Par Cheikh Dieng – Publié le 9 décembre 2019 sur le site du Courrier du soir.
Un édito du média israélien Haaretz critique sévèrement la proposition de résolution prise par le Parlement français ce 3 décembre qui consiste à assimiler antisionisme à antisémitisme. Le média juif dénonce “une supercherie “dont le but consiste à criminaliser toute critique envers la politique d’occupation ou de colonisation juive en terre palestinienne
Lecourrier-du-soir.com vous invite à lire l’édito de son intégralité.
Très bonne lecture.
« Quiconque veut comprendre le problème lié à la définition de l’antisionisme comme une forme d’antisémitisme devrait lire le twitte de Yair Netanyahou (fils de Benjamin Netanyahou) concernant la décision prise la semaine dernière par le parlement français pour adopter la définition. « Vous rendez-vous compte que le parlement français a en effet décidé qu’Ahmad Tibi, Ayman Odeh et tout le reste sont des antisémites ? », s’est interrogé le fils du Premier ministre israélien.
Il est difficile de penser à une expression plus pure de la « manipulation Netanyahou-esque » (un mélange de harcèlement légal, de chantage émotionnel et d’ingénierie sémantique sophistiquée) que celle de définir l’antisionisme comme une forme d’antisémitisme et de l’imposer d’une façon charmante à des pays étrangers.
C’est presque possible de réduire l’acte historique de Benjamin Netanyahou au seul fait qu’il ait réussi à changer l’opinion internationale comme une chaussette sortie tout droit d’une machine à laver. Qui aurait pu imaginer qu’aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et désormais en France une simple remarque selon laquelle l’Israël de la Déclaration d’Indépendance est devenu une ethnocratie, une autre nation oppresseur, sera définie par la loi comme de l’antisémitisme ?
A quoi ceci ressemble-t-il ? A la situation où le secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, est obligé de gober la propagande de la droite israélienne et de déclarer que les colonies juives ne sont pas forcément une violation du droit international ? Un instant s’il vous plait !, cela aussi s’est produit. Avec tout le respect pour la lutte contre l’antisémitisme, cette nouvelle définition est une manipulation et il faut être un Européen consumé par le sentiment de culpabilité ou un Américain consumé par le politiquement correct pour l’accepter.
La nouvelle définition n’a rien à voir avec la lutte contre l’antisémitisme. Ne nous prenez pas pour des cons. Ceci est une tentative évidente de contrôler la lutte contre l’antisémitisme avec l’unique objectif de rendre l’occupation et la colonisation acceptables et ainsi de museler politiquement les opposants à l’occupation en criminalisant toute tentative d’y mettre fin. La traduction anglaise du twitte de Yair Netanyahou doit être relayée en masse car il expose les raisons obscures qu’il y a derrière le fait d’associer antisionisme et antisémitisme.
Ceux qui détestent les minorités partout dans le monde ne font pas peur aux Juifs, il faut plutôt dire que les minorités dans l’ « État Juif » sont en train d’empêcher la majorité juive qui dirige cet État de dormir. Tibi et Odeh et les arsenaux de votes dans leurs entrepôts d’armes démocratiques sont en train de comploter pour nous surprendre d’une attaque éclair dans les urnes.
L’étape complémentaire à la nouvelle définition de l’antisémitisme a été concoctée dans les livres de droit israéliens il y a deux ans lorsque la Knesset (Parlement israélien) avait passé un amendement à la Loi Fondamentale. Désormais, une personne peut être interdite de devenir député à la Knesset si cette personne rejette la définition d’Israël en tant qu’État juif et démocratique.
De qui se moque-t-on ? « Juifs ou démocratiques » sont des mots codes pour désigner un État juif. Il faut combien de mots pour empêcher que les Arabes qui n’ont pas oublié qu’ils sont Arabes deviennent députés à la Knesset ? Quel culot vous faut-il pour leur interdire par la loi de se battre pour l’égalité dans leur propre pays ? Quel degré de manipulation vous faut-il pour assimiler une lutte démocratique élémentaire menée par des citoyens du pays à une lutte armée menée par une nation ennemie ou une organisation hostile dans un territoire occupé ?
Voici un parfait exemple de la manipulation Neyanyahou-esque en action : transformer la lutte qui consiste à faire d’Israël l’« État de tous ses citoyens » en un rejet d’Israël en tant qu’État « juif et démocratique ». En d’autres termes, rejetant l’existence d’Israël ou en résumé : sa destruction. La communication de Netanyahou depuis les élections le confirment. Il n’a cessé de répéter : « ils veulent nous détruire ».
C’est ainsi que sous les auspices d’une Loi Fondamentale, quelqu’un qui croit que les citoyens arabes d’Israël devraient être déportés ou jetés dans la mer ou à Gaza est assimilé à quelqu’un qui a embrassé l’idée de transformer Israël en un État appartenant à tous ses citoyens et l’annulation de son « caractère juif ». En d’autres termes, la suprématie juive et l’infériorité arabe sous Netanyahou ont été légalement entérinées dans l’État-nation juif.
Ils ont inventé une extraordinaire supercherie. Le gouvernement israélien fera tout ce qu’il voudra, l’entériner comme une loi et qualifier toute opposition à cette décision d’antisémite. Comment se fait-il qu’ils n’aient jamais pensé à cela avant ? »
Cet édito du média israélien Haaretz est rédigé par la journaliste Carolina Landsmann. L’analyse a été intégralement traduite de l’anglais au français par Cheikh DIENG, rédacteur en chef et fondateur du site d’information www.lecourrier-du-soir.com
Pour lire l’édito dans sa version originale et dans son intégralité, cliquez ici : Haaretz