Racisme, confusionisme et matraquage à tous les étages

18 FÉVR. 2019 | PAR PIERRE STAMBUL | BLOG : LE BLOG DE PIERRE STAMBUL

On vit une époque formidable. Dans bien des pays de cette planète mondialisée, le capitalisme poursuit inlassablement la destruction méthodique de toutes les conquêtes sociales et, novlangue aidant, on appelle ces destructions « réformes » ou « modernisation ».

Comme cette casse fait beaucoup de dégâts et de mécontent.e.s, il faut trouver des boucs émissaires et des coupables. Ce sera, comme dans bien des époques de l’histoire « l’autre », le migrant, le sans papier, le musulman forcément terroriste. En 1938, à la conférence d’Évian, il y avait eu consensus pour laisser crever les Juifs fuyant le nazisme. On observe aujourd’hui la même bonne conscience pour laisser crever les migrant.e.s en Méditerranée.

Gilets jaunes : des exclus qui se rebiffent

L’histoire a connu les jacqueries et les révoltes de gueux. Elle a aussi connu et continuera de connaître Spartacus et les révolutions ouvrières. Dans notre société où les inégalités se sont creusées comme jamais, des dominés et des précaires ont décidé de dire « non ». L’idéologie dominante a beau nier la lutte des classes, celle-ci s’est incontestablement réveillée.
Bien sûr on aurait aimé que les Gilets Jaunes reprennent la mémoire et les valeurs de ce qu’a été le mouvement ouvrier pendant des décennies. Les incessantes défaites subies ces dernières années et le délitement du tissu social font qu’ils n’ont pas spontanément ces valeurs.

Les Gilets Jaunes repartent de zéro. Ils réinventent le « tous ensemble », la démocratie directe, la solidarité, l’égalité. Ils ont la haine des dominés contre le mépris de classe des dominants. Ils tâtonnent. Extrême droite, complotistes et racistes de tout poil sont à l’affût pour récupérer cette lame de fond.
Contre eux, le pouvoir a utilisé un niveau de répression inconnu depuis la fin de la guerre d’Algérie. On compte des dizaines de blessé.e.s graves, d’estropié.e.s, d’éborgné.e.s. Et même une morte à Marseille. En toute impunité. Aucun responsable des forces dites de l’ordre n’a eu à répondre de cette violence extrême. Par contre la « Justice » a condamné à tour de bras. Les nouvelles lois remettent en cause le droit de manifester.

La répression ne suffisant pas et le niveau de popularité des Gilets Jaunes restant élevé, il a fallu trouver autre chose. Et on a trouvé. Eurêka : les Gilets Jaunes sont antisémites !

Le racisme est indivisible

Les propos entendus contre Alain Finkielkraut sont racistes, imbéciles et inexcusables. « La France est à nous » ? « Rentre chez toi en Israël » ? Il y aurait tellement de choses à dire sur ce philosophe qu’on est aussi indigné qu’atterré.
Faut-il rappeler les déclarations d’Alain Finkielkraut sur l’équipe de France de football qui est black, black, black et qui serait ainsi la risée de l’Europe ? Qu’aurait-on dit si quelqu’un estimait qu’il y avait trop de Juifs dans une équipe ? Finkielkraut a régulièrement stigmatisé les habitants des quartiers et les musulmans accusés de ne pas aimer la France. Au-delà du racisme de comptoir, Finkielkraut montre là une sérieuse amnésie sur les stéréotypes dont les Juifs ont été affublés.

Le Président de la République a immédiatement volé au secours de l’académicien provocateur. Au nom de quel antiracisme ? « Le boxeur, la vidéo qu’il fait avant de se rendre, il a été briefé par un avocat d’extrême gauche. Ça se voit ! Le type, il n’a pas les mots d’un gitan. Il n’a pas les mots d’un boxeur gitan ». Tout y est : le mépris de classe, la suffisance des dominants. Et surtout, le racisme séculaire contre ceux qu’on appelle les « gens du voyage ». À la stigmatisation classique contre les « voleurs de poules », le Président ajoute que ces gens-là sont forcément frustes et incultes.

Que dire d’un Président qui « combat » l’antisémitisme et a essayé par la bande de réhabiliter le Maréchal Pétain au moment des célébrations du 11 novembre dernier ? Comme si la boucherie de Verdun était plus honorable que la rafle du Vel d’Hiv !

Comment expliquer que des gens qui condamnent l’antisémitisme profèrent des propos racistes ? Probablement parce qu’ils veulent faire de l’antisémitisme un racisme à part. Il l’a été à l’époque du génocide nazi. Tous les racismes ne mènent à l’extermination programmée comme cela été le cas contre les Juifs, les Tsiganes, les Arméniens, les Tutsis. Mais aujourd’hui, en quoi l’antisémitisme est-il à part par rapport au racisme que subissent les Noirs, les Arabes, les Roms, les musulmans ? Il n’y a qu’un seul racisme et qu’une seule lutte contre lui. Ceux qui hurlent dès qu’il y a le moindre acte contre un Juif tout en multipliant les propos racistes contre d’autres sont infréquentables. Prenez les discours récurrents sur « l’immigration » et remplacez ce mot par « juif » : on retrouve les discours des années 30 qui ont permis l’arrivée au pouvoir des nazis.

