Palestine : la faute de l’Europe

Il paraît un peu gonflé de dire que le drame palestinien est la faute de l’Europe. Et pourtant, c’est largement le cas. Et cela malgré les vetos de Washington au Conseil de sécurité des Nations Unies et l’aide militaire américaine, sans lesquels Israël ne pourrait pas exister en tant qu’État d’apartheid.

Les pogroms (massacres antisémites) qui ont endeuillé les ghettos juifs de l’Empire tsariste à la fin du 19ème siècle ont bien été perpétrés en Europe. D’où sont sortis également les premiers colons juifs qui ont immigré en Palestine ottomane, cherchant refuge. Et c’est à Paris que Théodore Hertzl – théoricien du mouvement sioniste – a forgé sa conviction que les Juifs avaient besoin de leur propre État. Car ce Juif autrichien avait assisté hébété à l’éclatement de l’affaire Dreyfus. En 1897 le premier congrès de l’Organisation Sioniste Mondiale a eu lieu à Bâle, à quelques encablures de la frontière alsacienne. La Russie, l’Autriche, la France et la Suisse ne sont pas situées en Amérique mais bien en Europe. Toute comme la Shoah de 1942 à 1945 qui a vu l’extermination de 6 millions de Juifs sur le Vieux Continent, commise par le régime fasciste d’une autre puissance européenne, l’Allemagne. Les camps de la mort nazis étaient situés dans trois pays européens : la France (Alsace), l’Allemagne et la Pologne. D’autres collaborateurs européens ont participé au massacre, allant du régime de Vichy aux supplétifs hitlériens en Ukraine en passant par les Oustachis croates, les milices fascistes en Lituanie et les collaborateurs en Pologne. Bref, c’était un génocide européen.

Après la dissolution de l’Empire Ottoman, c’est un autre pays européen, la Grande-Bretagne, qui a mis la main sur la Palestine en plein milieu de la Première guerre mondiale. Et c’est Lord Balfour, un antisémite britannique qui voulait débarrasser le Royaume-Uni de sa minorité juive, qui en 1917 – une fois devenu ministre des Affaires étrangères – a déclaré que « Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif ». Cinq ans plus tard, la Société des Nations a accordé à cette puissance européenne son mandat sur la Palestine. Et c’est bien l’occupant britannique qui avait instauré le régime de détention administrative pour les prisonniers politiques, largement utilisé aujourd’hui par Israël contre les Palestiniens. Le « yichouv » (colonies juives établies en Palestine mandataire) était peuplé des Juifs européens. Il y avait alors fort peu de Juifs provenant d’Amérique et encore moins de Sépharades issus du Monde Arabe. Ces derniers sont venus bien plus tard. Les armes de la Haganah (prédécesseur de l’armée israélienne) provenaient principalement d’un autre pays européen : la Tchécoslovaquie. Puis, après la proclamation de l’État d’Israël par un Juif polonais – David Ben Gourion – le premier pays à reconnaître le jeune État juif était encore une autre puissance européenne : l’Union soviétique. La reconnaissance diplomatique américaine a été plus tardive.

Depuis 1948, la classe dirigeante israélienne – dans les domaines politique, économique, culturel, académique et militaire – est dominée par la communauté ashkénaze, c’est-à-dire des Juifs d’origine européenne. Qui méprise largement la population sépharade du pays, tout en méprisant encore plus sa population palestinienne. En 1956 Israël s’est associé à l’attaque contre l’Égypte de Gamal Abdel Nasser, une agression initiée par deux puissances européennes : la France et la Grande-Bretagne. L’année suivante, en 1957, c’est la France qui a donné l’armé nucléaire à Tel-Aviv. Depuis, Israël est devenu une puissance régionale. Trois décennies plus tard, ce sont des négociations dans des villes européennes (en Espagne, Suisse et Norvège) qui ont engendré des Accords d’Oslo. Ces accords, signés en 1993, étaient un compromis qui devait aboutir à la création d’un État palestinien indépendant, mais ce dernier n’a jamais vu le jour. C’est à Bruxelles que l’Union européenne a signé, en l’an 2000, les Accords d’Association entre Israël et l’UE. Ces accords donnent aux entreprises israéliennes un accès privilégié au marché européen qui est aujourd’hui le premier partenaire commercial de l’État hébreu. Actuellement, la plus grande puissance européenne, l’Allemagne, est également le plus grand fournisseur d’armes à Israël après les États-Unis. Et c’est toujours la Commission européenne à Bruxelles qui maintient les relations commerciales et diplomatiques privilégiés avec Tel-Aviv. Aux pays membres de l’UE de compléter ce soutien avec de multiples accords bilatéraux dans les domaines culturel, universitaire, sportif, militaire, etc. C’est ce qu’ils font sans modération.

Rien de tel aux Etats-Unis, malgré le soutien indéfectible de Washington pour le régime israélien. L’ombre de l’Europe plane sur le Proche-Orient, tant sur le plan historique que contemporain.

Si les institutions européennes à Bruxelles le voulaient, elles pourraient avoir un impact réel en faveur d’une paix juste. Mais sans volonté politique, elles s’effacent au profit des Etats-Unis qui sont par conséquent la seule puissance à vraiment intervenir dans le dossier israélo-palestinien. C’est un drame pour les Palestiniens et une claque pour l’opinion publique européenne qui est majoritairement favorable à la cause palestinienne.

Et oui, le drame au Proche-Orient, c’est bien la faute de l’Europe.

Richard Wagman