Combien de Palestiniens morts à Gaza, c’est trop?


Gideon Levy, 30 novembre 2023
Cette guerre a déjà assez duré. Elle doit cesser maintenant, dans n’importe quelles circonstances, à n’importe quel prix. Il est inutile de la poursuivre. Son coût effroyable dépassera tout bénéfice possible, si tant est qu’un bénéfice puisse découler d’une guerre. Nous n’avons plus aucune légitimité pour continuer à détruire la bande de Gaza et à tuer des dizaines de milliers de ses habitants.
Maintenant que notre colère justifiée s’est calmée, ne serait-ce qu’un peu, et que nos esprits sont un peu moins enflammés, nous devons envisager la poursuite de la guerre sans passion. Et il n’y a qu’une seule conclusion possible: y mettre fin maintenant.
Les accords visant à ramener les otages chez eux et à libérer les prisonniers palestiniens se sont jusqu’à présent déroulés mieux que prévu. Les promesses ont été tenues, des deux côtés. Même le chien Bella a été libéré dans un état apparemment raisonnable.
Mais la plupart des otages n’ont pas encore été libérés. Nous devons continuer à travailler pour les libérer jusqu’à ce que chacun d’entre eux soit rentré chez lui, ce qui signifiera probablement la libération de tous les prisonniers palestiniens en Israël. Ceux qui ont du mal à digérer cette idée feraient bien de s’y habituer.
Et pour obtenir le retour des otages, il n’est pas nécessaire de poursuivre la guerre. Au contraire, la poursuite de la guerre risque d’empêcher d’autres libérations et même de mettre en danger la vie des otages. Seul un accord permettra de les libérer tous. Et ces accords ne peuvent avoir lieu que dans les conditions d’un cessez-le-feu.
Le deuxième objectif d’Israël n’a pas été atteint, mais il ne peut probablement pas l’être à un prix raisonnable. Après presque deux mois de combats, le Hamas est toujours en vie. Et au moins une partie de ses forces reste organisée, comme on a pu le constater lors de la mise en œuvre des accords sur les otages.
Les forces de défense israéliennes affirment avoir tué 5 000 combattants du Hamas. Peut-être que oui, peut-être que non. Mais le haut commandement du Hamas reste intact, de même qu’une partie de son infrastructure.
On nous a dit que la plupart de ses infrastructures et de ses postes de commandement se trouvaient dans la ville de Gaza. Nous avons donc détruit la ville. Maintenant, ils nous disent que la plupart des infrastructures se trouvent en fait à Khan Yunis. Et le lendemain de la destruction de Khan Yunis, ils nous diront que les infrastructures vraiment importantes se trouvent à Rafah. Nous tuerons alors également Rafah, jusqu’à ce qu’ils nous disent que le cœur battant du Hamas se trouve en réalité dans la partie égyptienne de Rafah. Comme l’horizon, cet objectif s’éloignera à chaque fois que nous nous en approcherons.
Le Hamas a reçu un coup dur. Son avenir dépend désormais des accords internationaux qui seront conclus et non de la poursuite des combats.
La bande de Gaza a été suffisamment punie, bien plus qu’elle ne le mérite. Sa partie nord a été détruite; 20 000 de ses fils et filles ont été tués; 5 000 enfants sont morts. Même si l’estimation des FDI selon laquelle elles ont tué 5000 combattants du Hamas est correcte, les proportions sont horribles. En Ukraine, les gens seraient consternés par de telles proportions.
Est-il vraiment admissible de tuer 20 000 personnes, dont 5000 enfants, pour tuer 5000 combattants/terroristes/personnes impliquées dans les combats/hommes armés, aussi monstrueux soient-ils? Et 100 000 civils seraient-ils également admissibles? Un million? La réponse habituelle est «autant que nécessaire», ce qui est manifestement immoral et inacceptable.
Je doute que quiconque en Israël puisse réellement imaginer les souffrances de Gaza. Mais en Israël, ce n’est pas le moment d’avoir pitié de Gaza.
La reprise de la guerre signifie l’occupation et la destruction du sud de Gaza. Plus du double du nombre de Gazaouis que cette zone contenait avant la guerre y est aujourd’hui entassé. Et même avant la guerre, cette zone était densément peuplée par rapport aux normes mondiales.
Alors, où iront-ils tous? Vers le nord détruit? Dans la ville gazaouie surpeuplée d’Al-Mawasi? Vers l’Égypte fermée? Et où iront-ils après la fin de la guerre, lorsqu’il ne restera plus une seule pierre à Gaza et qu’il n’y aura plus de bois à ramasser, plus de charbon pour les poêles, plus de pain, plus de feu, plus d’eau, et qu’il ne restera plus que des cendres, pour paraphraser un poème de Moshe Tabenkin? Il est impossible de reprendre la guerre sans en tenir compte.
Il est également impossible de reprendre la guerre sans tenir compte des dommages internationaux de plus en plus importants que subira Israël. D’autres images de mort et de destruction en provenance de Gaza détruiront les derniers vestiges de la réputation d’Israël, même parmi ses amis jurés. Nous vaincrions le Hamas et perdrions le monde. Nous vaincrions le Hamas et deviendrions un monstre, même aux yeux de certains de nos propres compatriotes. Et puis quoi encore?

Traduction Thierry Tyler-Durden

Article originel en anglais sur le site du journal Haaretz