« Nous sommes une menace pour Israël » : les militants BDS poursuivent leur combat pour la Palestine

Depuis sa création en 2005, de nombreux citoyens à travers le monde ont rejoint le mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS), malgré les tentatives de criminalisation.

« Nous sommes une menace pour Israël » : les militants BDS poursuivent leur combat pour la Palestine. Si les effets économiques directs engendrés par le BDS sont à ce jour toujours difficiles à chiffrer, le mouvement a, depuis sa création, réussi à faire plier plusieurs grandes entreprises qui ont décidé de cesser leurs activités économiques en Israël, à l’image d’Orange et CRH en 2016 ou encore Veolia en 2012 (AFP)
Si les effets économiques directs engendrés par le BDS sont à ce jour toujours difficiles à chiffrer, le mouvement a, depuis sa création, réussi à faire plier plusieurs grandes entreprises qui ont décidé de cesser leurs activités économiques en Israël, à l’image d’Orange et CRH en 2016 ou encore Veolia en 2012 (AFP)

Sania Mahyou

« Quand j’étais enfant, j’ai appris que je ne devais pas acheter de produits israéliens, tout simplement parce que ceux-ci finançaient les bombes qui tombaient sur ma tête. En grandissant, j’ai pris conscience de l’ampleur que cela pourrait avoir si le monde entier faisait la même chose. »

Mira a 17 ans et vit à Gaza. Elle soutient le mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS) contre Israël depuis son plus jeune âge.

« Pendant notre temps libre, ma mère et moi avions l’habitude de faire le tour des écoles primaires de Gaza pour sensibiliser les élèves aux campagnes BDS et discuter des options que nous avions pour essayer de retrouver notre liberté », explique l’adolescente à Middle East Eye.

« J’en suis immensément fière : au-delà de lutter pour la fin de l’occupation, l’égalité entre les citoyens palestiniens d’Israël et pour le droit au retour des réfugiés, ce mouvement est aussi la matérialisation d’une forme de résistance non violente vis-à-vis d’Israël. »

S’inspirant du boycott mis en place en Afrique du Sud pour lutter contre l’apartheid, le lancement du BDS par 171 ONG palestiniennes à l’issue de la seconde Intifada a redéfini les frontières et les possibles de l’engagement propalestinien, en faisant notamment prendre conscience aux citoyens du monde entier de l’importance de leurs choix de consommation.

Un mouvement d’ampleur internationale

En effet, depuis sa création en 2005 par le Qatari d’origine palestinienne Omar Barghouti, le mouvement appelle sur son site au « boycott de tous les produits d’entreprises israéliennes – et internationales – impliquées dans les violations israéliennes des droits des Palestiniens ».

« Au-delà de lutter pour la fin de l’occupation, l’égalité entre les citoyens palestiniens d’Israël et pour le droit au retour des réfugiés, ce mouvement est aussi la matérialisation d’une forme de résistance non violente vis-à-vis d’Israël »

– Mira, Palestinienne de Gaza

Parmi la liste des entreprises ciblées par l’organisation actuellement, on peut notamment citer Puma, AXA, Sodastream ou encore HP.

Mais au-delà du boycott économique, le mouvement milite aussi pour « un boycott culturel, sportif et académique d’Israël ; ainsi que pour un désinvestissement des institutions, des entreprises et des gouvernements finançant l’apartheid en Israël et pour des sanctions internationales », comme l’explique Monira, animatrice de la campagne BDS France, qui a ouvert sa branche dans l’Hexagone en 2009.

Partant du constat que malgré les accords de paix et les résolutions de l’ONU, Israël n’acceptait toujours pas de se conformer au droit international, le boycott se voulait une alternative dynamique aux pourparlers infructueux, susceptible de toucher l’économie israélienne en plein cœur.

Depuis, le mouvement a gagné en ampleur et en reconnaissance. En mars 2017 notamment, son cofondateur Omar Barghouti a été récompensé pour ses actions par le prix Gandhi pour la paix.

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Si les effets économiques directs engendrés par le BDS sont à ce jour toujours difficiles à chiffrer, le mouvement a, depuis sa création, réussi à faire plier plusieurs grandes entreprises qui ont décidé de cesser leurs activités économiques en Israël, à l’image d’Orange et CRH en 2016 ou encore Veolia en 2012.

L’ONU, dans un rapport datant de juin 2015, avançait le chiffre d’une baisse de 46 % dans les investissements étrangers en Israël entre 2013 et 2014, BDS attribuant une grande partie de cette baisse à ses campagnes.

La contre-attaque israélienne

Face à ces chiffres vertigineux, le BDS est désormais considéré, au sommet de l’État israélien, comme une « menace stratégique ». En 2017, le gouvernement – soutenu par des donateurs – aurait approuvé un plan de 72 millions d’euros pour lutter contre le mouvement.

