Motion d’orientation issue de l’Assemblée Générale de décembre 2020

Un environnement international très défavorable

Dans de nombreux pays du monde, des dirigeants affichent une brutalité décomplexée : il y a eu Trump, il y a toujours Nétanyahou, Bolsonaro, Modi, le prince héritier MBS, Sissi mais aussi Poutine, Assad et bien d’autres. Les idées racistes et suprématistes progressent. Cette brutalité va de pair avec une inhumanité accrue vis-à-vis des migrants, des sans-papiers, des sans droits.

En ce qui concerne les dirigeants israéliens, Sylvain Cypel dans son livre « l’État d’Israël contre les Juifs » utilise l’expression « ils urinent du haut du plongeoir ». Ils ne se donnent plus la peine de dissimuler le racisme, l’apartheid, le suprématisme, la violence sans limites. L’entente des dirigeants israéliens avec d’authentiques fascistes, souvent antisémites, ne provoque pas de réactions notables.

Au Proche-Orient, Trump a renversé la table. Le déménagement de l’ambassade états-unienne à Jérusalem a été imité par quelques pays. Mais surtout, les États arabes féodaux du Golfe se rangent un à un du côté de la « normalisation » avec l’occupant. Les Émirats, Bahreïn, le Soudan et le Maroc ont franchi le pas et le souverain d’Arabie Saoudite – lui-même coupable de bien des crimes, notamment au Yémen – appelle ouvertement les Palestiniens à capituler. Ce camp impérialiste, avec des relents racistes et fascistes, ne dispose pas seulement de la suprématie militaire. Facebook, Paypal, Western Union, Zoom et bien d’autres entravent en permanence le soutien à la Palestine.

La défaite de Trump signe la fin d’un mandat d’une incroyable brutalité. Mais rien n’indique que la victoire de Biden modifiera la politique états-unienne au Proche-Orient, sans la mobilisation des forces démocratiques aux États-Unis et partout dans le monde : Biden, qui a salué le déménagement de l’ambassade et l’accord avec les Émirats, ne prévoit pas de modifier le soutien inconditionnel, politique et militaire, des États-Unis à Israël.

La Palestine a, face à elle, un contexte très défavorable. Les dirigeants israéliens peuvent se permettre d’emprisonner impunément, la députée Khalida Jarrar, le coordinateur du BDS Mahmoud Nawajaa ou d’annoncer l’expulsion de Salah Hamouri. Les vols de terres ou les bombardements sur Gaza ne s’arrêtent jamais.

Cette brutalité s’est aussi manifestée contre les Bédouins du Néguev (Naqab) alors qu’on aurait pu espérer une accalmie quand les énergies devaient se concentrer dans la lutte contre la pandémie. Non seulement les Bédouins n’ont pas reçu le même soutien que les autres Israéliens pendant la période de confinement mais, pendant ce temps la politique de judaïsation des terres des Bédouins du Néguev s’est poursuivie : démolitions, expulsions et répression…

Le projet d’annexer de jure une large partie de la Cisjordanie n’a pas été réalisé le 1er juillet 2020 comme annoncé, mais l’annexion de fait est en route. La « judaïsation » du Néguev, de la vallée du Jourdain et de quartiers entiers de Jérusalem et de Haïfa se poursuit sans attendre.

Dans le monde arabe, les complices de l’impérialisme américain semblent aujourd’hui dominants et les voix solidaires avec la Palestine sont rares et peu audibles. 

L’Union européenne et le gouvernement français pratiquent une autre forme de complicité avec l’occupant : affirmer officiellement qu’ils sont pour la « solution à deux États » en continuant de commercer et de soutenir politiquement ou militairement Israël et en considérant comme « terroristes » les résistants palestiniens. Ils mettent sciemment dans le même sac l’antisémitisme et le soutien à la Palestine. C’est ainsi que le Parlement français a voté la résolution Maillard ou que le directeur du musée juif de Berlin a été forcé de démissionner.

Le plus ancien prisonnier politique, qui s’est engagé aux côtés des Palestiniens, est détenu depuis 36 ans en France, c’est Georges Ibrahim Abdallah.

