Pour la libération de Mumia Abu Jamal

12 septembre 2016 – Une nouvelle fois, je franchis l’entrée de la prison de Frackville où Mumia Abu Jamal est incarcéré depuis sa sortie du couloir de la mort de la prison haute sécurité de Greene [note]7 décembre 2011, la Cour suprême des Etats Unis – jugeant anticonstitutionnelle la condamnation à mort de Mumia – a commuée la peine en emprisonnement à vie sans possibilité de libération conditionnelle]]. Ces deux prisons sont dans l’État de Pennsylvanie. Il faudra attendre plus de 30 minutes son arrivée.

Son aspect physique n’a rien à voir avec celui qu’il avait il y a encore quelques mois. Il a repris du poids, son teint n’est plus gris, sa peau ne le démange plus autant. S’il y a certes du mieux, pour autant Mumia vit sous une épée de Damoclès. L’hépatite C n’étant pas soignée correctement, elle risque, dans un temps assez court, de dégénérer en cirrhose ou en cancer du foie.

Il surveille de manière drastique ce qu’il mange mais la nourriture de la prison n’est pas appropriée à une telle maladie qui nécessite une hygiène de vie impossible à respecter dans un tel environnement. Particulièrement, lorsque les gardiens mettent tout en place pour rendre la vie encore plus insupportable et instable.

Par ailleurs, le suivi que devrait mettre en place le service médical de la prison est loin d’être suffisant et compétent. L’hépatite C, dans la majorité des prisons américaines [note]Pour plus d’information, lire l’article “New Hepatitis C Drugs Are Very Costly and Unavailable to Many State Prisoners.” http://content.healthaffairs.org/content/35/10/1893.abstract]], est considérée comme une maladie de moindre importance, les détenus en souffrant -presque 7 000 uniquement dans les prisons de Pennsylvanie- sont traités avec des médicaments peu efficaces, alors qu’il y a un traitement parfaitement adapté à cette maladie qui frappe, en Pennsylvanie, plus de 53 000 personnes.

Il s’agit d’un médicament antiviral offrant 95% de chances de guérison et développé par le laboratoire Gilead Sciences, Inc. [note]société biopharmaceutique travaillant sur la recherche et le développement de médicaments innovants en vue d’une commercialisation très « juteuse »]] [note]il y a aux Etats-Unis, plus 4 millions de personnes vivant avec l’hépatite C, parfois sans le savoir, c’est une maladie à évolution lente mais qui fait de sérieux ravages. En 2013, la mort de citoyens américains a été attribuée en priorité à l’hépatite C]].

Mais aucun prisonnier ne peut y avoir accès, pas plus que Mumia Abu Jamal. La prison refusant de payer entre 83 000 et 95 000 $ pour une seule phase du traitement. Ne s’agit- il pas là d’une décision appliquant, sans vergogne, un traitement inhumain proche de la torture et ne respectant pas le droit à une vie digne, même si l’on est enfermé ? On inflige à ces prisonniers des souffrances inutiles et une mort certaine alors qu’ils pourraient être convenablement soignés. Une façon de les faire mourir plus vite. Un cynisme institutionnel absolu.

Les avocats de Mumia ont d’ailleurs introduit un recours auprès de la Cour fédérale de justice de Pennsylvanie. Le peu d’égard avec lequel sa maladie est prise en compte, au péril de sa vie, revient à violer le 8ème amendement de la Constitution américaine [note]« Il ne pourra être (…) ni infligé de peines cruelles ou inhabituelles »]] et à ne pas respecter la règle édictée par le juge Mariani [note]juge au sein de cette même Cour]] qui a précisé que les soins, dans le cas de l’hépatite C, obligeaient à administrer des médicaments antiviraux, entre autres le Harvoni ou le Sovaldi.

Forts de cet avis, les avocats s’attendaient à une décision forçant l’administration pénitentiaire à donner le traitement adéquat. Il n’en a rien été. Le juge a justifié son silence à l’égard des autorités de la prison par le fait que dans le recours, les membres du comité médical n’étaient pas spécifiquement nommés ! Ce qui arrange l’administration qui a décidé de ne distribuer ce traitement efficace qu’à 24 prisonniers sur les quelque 7 000 en ayant besoin. Choisis parce qu’ils étaient en phase quasi terminale.

Le 30 septembre dernier, l’un des avocats de Mumia, Bret Grote [note]Abolitionist Law center]], a réintroduit un recours afin d’obtenir une injonction à l’égard des autorités pénitentiaires pour qu’elles appliquent, sans aucune discrimination, l’avis du juge Mariani.

