le vieil ingénieur du son des Pink Floyd, Alan Parsons – pour en citer quelques uns – n’ont pas tenu compte de ses demandes insistantes et se sont produits en Israël. Mais il ne fait aucun doute qu’il a créé un nouveau climat international.

L’implication de Waters dans le combat contre Israël a réellement commencé après la représentation qu’’il y a donnée neuf ans plus tôt. A l’époque, lui aussi a reçu des lettres l’exhortant à ne pas se produire, mais il les a ignorées. Au départ, il était supposé se produire à Tel Aviv, mais il a changé le rendez-vous pour Neve Shalom dans l’idée que le public serait à la fois arabe et juif. Mais les Arabes ne sont pas venus, et il en fut déçu. Aujourd’hui, il refuserait de se produire où que ce soit en Israël.

« J’étais si ignorant alors », dit-il. « Aujourd’hui, les artistes sont mieux informés.

Quelques uns des artistes auxquels il s’adresse pensent qu’il est un peu dérangé ; d’autres craignent de mettre en péril leur gagne-pain, tandis que certains disent que politique et musique devraient rester séparées. Waters n’est pas d’accord. Il est déterminé à combattre l’occupation et ce qu’il voit comme un Etat d’apartheid.

Croyez ce que vous voulez, mais Waters ne hait pas Israël. Il est profondément outragé par les injustices que celui-ci commet. Quand il parle d’Israël, c’est avec douleur, critique et colère, mais pas avec haine. Et l’antisémitisme ne fait pas ici partie du portrait, en dépit du spectacle où il avait mis un cochon sur une étoile de David, avec d’autres symboles religieux, lors de sa tournée européenne de 2013, ce qui avait fait naître ce soupçon.

Waters a des petits enfants juifs par sa belle-fille juive. Le chiffre tatoué sur l’avant-bras d’une amie de sa mère, survivante juive française de l’Holocauste, lui avait fait une forte impression quand il était enfant. Il se souvient qu’elle était constamment anxieuse : « Je me souviens qu’elle était terrifiée pour ses enfants. Ses gamins n’avaient pas le droit d’aller canoter avec nous. Tu peux imaginer. Bon, tu ne peux pas, aucun d’entre nous ne peut imaginer. Mais je m’en souviens, je me souviens que je pensais : Pourquoi cette femme a-t-elle peur de la rivière ? Tu sais, tout l’effrayait ; elle avait même peur de son ombre. »

Pourquoi Israël ?

C’est difficile de ne pas le croire, lui si sincère et ouvert. Sa maison n’est pas fermée à clef ; même tard le soir, les portes sont grandes ouvertes. Il ressent fortement qu’il faut remédier à l’injustice faite aux Palestiniens et il croit vraiment qu’il se donne du mal au profit de cette cause. En agissant ainsi, il croit qu’il travaille aussi pour le bien des Israéliens.

Pourquoi cette injustice en particulier et pas une autre, et même de pires ? Waters dit que, à l’époque de l’apartheid en Afrique du Sud, plein d’autres atrocités étaient commises dans le monde, mais personne ne demandait, pourquoi l’Afrique du Sud. Pourquoi Israël ? Parce qu’on peut y porter remède et y changer les choses, exactement comme en Afrique du Sud.

Peut-être que tout a commencé avec son père, communiste et pacifiste qui fut ambulancier volontaire pendant le Blitz de Londres, finalement engagé dans l’armée britannique pour combattre les Nazis et qui fut tué par un obus tiré d’un tank en Italie. Son corps n’a jamais été retrouvé.

Dans un nouveau film qui sort en Septembre, « Roger Waters : The Wall » (le Mur), on voit Waters jouer de la trompette à l’endroit en Italie du Sud où son père est mort, à côté d’un plaque commémorative placée là. Par des lettres que son père a écrites à sa grand-mère, Waters a appris que son père avait étudié à Jérusalem pendant deux ans. Son grand-père a lui aussi été une victime de la guerre : Il a été tué pendant la première Guerre Mondiale et il est enterré en France.

Waters n’a jamais rencontré son père, Eric Fletcher Waters ; il n’avait que cinq mois et demi quand Eric fut tué en 1944. Sa mère, Mary, les a élevés lui et son frère comme une mère célibataire à Cambridge. Elle aussi était communiste – et elle a élevé ses enfants dans la recherche de la justice. Son frère est un chauffeur de taxi à la retraite ; leur mère est morte six ans plus tôt en 96. Roger l’emmenait parfois aux concerts des Pink Floyd, et il dit que les autres membres du groupe y amenaient aussi leurs parents.

Waters aura 72 ans en septembre. Lorsqu’il était enfant, il pensait devenir vétérinaire, et plus tard, il a étudié l’architecture. C’est un type très charmant et chaleureux, et qui aime boire du vin blanc. Quand il le fait, il s’ouvre encore davantage et devient très amusant. Vous devriez voir son imitation de Mikhail Gorbachev, qu’il a rencontré une fois. Il adore cuisiner et le fait tous les jours. Les pâtes linguines qu’il avait préparées pour le déjeuner étaient assez épicées pour nous mettre les larmes aux yeux. Le soir, il a fait cuire une superbe tarte tatin. Il avait attaché sur le moule une petite note en jaune qui disait « Attention, brûlant. Ne pas toucher. »

Les chansons contre la guerre

Tout ce que Waters a écrit ces quelques dernières années revêt un aspect politique, principalement contre la guerre. Dans l’une des nouvelles chansons sur lesquelles il travaille encore, Waters chante en Français : « Je suis Charlie. Je suis Juif. » Il a écrit cette chanson après les attaques terroristes de Paris en janvier dernier. C’est ce qui arrive quand votre père et votre grand-père ont tous les deux été tués à la guerre.

