Ce texte a la mérite de briser une idée reçue, celle de l’unité des Juifs de France autour d’Israël et à ce titre il est positif dans le climat ambiant. Même si le président du CRIF explique que les signataires sont minoritaires, auquel cas on peut lui répondre : et alors ! On peut et on doit lui rappeler qu’il y eut à toutes les époques des minoritaires pour s’élever contre l’injustice et le crime.
Mais si ce texte est important, sa timidité rappelle combien il est difficile de mobiliser les Juifs de France contre les crimes commis par leur Etat-fétiche, Israël. On cherche alors ce qui peut faire consensus, ce qui peut être acceptable pour un grand nombre.
Pourquoi souligner que les signataires ne sont pas des inconditionnels du Hamas et du Hezbollah ? Cela n’empêchera pas l’establishment juif de dénoncer ces Juifs qui prennent le parti de leurs ennemis, et cela ne fera pas venir les foules juives qui n’y verrons qu’un texte de plus d’intellectuels victimes de la haine de soi.
A quoi cela sert-il de vouloir éviter de choquer, comme si ce refus de choquer allait permettre de rallier de nouveaux signataires, sauf peut-être ceux qui s’imaginent qu’en signant un tel texte ils peuvent éviter toute radicalité, et par conséquent le réduire à quelque pleurnicherie humanitaire : Israël, ce n’est pas bien ce que tu fais.
La politique israélienne a sa cohérence et c’est cette cohérence que nous devons combattre. L’Etat d’Israël est né d’une injustice, même si, pour certains de ses promoteurs, c’était la réparation d’un crime, et c’est parce qu’il ne veut pas reconnaître ce fait qu’il ne peut reconnaître les droits des Palestiniens, qu’il se heurte à l’inimitié des peuples arabes et qu’il ne sait que répondre par la force et la répression à toute tentative de résistance.
C’est parce qu’il joue sur le sentiment victimaire laissé par l’histoire à ceux qui furent un peuple paria que le sionisme se présentent aux Juifs du monde en sauveur et leur demande de faire allégeance quoiqu’il en soit. Il ne s’agit pas seulement de se démarquer d’organismes comme le CRIF et autres, il s’agit de les combattre et de dénoncer leurs méfaits.
Le sionisme conduit les Juifs à une impasse. Si nous intervenons en tant que Juifs, et c’est le « J » de l’UJFP qui est ici en question, c’est parce que, pour des raisons diverses, nous ne pouvons accepter qu’un Etat se prévale de son caractère juif pour mettre en place une politique criminelle envers les Palestiniens depuis sa création en 1948 et aujourd’hui envers le Liban.
Au lieu de rester sur un plan humanitaire dans l’espoir de se faire mieux entendre des Juifs, ce texte aurait dû non seulement demander que cesse la violence, mais que cette fin de la violence suppose, en ce qui concerne l’agression contre le Liban, un retrait du Liban par les forces israéliennes, et en ce qui concerne les Palestiniens la reconnaissance des droits des Palestiniens. Sans cette exigence minimale, parler de « retour de la sécurité et de conditions humains pour toutes les populations concernées » reste un v¦u pieux.
Je ne mets pas en cause les initiateurs de la pétition dont on sait qu’ils soutiennent la lutte des Palestiniens pour la reconnaissance de leurs droits, je pense seulement qu’il est nécessaire aujourd’hui, d’une part de condamner fermement la politique israélienne, d’autre part de condamner ceux qui, au nom d’un chauvinisme juif d’autant plus intolérable qu’il se met au service des crimes commis par un Etat étranger, se propose de transformer l’ensemble des Juifs en complices de ces crimes.
Si ce texte est un pas dans une remise en cause du sionisme il aura été utile, sinon il ne sera qu’un cri de colère de plus que la presse pourra reprendre comme une forme d’exotisme certes sympathique mais quelque peu irréelle. Et c’est un peu ce qu’on lit dans l ‘article du Monde.
Rudolf Bkouche