Nous peuple de gauche

Mediapart

La France est au temps de tous les possibles. Surtout des pires. Un temps qui voit ressurgir les monstres et les mots d’un passé que nous pensions révolu. Au temps du capitaine Dreyfus, ces monstres auraient éructé à notre intention des judéo-opportunistes ou des bouffe-youpins, plus tard ils nous auraient agoni de judéo-bolchéviques, quand ils vomissent aujourd’hui des islamo-gauchistes.

Nous, peuple de Gauche

Depuis le 16 octobre dernier, jour funeste de l’assassinat de Samuel Paty par un jeune homme fanatisé, j’assiste au vacillement des plus fermes convictions sous les attaques d’une grande partie de la classe politique et médiatique. Je reconnais avoir moi-même douté des choix politiques et des défenses judiciaires qui jusqu’alors ne me paraissaient pas trahir ma conscience et mes valeurs. En défendant des personnes de confession musulmane, victimes de racisme et de discrimination, non pas seulement en raison de leur origine, mais également en raison de leurs croyances ou de leurs pratiques. En Côtoyant des collectifs ou des associations de défense des musulmans. En participant à une manifestation dénonçant un attentat commis contre un lieu de culte et la multiplication des actes islamophobes.

J’ai cru, un temps, m’être fourvoyé, et avoir comme certains le prétendent, contribué tout au moins inconsciemment à un projet politique rétrograde, celui de l’islamisme. Comment ne pas douter face au crime le plus atroce qui soit, au-delà de la symbolique de la décapitation, celui d’un enseignant, professeur d’histoire et d’éducation civique ? Celui qui consiste à porter atteinte à un homme bon, dévoué à la transmission à des collégiens, consciences en devenir, des valeurs les plus humanistes. Celles des libertés d’expression, de croyance et d’opinion, libertés des libertés, fondement de la démocratie, voix humaine qui lorsque toutes les autres libertés sont abolies ou emprisonnées, permet encore d’espérer les reconquérir.

J’ai douté de l’espoir même. Celui d’une humanité, respectueuse d’elle-même qui puisse tendre vers plus de justice sociale et d’harmonie avec son environnement. Valeurs que la gauche française faisait primer sur celles de sécurité, d’ordre et d’exclusion avant d’être envahie par la peur et la crispation identitaire.

Et puis j’ai entendu un ami pleurer. Parce que vilipendé, insulté, honni par les foules haineuses, traité d’islamo-gauchiste, culpabilisé pour ces attentats commis au nom d’une idéologie totalitaire. Lui qui, encore jeune, se lève chaque matin, avec l’impérieuse nécessité de mettre en lumière les plus fragiles et les militants, avec la conviction vitale que la solidarité et la fraternité contribuent à apaiser les douleurs sociales.

C’est pour toi mon ami que j’écris. Je n’entends pas te rassurer. La France est au temps de tous les possibles. Surtout des pires. Un temps qui voit ressurgir les monstres et les mots d’un passé que nous pensions révolu. Au temps du capitaine Dreyfus, ces monstres auraient éructé à notre intention des judéo-opportunistes ou des bouffe-youpins, plus tard ils nous auraient agoni de judéo-bolchéviques, quand ils vomissent aujourd’hui des islamo-gauchistes. Mais la haine est toujours la même. René Girard nous a appris que la colère populaire doit toujours trouver un exutoire. Les musulmans et ceux qui tentent de les protéger de cette colère en font aujourd’hui les frais.

Ce que je peux te dire, c’est que défendre des minorités et leur liberté de croyance n’est pas frayer avec l’islamisme et se rendre complice de terroristes. Nous ne faisons, bien au contraire, que défendre les valeurs de la République et le principe de laïcité que tous ceux extrémistes, islamistes, nationalistes, intégristes, laïcistes tentent d’abattre, dans une alliance de circonstance.

Ce que je sais c’est que les fractures sociales, la communautarisation, le fanatisme, la désespérance des enseignants, des soignants, la précarisation et tous les maux qui affectent la République et le peuple français sont exclusivement imputables à ceux qui ont dirigé la France ces dernières décennies.

Comble de la perversion, ce sont les mêmes qui aujourd’hui nous accusent des conséquences de leurs actes ou de leurs abstentions. Ce sont les mêmes qui pour masquer leurs fautes passées, veulent fracturer la société, transformer le pacte social et stigmatiser des personnes en raison de leur confession. Ces mécaniques ne sont pas nouvelles. L’Histoire nous l’a malheureusement trop souvent prouvé.

Sèche tes larmes mon ami, car j’en suis convaincu, un jour meilleur viendra. Le jour où le peuple de gauche, héritier de la Commune et des Dreyfusards assumera enfin de défendre avec force ses valeurs, en les portant en bandoulière sur toutes les places publiques.

Lorsque, nous, peuple de gauche, nous prendrons enfin conscience que ce qui se joue aujourd’hui, ce n’est plus la seule possibilité de compter ses alliés ou d’accéder au pouvoir, mais une certaine idée de la République, de la démocratie et de l’état de droit, nous, peuple de gauche, nous retrouverons le chemin de l’espérance.Voir en ligne : l’article sur le blog Médiapart de Arié Alimi