Nous sommes restés assis dans le studio jusqu’à 2 heures du matin, à écouter ses nouvelles chansons. Dans le studio, son bureau est couvert de piles de papiers – nouvelles chansons avec des tas de notes et de corrections. Tard le matin – il a l’habitude de se lever tard – je l’ai vu assis dans la cuisine à moitié habillé, en train d’écrire des lignes sur un petit bout de papier. Dans le studio lui même, il n’y a aucune trace des Pink Floyd. Waters n’est ni nostalgique ni sentimental. Il n’est pas un collectionneur de souvenirs. Il n’a même pas une guitare de cette époque là.

Il est en train d’écrire une autobiographie, a joué au Festival Folk de Newport la semaine dernière, et envisage de faire une autre tournée mondiale l’année prochaine. C’est un homme occupé et actif. De temps en temps, il joue au golf. Il a aussi une table de billard dans le studio ; le majordome hongrois dit que Waters bat tous ses invités.

J’ai dit à Waters que, quand j’étais étudiant, mon compagnon de chambre et moi avions un règle stricte Quand l’un de nous jouait les Pink Floyd, l’autre devait rester hors de la maison. « Dark Side of the Moon » (La face sombre de la lune) fut la bande-son de beaucoup de nuits d’amours naissantes, de conversations intimes et de confessions personnelles.

Dans l’hôtel de Manhattan avant mon départ pour les Hamptons, j’avais à nouveau écouté l’album et trouvé que la magie était toujours présente, même après toutes ces années.

Pendant les deux jours où je fus son hôte, nous sommes montés deux fois dans son studio pour de longues séances d’interview. Waters répondit volontiers à toutes mes questions. A un moment, nous nous sommes arrêtés pour observer des faons qui étaient entrés en gambadant dans le jardin pour paître.

Quand et comment a débuté ton engagement politique dans le Moyen Orient ?

« On m’avait fait une offre pour jouer en Israël, et c’est là que ça a réellement commencé. Cela a réellement commencé pour moi sans réfléchir – parce que j’étais si naïf en 2006. Je n’y pensais pas. Quand mon agent a conclu l’affaire avec Shuki Weiss et a accepté le concert à [Hayarkon Park] à Tel Aviv, j’étais occupé à d’autres choses, à mon éternelle honte… mais j’ai alors commencé à recevoir des mails.

De qui ?

« Il y avait des centaines d’organisations différentes, principalement du Moyen Orient et d’Afrique du Nord. Mais il y en avait d’autres, des Européens, et les gens disaient : ’En êtes vous sûr ? Connaissez vous cette nouvelle organisation ?’ Parce que c’était nouveau en 2006 BDS. Mais leur voix était très mesurée et persuasive et j’ai engagé un dialogue avec eux. »

Ils vous disaient de ne pas y aller ?

« Oui, ils me disaient de ne pas venir. Ils disaient que j’allais encourager l’occupation. Comme j’ai dû être naïf… Certainement, vivant ici aux Etats Unis – et je présume que c’est la même chose au Royaume Uni – la hasbara [diplomatie publique israélienne] est extrêmement puissante.

Finalement, j’ai annulé ce concert mais, à la place, je suis allé à Neve Shalom. »

Qui vous a suggéré Neve Shalom ? Qui en a eu l’idée ?

« Je n’en ai pas la moindre idée. Je n’arrive pas à m’en souvenir. Mais j’ai du faire plein de recherches et j’ai entendu parler de cet endroit – où la population juive et des chrétiens et des musulmans essaient de vivre ensemble dans une communauté agricole, et ils élèvent leurs enfants ensemble avec toutes les expériences et les tribulations que ce genre de société d’intégration exige nécessairement de ses citoyens. C’était et c’est encore une magnifique expérience et on devrait l’encourager de toutes les façons possibles.

« Le concert a été fantastique. Mais – et c’est un grand ’mais’ – à la fin, j’ai fait un petit discours politique et soudain, c’était comme si j’arrivais de Mars lorsque je suggérai que c’était cette génération de jeunes Israéliens qui devrait faire la paix avec ses voisins. Ils sont devenus très, très calmes. Plus tard, je pensai aux implications des restrictions de circulation et je réalisai qu’il était pratiquement impossible qu’il y ait des Palestiniens ou des Arabes dans le public, et cela m’a mis très mal à l’aise.

Mais pendant le concert lui-même, qu’avez vous ressenti ?

« Les concerts sont dans la séduction, surtout quand vous êtes sur la scène avec des gens qui disent ’Ouah, comme tu es chouette !’ »

Avez vous senti tout l’amour qu’on vous envoyait ?