Lors de son lancement déjà, le gouvernement israélien mettait en place sa campagne de communication « Brand Israel », qui propose depuis 2008 de financer tous les frais de déplacement d’artistes israéliens à l’étranger, lesquels doivent s’engager en contrepartie « à promouvoir les intérêts politiques de l’État d’Israël à travers la culture et les arts ».

« Les campagnes de délégitimation menées par Israël rendent impossible de soutenir [le BDS] sans craindre d’être qualifiés d’antisémites. En Israël, cela peut même avoir de graves conséquences sur nos vies, en particulier dans le domaine professionnel »

– Shahira Yatim, citoyenne palestinienne d’Israël

De plus, en 2011, le Parlement israélien a voté l’adoption d’une loi qui permettait de poursuivre tout individu ou organisation appelant au boycott d’Israël, avant que celle-ci ne soit invalidée et abrogée par la Cour suprême israélienne un an plus tard. Cette dernière est revenue sur sa décision en 2015 et les membres de BDS s’exposent donc à des sanctions juridiques.

Shahira Yatim est une citoyenne palestinienne d’Israël qui vit à Jaffa. La jeune femme de 23 ans explique qu’être affiliée au mouvement BDS peut porter de graves préjudices aux militants. « En tant que Palestinienne, je m’identifie pleinement à ce que représente le mouvement BDS », confie-t-elle à MEE.

« Néanmoins, les campagnes de délégitimation menées par Israël rendent impossible de le soutenir sans craindre d’être qualifiés d’antisémites. En Israël, cela peut même avoir de graves conséquences sur nos vies, en particulier dans le domaine professionnel. »

Pour Shahira, ces accusations « font partie d’une tendance plus générale qui cherche à invalider toutes les formes de résistance palestinienne ».

« Ces allégations sont utilisées pour nous faire taire », déplore-t-elle.

Un sentiment que partage Maryam Alwan, 20 ans, étudiante palestino-américaine.

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Un sentiment que partage Maryam Alwan, 20 ans, étudiante palestino-américaine.

« Nous, Palestiniens, nous trouvons face à un mur : d’un côté, la résistance armée contre les forces d’occupation – qui est pourtant légale selon le droit international – est condamnée, de l’autre, les tactiques non-violentes de BDS sont décrites comme antisémites. »

Des accusations qui trouvent un écho jusqu’à l’ONU : en 2016, lors d’un sommet « anti-BDS » organisé au siège new-yorkais de l’institution multilatérale, l’ambassadeur israélien aux Nations unies a qualifié le mouvement d’« antisémitisme moderne ».

La France condamnée par la CEDH

En France aussi, les militants BDS ont vu leurs activités être freinées par des actions étatiques. Respectivement en 2010 et 2012, les circulaires dites Alliot-Marie et Mercier, qui recommandaient aux procureurs d’engager des poursuites à l’encontre des appels au boycott de produits israéliens, sont entrées en application.

En octobre 2015, quatorze militants BDS ont été condamnés par la Cour de cassation, faisant de la France la première démocratie à criminaliser un appel au boycott

Dans ce cadre, quatorze militants BDS ont été condamnés par la Cour de cassation en octobre 2015, faisant de la France la première démocratie à criminaliser un appel au boycott.

En 2020, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour avoir violé l’article 10 de la convention européenne en la matière, qui protège la liberté d’expression dans le domaine politique.

Cette décision contraignait juridiquement la France à abroger les circulaires Alliot-Marie et Mercier. Mais à ce jour, celles-ci sont toujours en application.

De surcroît, le 20 octobre 2020, le ministère de la Justice a adopté une dépêche adressée aux procureurs consacrée « à la répression des appels discriminatoires au boycott des produits israéliens » qui s’efforce de préserver la pénalisation des appels au boycott.

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Une situation dénoncée par une proposition de loi portée par des députés de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (NUPES) en juillet dernier, qui demande notamment « la condamnation du régime d’apartheid institutionnalisé par Israël » ainsi que « la reconnaissance de la légalité de l’appel au boycott des produits israéliens ».

Cette proposition a provoqué un tollé et la NUPES est depuis régulièrement accusée d’antisémitisme par des parlementaires issus de différents groupes politiques.

Pour Monira, ces accusations ne sont rien d’autre qu’une manière pour Israël et ses alliés de détourner les yeux de la situation d’apartheid qui a véritablement lieu dans les territoires palestiniens occupés, une situation qui a notamment été mise en lumière ces deux dernières années par des rapports d’Amnesty International, de Human Rights Watch et du rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés.

« Les allégations d’antisémitisme sont une inversion accusatoire, une volonté de nous bâillonner : le BDS est un mouvement qui porte l’antiracisme en son cœur », soutient la militante. « Ces tentatives répétées de délégitimation sont la preuve que nous sommes une menace pour l’État d’apartheid israélien. »

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