En Pennsylvanie, ce n’est pas la seule décision qui n’est pas respectée. En juillet dernier, le gouverneur de cet État, Tom Wolf -membre du parti démocrate-, a signé un décret législatif obligeant les structures pénitentiaires à mettre en place un test pour diagnostiquer l’hépatite C chez toutes personnes emprisonnées -nées entre 1945 et 1965- se rendant chez le médecin ou recevant des soins réguliers.

Aucune ligne budgétaire n’a cependant été dégagée ; les autorités pénitentiaires ont donc beau jeu de se retrancher derrière le manque de fonds pour ne y pas répondre. Là encore, il faut constater le cynisme d’un système qui, non seulement pratique l’enfermement massif de ses citoyens mais aussi qui, pour des raisons économiques, refusent de procéder à de tels tests, alors que des vies pourraient être sauvées et que la propagation de cette maladie endémique pourrait être considérablement réduite. Les premières victimes sont les Africain- Américains.

En mai dernier, le Comité d’état sur la pharmacie et les thérapeutiques a suggéré de restreindre l’utilisation de ces médicaments ; heureusement pour l’instant, le secrétaire de l’État de Pennsylvanie, Ted Dallas, s’y est opposé.

La santé de Mumia, la santé de milliers de prisonniers dans les différentes prisons de l’État nord-américain sont au centre d’un calcul sordide. Ce qui ressort c’est que les vies de ces hommes et de ces femmes valent toujours moins que celles d’autres.
Or, la Constitution américaine mais aussi la Déclaration d’Indépendance des États unis stipulent, l’une et l’autre, l’égalité entre les citoyens. Il y a, dès lors, bien des raisons de s’interroger sur la constitutionnalité de certains jugements.

C’est d’ailleurs bien ainsi que l’a compris la justice, qui a fini par admettre que cette discrimination assumée à l’égard du droit à la vie et à se soigner était bel et bien anticonstitutionnelle.

A partir de cette question concernant le droit fondamental à la vie et à la dignité humaine se joue la dynamique du pouvoir nord-américain qui considère que seul son droit interne prime sur tout autre.

Peu importe le droit international et ses normes impératives, peu importe les droits fondamentaux, peu importe les recommandations faites, en 2014, par le CERD [note]http://tbinternet.ohchr.org/_layouts/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=CERD/C/USA/CO/7-9&Lang=Fr]] ou par différents experts indépendants [note]voir entre autres, le rapport de la visite aux USA, janvier 2016, du Groupe de travail d’Experts sur les personnes d’ascendance africaine, https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G16/183/31/PDF/G1618331.pdf?OpenElement]].

Seul le droit reste à leurs normes, édictées par eux-mêmes et dont une seule partie de leurs citoyens bénéficiera pleinement.

Aux Etats-Unis, il n’est pas faux de dire que la justice est rendue dans l’objectif de défendre l’ordre, peu importe la justice et la rule of law. Pour autant, ce pays se targue d’être un modèle en termes de droit et n’hésite pas à imposer sa conception du droit en maintenant plus d’un quart de sa population dans une situation proche de celle vécue au moment du mouvement des droits civils et en imposant ses vues à coup de guerre impérialistes au reste du monde.

Dans ce contexte sombre et difficile, il y a une lueur d’espoir. Rappelons-nous, en 2011, après des années de lutte et de mobilisation, deux avocates avaient réussi à faire sortir Mumia du couloir de la mort

Ces mêmes avocates, Judith Ritter et Christina Swans, viennent de déposer un recours pour une révision du procès qui l’avait condamné, en 1982, à la peine de mort.

En effet, récemment, la Cour suprême des Etats Unis a révoqué la décision d’un juge, Ronald D. Castille, condamnant à mort Terrance Williams [note]Africain-Américain, né en 1968 en Pennsylvanie, condamné à mort pour le meurtre de deux hommes qui l’avaient harcelé sexuellement pendant plusieurs années]].

Non seulement ce Juge avait signé la condamnation à mort du jeune Williams, en tant que procureur de district, mais ensuite ce même Castille s’était retrouvé juge dans les procès d’appel introduits par les avocats de Terrance Williams. La Cour suprême, après n’avoir prêté aucune attention à ce type de conflit d’intérêt, vient de réviser sa position en demandant l’ouverture d’un nouveau procès.

Mumia s’est trouvé dans le même cas de figure, et ce avec le même juge ; présenté devant Ronald D. Castille qui était à l’époque procureur, il s’est ensuite retrouvé devant lui, alors qu’il était devenu membre de la Cour suprême de Pennsylvanie.
Ainsi se servant de cette jurisprudence, les avocates ont demandé la révision du procès qui, à l’époque avait été entaché de racisme et d’iniquité.

Mireille Fanon Mendès France est présidente de la Fondation Frantz Fanon et experte du groupe de travail sur les Afro-descendants au Conseil des droits de l’homme de l’ONU.

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