« Oui, c’était fantastique, je le sentais.Peut-être que je ne devrais pas vous raconter cette histoire, mais je vais le faire. Quand je suis allé à Jenine [en 2009], j’ai rencontré Ismail, l’homme dont le fils était au centre du film ’Le Coeur de Jénine’ sur le petit Palestinien tué par balles… »

Et ses organes ont été donnés aux Israéliens.

« Et ils ont fait don de ses organes, c’était donc très émouvant. Et puis, à Jérusalem ils m’ont dit : ’Voulez vous venir parler aux étudiants à l’école de cinéma ?’ Et j’ai pensé : Quelle belle opportunité.

« Alors un jour, je me présente, et tout le monde était en effervescence dans une salle pleine de 150 jeunes gens entourés de tous leurs professeurs, et je n’aurais pas pu être mieux accueilli. Je les remerciai de me recevoir et leur demandai de quoi nous devrions parler. Et ils restèrent silencieux, alors j’ai dit : ’D’accord, je vais vous dire de quoi nous devrions parler. Combien d’entre vous ont vu le documentaire ’Le Coeur de Jenine’ ? Et ils auraient aussi bien pu avoir des volets en acier inoxydable derrière les paupières.

« J’ai commencé à en parler, mais c’était comme si j’étais devenu un Martien ou je ne sais quoi. Soudain, je pouvais voir la dégoût et l’horreur de m’entendre en parler. Et cela m’a mis très en colère. Je n’ai pas crié, mais j’ai dit : ’Il y a quelque chose qui ne va pas à propos de ce film.’ Aussi, quelque merveilleux et plein d’amour qu’ait été le fait de jouer pour ce public de jeunes gens, ce fut horrible. »

’Je ne suis pas un prophète’

Pensez-vous que vous avez trouvé la vérité à propos du Moyen Orient ?

« Je ne sais pas, je ne suis pas un prophète. Personne ne m’a remis une série de tablettes en me disant : ’C’est la vérité.’ Je dois le découvrir tout seul. Ce que je sais, c’est que, qui que ce soit dans n’importe quel camp de n’importe quelle guerre, si quiconque lâche des bombes et tue des enfants – je sais que je suis dans l’autre camp. Ainsi, je vis aux Etats Unis et je ne pourrais pas être plus passionnément opposé à la Guerre contre le Terrorisme – aux drones armés en particulier.

Et là, nous touchons le coeur du sujet, car en Israël, beaucoup de gens demandent : Pourquoi Israël quand il y a tant d’autres pays qui font la même chose ?

« Eh bien, si vous êtes déterminés à vous tenir du côté de la vérité, de la justice, de la liberté, des droits de l’Homme, des libertés individuelles, de l’égalité politique et de la liberté d’adorer ce que vous voulez, tout cela – de temps en temps émergent des situations qui réclament votre attention plus qu’aucune autre, parce qu’elles sont flagrantes et qu’elles durent depuis extrêmement longtemps. Les gens se plaignent aussi de quiconque fait des comparaisons entre l’Afrique du Sud et Israël. Pourtant, particulièrement dans les territoires occupés – mais aussi à mon avis en Israël – ces comparaisons sont valables.

Dans les années 70 et 80, la question ne se posait pas – nos regards étaient tous concentrés sur l’Afrique du Sud parce que c’était le point de convergence. C’était l’endroit où il semblait que tous ceux qui prenaient part au Mouvement Anti-Apartheid, comme on l’appelait alors, pouvaient agir et pouvaient provoquer des changements de politique dans cette petite partie du monde. Israël est maintenant ce petit morceau du monde. Que les Israéliens ou qui que ce soit d’autre aiment cela ou non, c’est juste ainsi. »

En Israël, on parle de toi comme n’écoutant pas les deux côtés. Est-ce que tu écoutes le côté israélien ?

« D’accord, dis moi ce que c’est et je t’écouterai. Je veux dire, tu es la personne idéale pour me dire ce que c’est, parce que je t’ai lu et j’ai le sentiment que nous avons beaucoup en commun. D’une certaine manière cependant, peut-être que je ne devrais pas parler avec toi ; peut-être que je devrais parler avec [le Premier Ministre Benjamin] Netanyahu. Bon, manifestement non. Je ne pourrais pas. Un jour, j’étais au téléphone avec |l’ambassadeur d’Israël aux USA] Ron Dermer. Peut-être pensait-il pouvoir me retourner. Ce fut comme avoir une conversation avec un pit bull. »

Qu’est-ce que Dermer t’a dit ?

« Il a simplement lancé ’Eh, nous voulons tous la paix », et j’ai dit que si nous pouvions faire la paix, alors ce serait fantastique. Il m’a dit que la paix serait là instantanément s’il y avait une seule personne de l’autre côté à qui parler. »

Et que lui as-tu répondu ?

« Rien. Ce n’était pas une conversation possible. Où peut avoir lieu cette conversation ? Parce qu’il s’agit d’une conversation très difficile. Nous avons vu récemment dans les informations la lettre d’Hilary Clinton [à Haim Saban] où elle promettait d’aider à détruire le mouvement BDS si elle était élue présidente. J’ai dit : ’Quoi ? Est-ce cela la démocratie à l’oeuvre ?!Vous me donnez de l’argent et alors je détruis BDS ? Où pourrait-il y avoir une conversation sensée ?Personne ne sait ce qui va arriver. Mais ce que nous savons parfaitement c’est que mettre encore plus d’armement là dedans n’aidera personne.