La Palestine vit des moments difficiles

La Palestine vit des moments très difficiles. Elle plie sous les coups, mais elle ne s’écroule pas. Malgré les trahisons, malgré la torture légalisée, les arrestations d’enfants, les attaques contre les villages, les vols de terres, l’enfermement complet de Gaza et les bombardements périodiques, les Palestiniens continuent de « faire société », d’essayer de cultiver, de produire, de développer les arts et la culture quand c’est encore possible, d’éduquer les enfants, de reconstruire inlassablement, de s’accrocher à leurs terres. La division politique perdure, indiscutable victoire de l’occupant, mais la société civile avec son fourmillement d’associations, grandes ou petites, ne s’est pas écroulée. Elle compte sur notre solidarité.

En Israël, le camp anticolonialiste est affaibli. Mais il s’est aussi radicalisé. La remise en cause de tous les fondements du sionisme progresse. Même Zeev Sternhell, décédé en juin 2020 et qui n’avait jamais rompu avec le sionisme, a décrit la fascisation de la société israélienne.

Ceux qui avaient espéré que Ganz les débarrasserait de Nétanyahou se sont lourdement trompés. Les deux hommes se sont alliés. Et pourtant, malgré l’hégémonisme du camp colonial dans la société israélienne, les manifestations contre Nétanyahou se poursuivent. Depuis la crise liée au COVID le gouvernement israélien est empêtré dans des contradictions insolubles : relancer le confinement tout en ménageant les religieux, poursuivre sa politique ultra-capitaliste et militariste et s’affronter au mouvement social…

Des espoirs et des raisons de se battre

Ce sombre tableau serait incomplet si on n’examinait pas aussi les espoirs nés dans la dernière période. Aux États-Unis, le soutien inconditionnel à Israël est de plus en plus impopulaire. L’audience de JVP (Jewish Voice for Peace) progresse, ainsi que celle d’autres associations juives anti-coloniales. JVP, qui a fait le chemin jusqu’à l’antisionisme déclaré, manifeste un lien très solide avec toutes les minorités et en particulier avec le mouvement « Black Lives Matter », avec des syndicats et avec les forces progressistes. Un intellectuel juif états-unien connu, Peter Beinart, a écrit dans le New York Times : « Je ne crois plus en un État juif ».

En Europe, le jugement de la CEDH (Cour Européenne des Droits de l’Homme) désavouant l’État français qui avait condamné des militant.es de Mulhouse pour des actions de boycott, ouvre de nouvelles perspectives au BDS. L’abrogation de la circulaire Alliot-Marie et une relance des actions de boycott dans tous les domaines sont plus que jamais à l’ordre du jour, en dépit de l’insupportable et indécente pression du CRIF sur le gouvernement.

La Campagne BDS, issue de la société civile palestinienne et portée par les sociétés civiles mondiales, a jusqu’ici constitué la seule force capable d’inquiéter Israël, en l’absence de toute sanction par les États. Son développement est aujourd’hui une condition sine qua non de la construction d’un rapport de force capable d’obtenir les sanctions internationales contre Israël, pour arrêter la destruction de la Palestine.

Nous saluons la décision de Madame Fatou Bensouda, Procureure de la CPI (Cour Pénale Internationale) d’ouvrir une enquête contre Israël pour les crimes de guerre commis dans les territoires occupés qui ouvre une brèche dans l’impunité dont Israël a bénéficié jusqu’à aujourd’hui.

Le mouvement de solidarité en France et en Europe a une très grande responsabilité. Encore faut-il qu’il sache trouver unité, cohérence et efficacité.

Depuis des années, l’UJFP dénonce l’apartheid, prône un boycott total de l’occupant, explique qu’Oslo était une gigantesque illusion et qu’il est fondamental de dénoncer l’idéologie sioniste. La réalité fait que ceux qui contestaient ces positions sont de moins en moins nombreux. Pourtant le mouvement de solidarité reste divisé et peu efficace. L’UJFP est présente dans le « Collectif national pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens » et dans le collectif « Ni guerre ni état de guerre ». Il faudra articuler cette présence dans deux collectifs. Nous poursuivons notre présence dans la Plateforme des ONG, qui a ses objectifs propres.