Ceux qui multiplient les amalgames entre antisémitisme et solidarité avec les Palestiniens, sont tout sauf des antiracistes.

Il faut relire le pasteur Niemoler : « Quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste. Quand ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit, je n’étais pas social-démocrate. Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste. Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester. » Ceux qui ont entretenu le racisme en pensant qu’il ne toucherait pas les Juifs ont joué aux apprentis sorciers.

Comment peut-on penser qu’on peut mépriser, stigmatiser et insulter tous les jours les Noirs, les Arabes ou les Roms sans que les Juifs ne soient touchés ?

Le sionisme est une idéologie raciste

Pour reprendre les mots d’Hannah Arendt, l’antisémitisme racial, et avant lui l’antijudaïsme chrétien, ont frappé des Juifs « parias » de l’Europe et considérés comme des Asiatiques inassimilables.

Aucune hiérarchisation entre les différentes formes de racisme n’est acceptable. Mais aucune complaisance envers les crimes commis contre les peuples non plus.

En quoi l’antisémitisme excuse-t-il une idéologie colonialiste et suprématiste qui a développé et institutionnalisé l’apartheid ?

L’imbécile qui a injurié Finkielkraut lui a dit de « rentrer chez lui, en Israël ».

C’est scandaleux comme le sont les déclarations de Nétanyahou au moment de l’attentat contre Charlie Hebdo quand il déclare aux Juifs de France que leur pays, c’est Israël, et qu’ils doivent partir. Aucun antisémite depuis Vichy n’avait osé nous dire que nous n’étions pas chez nous ici. Pourquoi n’y a-t-il eu aucune réaction, notamment de la part des organisations de droits de l’homme ?
Quand des cimetières juifs sont profanés, nous sommes révulsés, la bête immonde n’est donc pas morte. Mais quand Nétanyahou déclare qu’Hitler ne voulait pas tuer les Juifs et que c’est le grand mufti de Jérusalem qui lui a soufflé l’idée, pourquoi y a-t-il si peu de réactions à ces déclarations négationnistes décomplexées ? Pourquoi ferme-t-on les yeux sur les amis de Nétanyahou, à savoir Bolsonaro, les Chrétiens sionistes qui sont des antisémites millénaristes ou Viktor Orban qui réhabilite le régime de l’Amiral Horthy, celui qui a activement participé à l’extermination des Juifs hongrois ?

Comment être un.e antiraciste crédible quand on laisse de tels dirigeants israéliens distribuer les bons points et les mauvais points sur l’antisémitisme ?
En France, le CRIF a choisi comme dirigeant un ancien du Bétar. Le Bétar, pour celles et ceux qui n’ont pas la mémoire courte, c’est un peu l’équivalent des Identitaires. Autre dirigeant du CRIF, l’avocat Goldnadel déclare tranquillement : « Des colonies de peuplement, contre l’avis des autochtones, il y en a en Seine St Denis. Un Juif est moins étranger en Judée ». Dans un pays qui combattrait le racisme, il serait jugé et condamné pour ce genre de propos. Au contraire, il est « reconnu » par nos autorités et c’est lui qui attaque systématiquement en justice quiconque critique Israël.

Retrouver la raison

Il est assez navrant de voir plusieurs partis, syndicats ou associations « de gauche » (c’est vrai que le terme perd son sens) aller manifester contre l’antisémitisme avec des Ciotti ou d’autres dirigeants politiques qui ont fait prospérer leur carrière sur la stigmatisation. Cela rend le message plus qu’incompréhensible. Cela induit l’idée qu’on a le droit de haïr et de brutaliser les Arabes ou les Noirs, mais pas les Juifs.

Loin de défendre ceux-ci, cela les met en danger. Cela les désigne comme jouissant de privilèges. Cela favorise et entretient les pires stéréotypes meurtriers dont les Juifs ont souffert dans l’histoire.

À ce « deux poids, deux mesures », s’ajoute à un mensonge : l’idée que l’antisémitisme, ce sont les Arabes, les Noirs et les musulmans. Non, l’antisémitisme a été fabriqué en Europe et dans le monde chrétien. Il a été le dénominateur commun de toutes les idéologies d’extrême droite. L’attentat de Pittsburg a rappelé que cet antisémitisme est toujours vivace. Les amitiés et le révisionnisme de Nétanyahou n’en sont que plus obscènes.

Retrouver la raison, ce serait donner un sens à la devise « liberté, égalité, fraternité ». Quand des racistes donnent le « la » sur qui est raciste et qui ne l’est pas, cela devient « allégeance, stigmatisation et hypocrisie ».