Alors peut-être que BDS devrait viser les Etats Unis et que tu devrais arrêter de te produire à Carnegie Hall ?

« A un certain moment, ce pourrait devenir ce qu’il faudrait essayer, démarrer un mouvement de boycott d’une façon ou d’une autre aux Etats Unis. Mais ce moment n’est pas venu. Je fais partie de ce mouvement BDS qui s’étend très vite dans les universités – c’est pourquoi des gens versent des millions de dollars dans les universités pour essayer de les acheter [les étudiants]. Vous ne pouvez pas les acheter. Ce sont des jeunes. Ils ne sont pas vendre.

« Dans un article que j’ai écrit un an plus tôt, je parlais de l’AIPAC [lobby pro-Israël] : Quand Netanyahu a parlé à l’AIPAC il y a deux ans, il a mentionné 17 fois BDS dans son discours. L’année précédente, ça n’a jamais été mentionné à personne, nulle part. C’est un changement énorme. »

N’y a-t-il pas un danger que BDS unisse les Israéliens et les rende encore plus nationalistes ?

« Je ne le pense pas. Je pense que cela donnera de la force aux Israéliens qui n’apprécient pas leur politique intérieure et étrangère, de savoir qu’ils ont des amis et des soutiens en dehors du pays, qui se tiennent à leurs côtés et les applaudissent, admirant le courage qu’il faut pour être Israélien et se dresser pour défendre ce qui est juste et bon, humain et d’une grande importance.

« Je ne suis pas religieux, mais j’ai dans l’idée que, et ceci s’apparente beaucoup plus au Judaïsme et aux principes humains qui le fondent, c’est que ces gens ne sont pas sans importance. Ils sont peu nombreux, mais leur nombre a un sens. Au moins, ils sont actifs d’une certaine manière.

« Quelle alternative avons nous ? Quelqu’un me proposera-t-il un alternative à cette protestation non-violente si nous croyons que l’occupation est une erreur et si nous croyons que les citoyens palestiniens d’Israël devraient être régis pas les mêmes lois que les citoyens juifs d’Israël ? »

Mettre fin à l’occupation

Nous arrivons là à la question des buts de BDS qui sont présentés de manière floue en Israël par le gouvernement israélien.

La fin de l’occupation signifiera-t-elle le démantèlement de BDS ? Est-ce un but suffisant ?

« Oui, nous parlons d’égalité devant la loi. »

Et le Droit au Retour [des Palestiniens] – il en fait aussi partie, non ?

« Ouais, bien sûr. »

Sur la base de l’égalité ?

« Oui, sur la base de l’égalité. Je dirais aux gens comme Ron Dermer : ’Quelle est votre solution ? Que voulez vous faire ?’ Bon, nous savons qu’ils en ont une, mais ils ne peuvent pas encore la sortir. Un Plus Grand Israël – Je les soupçonne d’avoir cette solution, pour conserver l’apartheid. »

Une solution à deux Etats ou une solution à un Etat ? As tu une préférence ?

« Parce que je suis un athée radical, ma préférence personnelle irait à un Etat démocratique, laïque, avec égalité des droits pour tous ses citoyens avec le droit de vote universel, des droits de propriété égaux, la liberté de pratiquer la religion que vous voulez. Je suis très opposé aux théocraties. »

Mais cela n’a pas marché dans beaucoup d’endroits dans le monde, y compris en Irlande du Nord.

« D’accord, c’est un point intéressant. Je reconnais comme toi qu’une Irlande divisée peut ne jamais marcher. Mais nous ne savons pas ce qui va marcher. A un certain moment, on avait décidé que ce serait une solution à deux Etats. Que ce petit morceau [au Nord] allait continuer à faire partie du Royaume Uni, et que le reste allait être une république démocratique.

« S’il y avait deux Etats laïques, pourquoi pas ? Je me soucie tout autant des enfants juifs que des enfants arabes. Je m’inquiète pour les gens qui n’ont pas d’avenir avec possibilité de travailler, de gagner leur vie, s’asseoir à table avec leur famille et faire des projets pour l’avenir, et prendre des décisions au sujet de l’eau et de toutes ces choses qui sont réellement en train d’apparaître partout dans le monde à propos de ce que nous allons faire des océans. Ou de plus vastes questions de conservation et d’écologie ou de réchauffement planétaire, ou ci et ça. On ne peut s’intéresser à aucune de ces choses quand on s’envoie des bombes par dessus un mur. On n’a pas le temps de faire quoi que ce soit de sensé ou d’adulte.

« Alors, je ne sais pas quelle est la réponse – mais je sais que ceci n’est pas la réponse. Ce statu quo n’est pas la réponse et, à mon avis, on ne peut maintenir un statu quo construit sur l’idée que c’est bien d’expulser les gens de leurs maisons – que ce soit les maisons des gens qui habitent Jérusalem Est maintenant, ou les gens qu vivaient dans des villages pendant la Nakba [terme palestinien pour la création d’Israël en 1948] ; Ces deux choses ne sont pas justes et il est très difficile de soutenir un pays fondé sur l’invasion et la colonisation. »

Est-ce que tu comprends le sentiment qu’ont beaucoup d’Israéliens que le peuple juif a droit à son propre pays après tout ce qu’il a traversé ? Et que la solution à un Etat signifie pour eux l’extermination ?