L’UJFP est engagée depuis 2016 dans une solidarité concrète avec des paysans de la Bande de Gaza pour leur permettre de produire, d’en vivre et de nourrir ce territoire sous blocus. Un nouveau succès a été enregistré cette année : une convention a été signée avec Humani’Terre. Cette collaboration a permis la construction et la pérennisation d’une pépinière de plants de légumes qui connaît un grand succès. Nous soutenons cette action, de même que la réalisation de films par des citoyens de Gaza, parce que la survie de 2 millions d’habitants assiégés et enfermés par Israël est un enjeu politique majeur de la période actuelle.

L’UJFP participe avec succès à une collecte internationale visant à fournir, en pleine pandémie, de l’oxygène aux hôpitaux de Gaza.

Enfin, l’UJFP, qui se déclare organisation antisioniste, travaille à déconstruire le discours sioniste. Un livre collectif de l’UJFP, donnant la parole à de nombreux Juifs qui se sont opposés ou s’opposent toujours au sionisme, est en cours de réalisation et devrait sortir en 2021.

En France, une offensive du racisme d’État

Depuis le début du quinquennat de Macron, poursuivant des objectifs définis depuis longtemps par la bourgeoisie française, une offensive majeure contre les droits sociaux s’est affirmée et s’est heurtée à des résistances sociales, celle des syndicats et celle de Gilets jaunes. Elle s’accompagne d’une offensive raciste qui n’est pas seulement une diversion dans le combat social. En effet, il s’agit pour l’État, à la fois de défendre un racisme institutionnel mis en cause par la protestation montante contre les violences policières racistes, et de cibler des secteurs de la population, les Musulmans, les Noirs, les Rroms et les migrants, pour diviser et obtenir un soutien politique dans des secteurs paupérisés de la classe ouvrière blanche, en désignant des boucs émissaires. Ce dangereux repli identitaire organisé par le gouvernement promeut une vision nationaliste et raciste, rejoignant ainsi l’idéologie de l’extrême droite.

La loi en préparation contre le « séparatisme » a clairement pour objet de créer un arsenal islamophobe. Une offensive sans précédent dans ce siècle est en cours : sous couvert de lutte contre « l’islamisme politique », les Musulmans sont désignés comme ennemis intérieurs ; cela se traduit par la volonté de brider toute forme autonome d’expression collective à travers la dissolution d’associations telles que BarakaCity et le CCIF, la remise en cause de la loi sur la laïcité de 1905, la fermeture de mosquées, dont la mosquée de Pantin, de centres culturels et cultuels… Il y a une évidente dimension post-coloniale dans cette perspective et l’affirmation, une fois de plus, de la volonté de diviser la société française.

Cette offensive du racisme d’État libère la parole raciste sur les ondes, dans les médias et les réseaux sociaux. L’islamophobie est ainsi devenue une mode sur certains plateaux télévisés et Zemmour, un produit d’appel. Elle vise notamment les Musulmanes. Des propos de haine raciste dignes des années 1930 peuvent ainsi être déversés sans guère de contradiction. Cette montée du discours raciste s’accompagne d’actes racistes de plus en plus nombreux – attaques de mosquées par exemple – et atteint aussi des Juifs avec une augmentation des actes antisémites. L’accusation d’antisémitisme est portée contre les « quartiers » quand le vieil antisémitisme d’extrême droite bénéficie d’une étrange mansuétude. Le gouvernement persiste à faire de l’antisémitisme un racisme à part, considérablement plus important à ses yeux que la négrophobie, l’islamophobie, l’asiaphobie ou la rromophobie qu’il ignore, nie, couvre ou minimise…

Dans une atmosphère de crise économique et de crise sanitaire, attisée par quelques actes terroristes, cette offensive prend un tour particulier menant à des restrictions des libertés publiques, du droit de manifester et du droit d’asile. La justice continue de poursuivre des « délinquants solidaires ».

