Post-it Palestine : l’honneur juif

14/11/2021 | Philippe Lewandowski

Post-it Palestine : l'honneur juif

Non, il n’y a pas d’erreur : une telle thématique peut bel et bien trouver à s’inscrire dans une rubrique qui s’efforce de défendre les droits d’un peuple palestinien abandonné avec plus ou moins d’hypocrisie par les dits grands de ce monde.

Et cela permet de rappeler ce qu’aussi bien les autorités israéliennes que les mass médias préfèrent minimiser si ce n’est passer sous silence : c’est que bon nombre de mouvements de critique de la politique israélienne et de soutien aux Palestiniens comptent parmi leurs animateurs, voire, pour certains d’entre eux, sont entièrement constitués de militantes et militants se réclamant du judaïsme ou de la judéité, ou de personnes qui pourraient, si elles le désiraient, le faire mais ne s’en soucient guère ou n’y attachent pas d’importance (le sentiment d’appartenance à telle ou telle communauté humaine relevant de la subjectivité des individus).

Et il n’y a pas là de quoi s’étonner. Qui donc pourrait continuer de se dire démocrate tout en approuvant un apartheid institutionnalisé (loi sur l’État-nation du peuple juif), un nettoyage ethnique ininterrompu de plusieurs dizaines d’années, l’oppression de tout un peuple devenu étranger dans son propre pays, des massacres récurrents (« Il faut tondre le gazon », a-t-on pu entendre) ? Arrière-plans religieux et laïques s’entrecroisent ici en un sursaut éthique et un refus en quatre mots : « Pas en notre nom ! »

Un talon d’Achille ?

Minoritaire à l’origine, l’idéologie sioniste est devenue prépondérante après la seconde guerre mondiale et les massacres génocidaires qui ont eu lieu en Europe. Si elle l’est encore, des fissures se sont cependant mises à la ronger, et leur croissance ne passe pas inaperçue. Le journaliste palestinien Ramzy Baroud s’interroge ainsi : Israël est-il en train de perdre le soutien des juifs américains ? [1] S’il serait sans doute prématuré d’y voir une tendance irréversible, il n’en s’agit pas moins d’un mouvement réel, à apprécier à sa juste valeur.

Certaines de ces organisations s’inscrivent sans ambiguïté dans la campagne BDS (Boycott-Désinvestissements-Sanctions) lancée par les organisations de la société civile palestinienne. Aux États-Unis d’Amérique, c’est le cas de Jewish Voice for Peace (JVP) [2], stigmatisée par le Ministère des Affaires Stratégiques d’Israël, qui a décidé d’interdire l’entrée en Israël de ses militants [3].

En France, c’est le cas de l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP), d’inspiration laïque, qui tient à préciser : « Nous refusons l’équation « juif = sioniste = israélien ». […] La stratégie d’une guerre sans fin conduite au nom des Juifs du monde entier interdit toute perspective de vie pacifique pour une communauté juive au Proche-Orient et mobilise dans le monde les rancœurs contre « les Juifs ». Le sionisme, qui se présente comme la réponse à l’antisémitisme européen, qualifie d’antisémite toute expression contre lui et entretient la confusion entre l’antisémitisme et la colère légitime contre les crimes du régime israélien. Cette manipulation banalise le racisme antijuif, que nous combattons partout où nous le rencontrons. Elle vise à séparer les Juifs du reste du monde et à les transformer en étrangers dans leurs propres pays [4]. »

Grains de sable ? Peut-être, sans doute même, mais tenaces, et tournés vers le futur. S’ils sont dans le viseur du gouvernement et l’état-major israéliens, il serait cependant difficile de les traiter d’antisémites. Les mauvaises langues voudraient-elles alors les considérer comme des psychés malades, marquées par la haine de soi ? Et  que faire lorsque l’aliénation présumée gagne le cœur du pays, se présente et s’affirme comme une dissidence ?

Dans l’œil du cyclone

En 2021, dans un entretien avec René Backmann [5], Avraham Burg, ancien président de la Knesset (le parlement israélien), demande à ne plus être inscrit comme juif sur le registre du ministère israélien de l’intérieur. Il explique son cheminement : « Depuis l’adoption de la loi sur l’État-nation du peuple juif, ce qui définit Israël, c’est le seul monopole juif. En vertu de cette loi, un citoyen d’Israël qui n’est pas juif est assigné à un statut inférieur. Comparable à celui qui a été assigné aux juifs pendant des générations. Ce qui fut odieux pour nous, nous l’infligeons à nos citoyens non juifs. Cette législation constitue aussi un changement dans ma définition existentielle. Dans mon identité. Dans ces conditions, ma conscience m’interdit désormais d’appartenir à la nationalité juive, d’être classé comme membre de cette nation, ce qui impliquerait pour moi d’appartenir au groupe des maîtres, statut que je refuse. Je suis un juif historique. Je crois à l’égalité, à l’universalisme, à l’humanisme, aux droits des minorités. Le nouveau judaïsme, je n’en fais pas partie. »

Les dissidents israéliens font un pas de plus et publient une lettre [6]. On y lit notamment : « Nous appelons la communauté internationale à intervenir immédiatement afin d’arrêter les agressions actuelles d’Israël, d’adopter les exigences du mouvement palestinien de boycott, désinvestissement et sanctions ; à travailler à l’actualisation du droit au retour des Palestiniens et à réaliser la justice historique ; à parvenir à une solution juste et démocratique pour tous, fondée sur la décolonisation de la région et la fondation d’un État de tous ses citoyens. »

Tous des traîtres, malades mentaux ou antisémites qui s’ignorent ? Non. L’honneur juif.

Philippe Lewandowski

Notes :

[1] Ramzy Baroud, https://www.chroniquepalestine.com/israel-en-train-de-perdre-soutien-juifs-americains/ , consulté le 19-09-2021.

[2] About JVP, https://jewishvoiceforpeace.org/faq/ , consulté le 19-09-2021./

[3] Haaretz, https://www.haaretz.com/israel-news/israel-says-jewish-voice-for-peace-activists-will-not-be-allowed-entry-1.5729718 , consulté le 19-09-2021.

[4] https://ujfp.org/IMG/2015/09/4_pages_actualise_aout_2015-2.pdf , consulté le 19-09-2021.

[5] « Avraham Burg : Pourquoi je ne veux plus être juif », Médiapart, 25-01-2021

[6] Israeli Jews call : stop Israel’s apartheid, https://jews4decolonization.wordpress.com/ , consulté le 19-09-2021.