« Bon, c’est juste absurde ! Les gens disent toujours : ’BDS tente de délégitimer Israël.’ Non, ce n’est pas vrai. Il essaie d’arrêter l’oppression des Palestiniens, des Bédouins et des autres peuples arabes de la région que vous opprimez. Il essaie de vous faire cesser d’opprimer vos camarades humains. Il n’essaie pas de délégitimer Israël. »

Un de Klerk israélien ?

Alors donne moi le scenario où tu reviendrais te produire en Israël. Qu’est-ce qui doit se passer – et j’en parle symboliquement.

« Quand toi et moi pourrons nous asseoir ensemble à boire un verre de vin et nous regarder dans les yeux et nous tenir la main et dire : ’Bravo ! Nous, eux, nous -tout le monde l’a fait.’ Nous pouvons voir que nous l’avons fait : Tout le monde a les même droits, personne ne tue personne. Alors je te promets que je viendrai jouer ’The Wall’ intégralement.

Allons nous jamais atteindre cet instant ?

« J’ai eu des conversations avec [Mikhail] Gorbachev en 2002 ou 2003. Si, au milieu des années 80, toi et moi avions demandé : ’Allons nous voir le Mur de Berlin tomber au cours de notre vie ?’ – On aurait eu beaucoup de mal à répondre à cette question. Mais nous ne connaissions pas Gorbachev alors. C’est un homme absolument remarquable – mes deux immenses héros depuis Gandhi sont Nelson Mandela et Gorbachev. Aussi qui aurait pu savoir ? Les choses peuvent arriver. Peut-être y a-t-il un Mandela quelque part dans une prison israélienne. »

Peut-être que nous avons besoin d’un F.W. de Klerk ?

« Si tu regardes dans une de mes récentes pages d’opinion, elle dit : ’il est peut-être beaucoup plus facile de trouver un Mandela palestinien que de trouver un De Klerk.’ Mais nous ne pouvons pas abandonner l’espoir. Nous ne pouvons pas dire que c’est trop difficile, parce qu’abandonner même un seul enfant, c’est un enfant de trop. Et les images qui nous arrivent de Gaza sont si révoltantes et si déchirantes que ces gens… et je ne dis pas que, si quelqu’un commet un attentat suicide en se faisant exploser dans un bus de Tel Aviv ou de Jérusalem, ce n’est pas déchirant – bien sûr ce l’est, c’est tout aussi horrible. »

Est-ce que les artistes et les institutions universitaires devraient vraiment être tout en haut de la liste des boycotts ?

« Non. Il y a un certain nombre de politiques israéliens – [Shimon] Peres pourrait bien en faire partie – qui ne peuvent venir en Angleterre parce qu’ils seront arrêtés comme criminels de guerre à la seconde où ils y mettront le pied. Parce qu’il y a un appareil judiciaire qui, une fois qu’un acte est défini comme crime de guerre, même selon l’avis du Tribunal Criminel International, alors vous avez des motifs pour arrêter quelqu’un. Un certain nombre de politiques israéliens ont dû repartir chez eux parce qu’ils ne voulaient pas prendre le risque d’être envoyés en prison au Royaume Uni. »

Est-ce que Khaled Meshal, le chef politique du Hamas, serait arrêté s’il venait au Royaume Uni ?

« Je ne sais pas. J’aurais besoin d’un avis juridique pour savoir s’il existe des preuves que Meshal a commis des crimes de guerre. Je n’ai pas vu de preuves en ce sens. »

Mais tu as vu Shimon Peres commettre des crimes de guerre ?

« Nous avons tous vu les massacres au Liban Sud. »

Un critique musical israélien que je connais, grand expert des Pink Floyd, voulait que je te demande ceci : Pourquoi ne critiques tu pas le Hamas également ? Et aussi, sais-tu ce que l’on ressent quand on est sous la menace constante des roquettes Quassam ? Que c’est comme être à Londres pendant le Blitz ?

« C’est d’une absurdité absolue. Je connais un peu le Blitz de Londres. Mes deux parents y étaient et y travaillaient pendant tout cette période, et nous avons vu les dommages. Des morceaux de Londres ressemblaient un peu à Gaza aujourd’hui. Tu ne peux pas me montrer un seul endroit dans l’État d’Israël qui ressemble, même faiblement, à ça, parce que les roquettes ne frappent jamais rien – ou, très occasionnellement, elles arrachent quelques éclats d’un arbre quelque part.

« Elles [les roquettes] ne servent strictement à rien, tout le monde le sait. Elles sont un geste de résistance, c’est tout. Elles pourraient atteindre quelque chose, mais elles ne le feront pas. Et si elles le font, elles pourraient tuer une personne, ou deux, et très occasionnellement elles le font Mais on ne peut comparer cela au Blitz de Londres. Ce furent des milliers de bombardiers qui lâchèrent des centaines de tonnes de bombes hautement explosives. Toutes les nuits.