Des résistances

Des résistances se font cependant jour. La manifestation devant le tribunal de Paris – interdite – après la mort de George Floyd, a été l’une des mobilisations les plus importantes pour la vérité sur l’affaire Adama Traoré : plus de 20 000 manifestants. Des secteurs issus de l’immigration sont entrés en lutte, comme les 14 mois de grève des femmes de chambre de l’hôtel Ibis, les luttes des immigrés résidents des foyers Adoma et Coallia, les grèves de sans-papiers – fast-food KFC Place d’Italie, cinéma UGC Bercy, hôtel Campanile du Bourget, brasserie chic Le Flandrin ou encore chez Polipro, entreprise spécialisée dans le nettoyage, ou Chronospost… – et ont obtenu des victoires. 

Le mouvement décolonial s’est exprimé après la mort de George Floyd et les déboulonnages organisés dans divers pays : États-Unis, Royaume-Uni, Martinique et Guadeloupe… La publication de Guides décoloniaux et les actions de la BAN (Brigade anti-négrophobie) ou du CRAN ont reçu un accueil favorable qui va au-delà de leur base habituelle et la réflexion post-coloniale progresse dans le monde universitaire.

L’organisation des migrants progresse

Le secteur de l’immigration a également été marqué par de nombreuses manifestations organisée à l’initiative de la Marche des solidarités, avec le soutien de syndicats (Solidaires, CGT, FSU…). Celle du 18 décembre 2019, Journée internationale des migrants, à laquelle plusieurs milliers de manifestants ont participé dans le cadre de la campagne « Égaux, Égales, Personne n’est illégal ». Le 30 mai 2020, des milliers de sans papiers et de soutien ont manifesté à Paris et dans plusieurs villes de France contre le racisme et les violences policières, malgré l’interdiction de la Préfecture. Le 20 juin, des dizaines de milliers de Sans Papiers et soutiens ont également manifesté à Paris et d’autres villes de France. Le 3e acte de 2020 se joue dans le cadre de la Marche nationale des Sans-papiers, qui a vu, du 19 septembre au 17 octobre, 2020 des marcheurs venus des quatre coins de la France converger à Paris, dans une grande marche vers l’Elysée, pour la régularisation de tous les Sans-Papiers, la fermeture des centres de rétention administrative (CRA), un logement pour toutes et tous, et en hommage à toutes les victimes du colonialisme, du racisme, des violences policières, des contrôles au faciès et des politiques anti-migratoires.

L’UJFP s’est investie dans ces combats.

L’apparition publique de la Plateforme antiraciste

L’apparition publique de la Plateforme antiraciste, formée avec la BAN, le CRAN (Conseil Représentatif des Associations Noires de France), le CCIF (Collectif Contre l’Islamophobie en France) et La Voix des Rroms est un élément nouveau du paysage politique antiraciste. L’UJFP en est partie prenante. Cela n’est pas contradictoire avec la participation à des actions avec d’autres associations, pour autant qu’elles se mobilisent contre toutes les formes du racisme.

Il reste à surmonter les divisions du mouvement social et les exclusions qu’elles génèrent parfois. L’UJFP, quant à elle, souhaite travailler dans l’unité avec le mouvement antiraciste.

Un des axes de cette résistance au racisme a été la défense juridique mutuelle : procès Clavreul, procès Zemmour, constitution de partie civile à venir dans des procès contre la négrophobie… La circulation d’informations et le soutien mutuel permettent d’établir une confiance et d’agir ensemble contre les manifestations les plus marquantes du racisme institutionnel et institutionnalisé.

La dissolution inique et scandaleuse du CCIF est un acte grave qui marque une nouvelle étape de renforcement de l’autoritarisme, de l’arbitraire et de l’islamophobie d’État. Aussi la solidarité active contre la répression est une des tâches majeures de l’UJFP ; elle se fera sur les valeurs de justice et d’égalité dans le respect de l’autonomie des organisations des populations directement ciblées. L’UJFP poursuit, dans ce cadre, la diffusion d’Une parole juive contre le racisme et des clips réalisés pour l’illustrer.