Critiquer la politique de colonisation et d’apartheid en Israël expose régulièrement à se voir désigné d’antisémite. Une instrumentalisation dangereuse pour la lutte contre les discriminations, selon Pierre Stambul, porte-parole de l’Union juive française pour la paix. Entretien.
Publié le jeudi 4 mai 2023
Antisémitisme. Pour de nombreux défenseurs de la politique d’Israël, ce mot peut servir d’arme afin de faire taire toute critique du régime. Avec sa résolution pour reconnaître l’apartheid, le député communiste Jean-Paul Lecoq s’expose à recevoir cette accusation scandaleuse, comme ce fut le cas l’été dernier, lors du dépôt d’un premier texte à l’Assemblée nationale.
Le président du Crif, Yonathan Arfi, a ainsi estimé que cette résolution s’inscrivait « dans la tradition idéologique antisioniste, voire antisémite, d’une partie radicale de la gauche ». Au Palais Bourbon, le 3 août, le député Meyer Habib, proche du premier ministre Benyamin Netanyahou, a ajouté : « Le nouvel antisémitisme est toujours présent en France, notamment à la gauche de cet Hémicycle. » Porte-parole de l’Union juive française pour la paix (UJFP), Pierre Stambul s’attend à ce que des accusations similaires soient prononcées, ce jeudi, à l’Assemblée. Il combat cette instrumentalisation de la lutte contre l’antisémitisme, qui l’affaiblit tout en servant de bâillon. Entretien.
La résolution défendue par Jean-Paul Lecoq reconnaissant un apartheid en Israël va-t-elle, selon vous, susciter une nouvelle polémique ?
Oui, comme à chaque fois que des responsables politiques portent haut une critique forte de la politique menée par Israël. Aujourd’hui, la seule arme que les partisans inconditionnels d’Israël brandissent à la moindre occasion c’est : « Vous critiquez Israël, vous êtes antisémite. »
L’objectif est d’institutionnaliser une exception, celle que les Israéliens ont le droit de commettre les pires crimes, et nous, nous devrions nous taire au nom de la lutte contre l’antisémitisme. Que des associations comme Amnesty, dont tout le monde vante les observations en Ukraine ou en Chine, soient qualifiées d’ islamogauchistes parce qu’elles dénoncent l’apartheid israélien démontre bien la folie qui s’empare de cette question.
Voir aussi :
À Jérusalem-Est, « nous faisons face à un projet colonial d’apartheid »
C’est une instrumentalisation de l’antisémitisme dangereuse pour la lutte nécessaire contre cette discrimination, et absolument obscène. Particulièrement pour nous, juifs, qui sommes ainsi assignés : puisque nous sommes juifs, nous devrions soutenir Israël, qui plus est de manière inconditionnelle.
Vous avez été qualifié d’antisémite ?
Non, on ne peut pas m’expliquer ce qu’est l’antisémitisme, c’est mon histoire personnelle. Je suis fils de résistants, ma famille maternelle a été quasiment totalement exterminée dans les camps. Alors, on me traite d’idiot utile, de juif ayant la haine de soi. Je pense que ceux qui ont la haine de soi, ce sont ceux qui déshonorent ainsi le judaïsme, que rien ne prédisposait à devenir une idéologie de conquête coloniale.
Pour vous, combattre l’antisémitisme serait même incompatible avec la défense du régime israélien ?
Ce qu’ils ont créé, c’est un régime raciste. Nous, nous sommes héritiers d’une période où la grande majorité des juifs pensaient que l’émancipation des minorités opprimées passait par celle de l’humanité. Nous avons toujours dit « Plus jamais ça », c’est-à-dire plus jamais d’idéologie raciste qui peut mener au génocide. Eux disent : « Que cela ne nous arrive plus jamais. »
Par ailleurs, le sionisme, né il y a plus de cent vingt ans, n’a jamais combattu l’antisémitisme. Theodor Herzl, l’un de ses principaux théoriciens, partageait avec les antisémites l’idée que juifs et non-juifs ne pouvaient pas vivre ensemble. « Ce monsieur fait notre bonheur en faisant le sien », disait de lui le polémiste Édouard Drumont, ouvertement antisémite. Cette idée que le sionisme nous représenterait est totalement fausse et scandaleuse.
Si l’instrumentalisation de la lutte contre l’antisémitisme doit être dénoncée, ne faut-il pas, également, faire attention à ce que la critique d’Israël ne crée pas une confusion entre l’État et les juifs, jusqu’à verser dans un véritable antisémitisme ?
C’est là que notre association a son importance. Comment lutte-t-on contre l’antisémitisme ? Nous avons, par exemple, une coopération depuis des années avec les paysans de la bande de Gaza. Quand ils inscrivent en haut de leur château d’eau, en face de la barrière de séparation avec Israël, qu’il a été construit avec l’aide de l’Union juive française pour la paix, là on lutte contre l’antisémitisme.
Quand nous allons, en France, dans les quartiers et que nous portons un discours anticolonial, c’est pareil. Lutter contre l’antisémitisme, c’est expliquer qu’on lutte contre toutes les injustices, contre les discriminations. C’est au nom de cela que nous sommes antisionistes et que nous combattons la politique d’Israël.