« Mais ce qui se passe avec le Hamas, oui, je le condamne. En fait j’ai souvent écrit à ce sujet. J’ai dit que ce n’était pas bien, quelle que soit leur [des missiles] inefficacité – ce n’est pas se défendre que de les envoyer depuis Gaza. S’ils étaient directionnels et s’ils savaient où ils allaient atterrir, alors ce serait tout à fait justifié de les envoyer sur des cibles militaires israéliennes – ils ont été attaqués, ils continuent à être attaqués tout le temps, et ils ont un droit et un devoir absolus de résister avec des moyens militaires. C’est défini explicitement dans les Conventions de Genève et toutes les lois normales de la guerre : qu’un peuple occupé a le droit absolu et la responsabilité de résister à l’intervention militaire de l’envahisseur. Israël est l’envahisseur. »

’Réduire à néant la bienveillance’

Qu’aimerais tu dire aux Israéliens ?

« J’aimerais leur dire qu’en 1945, ou 47-48, vous bénéficiez de la bienveillance, de la sympathie et des bons vœux de tout le reste du monde. Vous étiez un peu comme les Etats Unis après le 11 septembre. Mais vous avez tristement réduit à néant cette bienveillance et vous avez besoin de regarder ce qui s’est passé en 47-48, et ce qui s’est passé depuis. Mais pour le bien de votre pays et de ses habitants, vous devez admettre que vous avez fait des erreurs. Et vous devez trouver le courage de vivre avec vos voisins. Vous avez besoin de courage. Il faut du courage pour regarder la réalité, plutôt que d’essayer de maintenir l’image d’une fausse réalité. »

Mais quand tu vois ce que fait Israël, ne ressens-tu pas de la haine envers Israël dans son ensemble ?

« Vous avez une très forte industrie d’armement en Israël, c’est l’un de vos aspects les plus importants. Je déteste cela. Mais c’est aussi le cas des Etats Unis et du Royaume Uni, et aussi de la Belgique et de la Russie – et bientôt de la Chine, si on leur en donne l’occasion. Aussi, le fait que nous déversions de la technologie et des investissements dans une course aux armements, c’est dégoûtant et c’est quelque chose dont Israël devrait simplement avoir honte, tout comme les USA. Ne commencez pas à fabriquer des drones et des armes guidées par laser et tout ça. Je ne cible pas seulement Israël, bien évidemment.

« Les Israéliens, ce ne sont que des gens. Je ne peux pas haïr des gens. Quelques individus, quelques politiques surgissent de temps en temps qui sont quelque peu haïssables. Mais même alors, quelqu’un comme votre premier ministre – on se sent en quelque sorte triste pour lui, parce qu’il me semble être le produit de tant de conneries. Je ne voudrais pas paraître arrogant. Je ne suis pas un saint – mais je suis beaucoup plus saint que lui, ça c’est sûr. Il a fait ce discours au Congrès, et ils se sont tous levés, assis, debout comme des putains de yoyos. Tu parles d’une réplique dont Pavlov aurait été fier. »

Que dis-tu à ceux qui pensent qu’il suffit de boycotter le projet de colonisation, mais pas Israël ?

« Je pense que plus BDS deviendra visible, plus il est probable qu’il ait un effet positif sur l’issue finale de la situation qui existe entre le peuple israélien et le peule palestinien. Par exemple, ce dans quoi je suis impliqué, comme le boycott culturel, si j’ai essayé de persuader des gens de ne pas faire de concert – exactement sur le modèle anti-apartheid – cela ne servirait pas à grand-chose si je leur disais : ’N’allez pas donner de concerts dans les colonies.’ Les colonies sont un énorme problème, annexer les territoires occupés – ou une partie d’entre eux – comme ils le font. Mais il faut faire porter la pression sur le gouvernement d’Israël. Et tout ce qui peut mettre en lumière cette nécessité, c’est bien. De mon point de vue, le plus large c’est le mieux. Le restreindre aux seuls projets de colonisation n’est pas suffisant. »

Que penses-tu des artistes qui viennent jouer en Israël et qui disent : « Ne mélangeons pas musique et politique » ?

« En réalité, ils ne disent pas : ’Ne mélangeons pas politique et musique.’ Ils disent vraiment : ’Je me soucie plus de mon travail et de ma carrière que je ne me soucie de ces populations opprimées. Je suis très heureux de m’intéresser aux populations opprimées, mais pas au point de les laisser interférer dans ma carrière. Voilà ce qu’ils disent. Ils se révèlent donc comme des gens qui n’en ont rien à faire. Ils n’ont rien à faire de ce qui se passe à Gaza. «

Et ceux qui disent : « J’irai jouer là-bas et j’essaierai de convaincre les Israéliens » ?

« Je peux les regarder les yeux dans les yeux et leur dire : ’Vous êtes sur une fausse piste, vous n’y arriverez pas. Vous n’allez pas faire changer d’avis les gens de la Knesset et les amener à se comporter d’une façon légale, juste et humaine envers les Palestiniens sous occupation à Gaza et en Cisjordanie.’ Cela ne marchera pas. Cela ne marche pas. Dans les années 80 et 90 en Afrique du Sud, cela n’a pas arrangé les choses quand Rod Steawart et Elton John et Dionne Warwick et quels qu’aient été les rares autres – il y en eut très peu – comme Queen, sont allés jouer à Sun City.

« Cela n’a pas apporté un gramme d’aide au changement de politique. Ce qui a aidé, c’est quand nous n’avons pas voulu aller jouer au rugby contre eux. Et ils n’ont pas pu concourir aux Jeux Olympiques. Et beaucoup d’artistes ont refusé d’aller même à Sun City, et personne n’est allé en Afrique du Sud elle même. Et cela a fait toute la différence, et finalement, cela a largement changé les choses.

« Non, il faut que ce soit un mouvement politique, et il faut qu’il grandisse, et il faut qu’il y ait des milliers et des milliers de personnes, et il faut qu’elles viennent de partout dans le monde – et elles doivent toutes se rassembler en solidarité avec le peuple occupé. Et en solidarité avec le peuple israélien aussi, parce que ceci n’est pas la vie qu’aucun d’entre eux devrait mener. C’est malsain pour tout le monde. Personne n’y gagne. »

Que dirais tu à un Israélien qui pense qu’une intervention extérieure est anti-démocratique et qui dit : « Nous devrions décider de notre avenir par nous mêmes » ?

« Qu’est-ce que je dirais à ce genre de personne ? Je leur dirais : ’Si vous aviez vraiment une démocratie dans l’État d’Israël – s’il y avait quoi que ce soit qui y ressemble à l’intérieur de la Ligne Verte, dans les frontières de 67, à l’intérieur du quoi que ce soit – si vous répariez toutes ces maisons que vous avez détruites à Jérusalem Est, et si vous laissiez y revenir les gens qui y vivaient avant que vous ne les jetiez dehors, et si c’était une démocratie, et si vous n’occupiez pas toute cette autre terre, etc et ainsi de suite, et si vous n’étiez pas en train d’essayer de réduire le nombre des autres populations indigènes non juives dans cette zone – si tout ceci existait, eh bien oui, je vous applaudirais vraiment, vous et votre Etat’.

« Mais cela ne se produit pas. Et je suppose que vous pourriez plaider pour qu’il soit un Etat juif – personnellement, je pense qu’il est hautement dangereux de donner à une religion quelle qu’elle soit le pouvoir de contrôler un pays tout entier et tous ceux qui y vivent. »

Les Israéliens parlent du peuple juif, pas seulement de la religion juive.

« Bon, je ne suis pas l’un d’entre eux, ce n’est donc vraiment pas mes oignons, si vous voyez ce que je veux dire. Ce serait comme parler de l’Ecosse – ’Oh, nous sommes les Ecossais’. D’accord, très bien, parfait, OK. Manifestement, en ce moment les Ecossais discutent de savoir s’ils vont continuer à faire partie du Royaume Uni, mais ils ne vont pas brusquement commencer à introduire des lois pour que ceux qui ne sont pas Ecossais soient chassés ou ne soient pas autorisés à avoir un droit de propriété. Ou bien, ’J’ai deux séries de lois : l’une pour ceux qui sont Ecossais, l’autre pour ceux qui ne le sont pas.’ Ceci, ce n’est pas une démocratie. C’est un Etat d’apartheid où les gens sont traités différemment et soumis à des lois différentes, selon leur race ou leur religion.

« Quand vous voyez les images, et que vous voyez les visages des enfants, et que vous voyez les blessures, et que vous regardez les décombres, et les ordures, et la saleté, et les égouts à ciel ouvert – vous pesez simplement : je dois continuer à travailler là-dessus. »

’Nous prenions la musique très au sérieux’

Parlons maintenant des Pink Floyd.

« Pourquoi pas ? »

On dirait que cette page est complètement tournée pour toi. Est-ce que tu écoutes les Pink Foyd de temps en temps ? Les vieux disques ? Par exemple, quand as-tu écouté « Dark Side of the Moon » pour la dernière fois ?

« Probablement avant que je l’emporte sur la route la dernière fois. Juste pour me rappeler exactement quels étaient les arrangements et comment nous avions assemblé les chansons. »

Pas de nostalgie ?

« La nostalgie ? Oh oui, bien sûr. Je veux dire, le travail que nous avons fait ensemble, de 1965 jusqu’à notre séparation – qui a eu lieu en 1985 – ce fut beaucoup de travail, et je pense que, pour une bonne part, ce fut du très bon travail. Et ce travail fut certainement très amusant. Le travail est plus amusant que l’amusement. Le travail, c’est le vrai jeu, certainement pour moi. Je ne suis jamais plus heureux que quand je travaille. »

Il n’y avait pas moyen de continuer ?

« Non, les gens se séparent tu sais. Nous étions quatre personnes différentes – eh bien, après que Syd soit devenu fou et que David ait rejoint le groupe, alors nous étions quatre – et nous étions des personnes très différentes. Je me suis fait un ami dans le groupe, c’était Nick Mason ; je n’ai jamais été vraiment proche de Rick Wright et de David Gilmour, et nous nous sommes éloignés philosophiquement et politiquement – et même musicalement. Et David et moi avons commencé à vraiment nous affronter après ’Dark Side of the Moon’. Et ça a continué tout au long de ’Wish You Were Here’, ’Animals’, ’The Wall’ et ’The Final Cut’ (’J’aimerais que tu sois là’, ’Animaux’, ’Le Mur’ et ’Le Montage Final’. C’était donc pour moi la seule chose à faire, arrêter de le faire. »

Et tu penses que c’est irréversible ?

« Oui, bien sûr. »

Pourtant vous vous êtes à nouveau réunis une fois pour Live 8 en 2005.

« Oui, mais nous nous en sommes juste sortis. Et le concert fut assez bon, l’ambiance était bonne. Mais cela a absolument renforcé le fait que, 23 ans plus tôt [quand ils ont enregistré ’The Final Cut’] j’avais pris la bonne décision, ne plus jamais avoir rien à faire à nouveau avec eux. »

Alors, quand est-ce que toi et David Gilmour vous vous êtes parlé pour la dernière fois ?

« Nous avons été en contact l’année dernière. »

Tu as dit des choses très dures sur lui dans le passé. Des regrets ?

« Non, pourquoi en aurais-je ? Je veux dire, après que je les aie quittés et qu’ils soient partis en tournée tous les trois, j’ai eu une période difficile parce qu’ils avaient visiblement un énorme succès et j’avoue que je n’avais jamais imaginé qu’ils s’en sortiraient – mais ils l’ont fait. »

Se pourrait-il que ton activité politique soit une façon de le dissimuler ?

« Dissimuler quoi ? »

La douleur d’avoir moins de succès que tu n’en avais avant. Est-ce une façon de compenser ?

« J’ai continué mon chemin – en réalité, j’ai eu bien plus de succès que nous n’en avons jamais eu avec les Pink Floyd et certainement plus qu’ils n’en ont eu quand ils sont partis sur la route. Je ne suis donc pas envahi par un pesant sentiment d’échec, et puis il y a aussi cette chaude couverture de l’amour que les gens ont pour mon travail – et cette couverture me réchauffe aussi bien que David et Rick. »

L’impression générale est que les gens souhaitent vous voir à nouveau ensemble.

« Bon, je trouve cela tout à fait compréhensible et aussi suprêmement irritant, Parce que je ne n’y suis pas attaché et j’étais dedans. J’y ai gagné ma vie pendant 20 ans, mais ce fut un mensonge vivant pendant les quelques dernières années. Ce n’était plus du tout une saine relation de travail. »

Mais au début au moins – était-ce aussi romantique que cela semblait de l’extérieur ?

« C’était juste quatre ou cinq jeunes hommes qui se débattaient pour essayer de sortir quelques grands airs et être déposés, comme n’importe quel autre groupe. Voilà ce que c’était. Nous prenions la musique tout à fait au sérieux. »

Les Pink Floyd étaient-ils le meilleur groupe de tous les temps ?

« Je n’en sais rien du tout. Cela ne m’intéresse pas. »

Peux-tu définir n’importe quelque autre groupe comme le lus important ? Comme le meilleur ? Ayant eu le plus d’influence ?

« Non, je ne peux pas. On peut sortir du lot quelques noms de groupes et des auteurs-compositeurs. De même qu’on peut dire que John Lennon est un auteur-compositeur important, comme Paul McCartney. Et aussi Neil Young, Bob Dylan, et encore John Prine. Je pourrais probablement continuer pendant 20 minutes et puis ne plus trouver de noms. Qui d’autre ? Il n’y a pas beaucoup de numéros de rock ’n roll que j’écouterais jamais ou qui m’intéresseraient. »

Alors, qu’est-ce que tu écoutes ?

« Rien vraiment, je n’écoute pas de musique. Quand je joue au gin rami avec Laurie, nous écoutons Chet Baker. C’est tout ce que nous écoutons – les cinq mêmes CD. Sauf que le lecteur de CD est cassé maintenant. Hier, je n’ai pas pu le faire marcher. »

Alors tu n’es même pas dans le coup ?

« Non. »

« C’est un domaine où je ne connais rien, parce que cela ne m’intéresse pas, que ça ne m’a jamais intéressé. Bon, peut-être que, quand j’étais un jeune adolescent, je m’intéressais un petit peu à la pop music. Comme quand j’avais 12 ans et que ’Hound Dog’ (Chien de chasse) est sorti. Il y avait du romanesque autour du monde de la renommée à ce moment là et être une célébrité, c’est séduisant pour les jeunes enfants. Et puis, ça perd vite de son brillant et çadevient alors quelque chose d’autre. »

Et alors il a attrapé une guitare, s’est assis, nus pieds, sur le canapé à rayures du studio. Et oubliant le reste du monde, il a commencé à chanter « Wish You Were Here » :

Alors, alors tu penses que tu peux discerner, le Ciel de l’Enfer, le ciel bleu de la peine.
Peux tu discerner un champ verdoyant d’un froid rail d’acier ?
Un sourire d’une voilette ?
Penses-tu que tu peux discerner ?
T’ont-ils fait venir pour troquer des héros contre des fantômes ?
Des cendres chaudes contre des arbres ?
De l’air chaud contre une brise fraîche ?
Une piètre consolation contre un changement ?

Et je suis resté sans voix.