Les principaux acteurs de théâtre britannique accusent le Prix européen d’art dramatique de maccarthysme moderne.
Artists for Palestine, 17 novembre 2022
Le prix pour l’ensemble de son œuvre attribué à Caryl Churchill est annulé en raison de son soutien aux Palestiniens.
Ce retrait suscite une importante mobilisation de plus de 170 acteurs, réalisateurs, producteurs et écrivains.
Plus de 170 acteurs, écrivains, réalisateurs et producteurs ont accusé le jury du Prix européen d’art dramatique 2022 en Allemagne de « maccarthysme moderne », après qu’il ait retiré le Prix pour l’ensemble de sa carrière à la célèbre dramaturge britannique Caryl Churchill, en raison de son soutien aux droits des Palestiniens.
Cette accusation figure dans une lettre ouverte (publiée ci-dessous dans son intégralité) signée, entre autres, par Dame Harriet Walter (Killing Eve, Succession), les réalisateurs Mike Leigh (Peterloo, Mr Turner, Vera Drake), Stephen Daldry (Billy Elliot, The Crown), Phyllida Lloyd (The Iron Lady, Mamma Mia !), Dominic Cooke CBE du National Theatre…
Caryl Churchill a reçu le Prix européen d’art dramatique en avril de cette année, mais la décision a été annulée en octobre en raison de son soutien au mouvement de Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS) mené par les Palestiniens.
« Caryl Churchill mérite les plus hautes récompenses internationales pour l’ensemble de son œuvre théâtrale qui a innové dans l’art dramatique », a déclaré Dame Harriet Walter. « Lui retirer tout honneur en raison de ses opinions politiques est un acte déshonorant qui rappelle le maccarthysme ».
Faisant état d’une série d’attaques semblables à l’encontre d’artistes et d’universitaires ces dernières années, la lettre ouverte indique que « cette [dernière] attaque contre la liberté de conscience… soulève des questions urgentes sur un modèle d’intimidation et de réduction au silence en Allemagne, et au-delà ».
Parmi les signataires – qui accusent les institutions allemandes de « racisme anti-palestinien profondément ancré » – figurent également les acteurs Miranda Richardson, Miriam Margolyes, Khalid Abdalla, Juliet Stevenson, Maxine Peake, Maureen Beattie, ainsi que les dramaturges Abbie Spallen, Polly Stenham, Hannah Khallil, Nicholas Wright, Sabrina Mahfouz, Tanika Gupta, le réalisateur Stephen Frears et la critique de théâtre de l’Observer Susannah Clapp.
« Le fait que le Schauspiel Stuttgart annule son prestigieux prix est irresponsable, c’est une atteinte aux libertés et un signe d’ignorance ; cette décision pue le fascisme même auquel il prétend s’opposer », a déclaré Mike Leigh.
En annonçant le retrait du prix, le jury a également répété que la pièce de Caryl Churchill « Sept enfants juifs » pouvait être considérée comme « antisémite », ce que Caryl Churchill a rejeté en déclarant : « Une pièce politique rencontre des ennemis politiques qui l’attaquent en la taxant d’antisémitisme ».
Dominic Cooke, qui a mis en scène la pièce en 2009, a déclaré : « Attirer l’attention sur les violations des droits de l’homme par Israël et son occupation illégale du territoire palestinien n’est pas antisémite, c’est une protestation légitime. Nous devons défendre le droit des artistes à faire des commentaires sur ce sujet, et sur tout autre abus de pouvoir dans le monde, sans qu’ils fassent l’objet d’attaques diffamatoires ».
Cette importante mobilisation a également reçu le soutien de Sir Geoffrey Bindman KC (Conseiller du Trône), qui a déclaré que le retrait du prix en raison du « soutien de Caryl Churchill au BDS viole clairement son droit à la liberté d’expression protégé par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. C’est une erreur et le prix devrait lui être restitué sans condition ».
LA LETTRE OUVERTE DANS SON INTÉGRALITÉ
« Nous sommes consternés de voir que le prix pour l’ensemble de sa carrière décerné à la dramaturge Caryl Churchill dans le cadre du Prix européen d’art dramatique 2022 ait été annulé par le jury du Schauspiel Stuttgart, au motif que Caryl Churchill soutient le mouvement non violent de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) contre le système d’apartheid d’Israël.
Ce revirement scandaleux est le dernier en date d’une campagne qui vise les artistes critiquant la violence coloniale d’Israël. Il fait suite aux tentatives de censure de personnalités telles que les musiciens Brian Eno, Kae Tempest, Young Fathers, Talib Kweli, l’auteur Kamila Shamsie, l’artiste Walid Raad, le philosophe Achille Mbembe, le journaliste et poète palestinien Mohammed el-Kurd et l’ancien directeur du Musée juif de Berlin, Peter Schäfer. Cette attaque contre la liberté de conscience n’est rien de moins que du maccarthysme moderne et soulève des questions urgentes sur un modèle d’intimidation et de réduction au silence en Allemagne, et au-delà.
Nous notons que les objectifs du mouvement BDS dirigé par les Palestiniens – la fin de l’occupation, la pleine égalité des citoyens palestiniens d’Israël et le droit de retour des réfugiés palestiniens – sont conformes au droit international.
Pourtant, en 2019, une résolution adoptée par le Bundestag a faussement assimilé le mouvement BDS à de l’antisémitisme. Cette résolution vaguement formulée et non contraignante a été rejetée par les principales autorités internationales en matière d’antisémitisme et d’histoire de l’Holocauste. En 2020, 32 grandes institutions culturelles allemandes ont tiré la sonnette d’alarme face à la répression des voix minoritaires et critiques, déclarant la résolution anti-BDS « dangereuse » et « préjudiciable à la vie publique démocratique ». En outre, sept tribunaux allemands ont estimé que les résolutions anti-BDS et les mesures prises pour les mettre en œuvre violaient les droits fondamentaux, notamment la liberté d’expression.
La répression et le silence dont nous sommes témoins révèlent un racisme anti-palestinien profondément ancré, et remettent en question l’intégrité et l’indépendance des institutions culturelles.
L’incapacité à défendre les artistes qui s’expriment en faveur des droits humains – même lorsque cela dérange le gouvernement en place – jette le discrédit sur le secteur culturel. Nous exigeons mieux. Si les seules formes d’art considérées comme « sûres » pour les institutions sont celles qui n’ont rien à exprimer aux dépossédés et aux opprimés de cette terre et qui restent silencieuses face à la répression approuvée par l’État, alors l’art et la culture sont vidés de leur sens et de leur valeur.
Ces derniers jours, Caryl Churchill a déclaré : « Je maintiens mon soutien à BDS et aux Palestiniens. » Nous aussi, nous soutenons le peuple palestinien. Et nous sommes fiers de soutenir Caryl Churchill et de nous opposer au maccarthysme. »
Suivent les signatures
(traduction : JCP)
L’UJFP s’insurge contre cette chasse aux sorcières contre la liberté d’expression et à l’encontre de toute critique d’Israël, qui pourtant tue et détruit méthodiquement et à petit feu la société palestinienne, sans que la scène internationale ne réagisse.
Pour soutenir Caryl Churchill, nous publions son texte « Sept enfants juifs : une pièce pour Gaza » (en anglais). Cette pièce a été écrite après les bombardements de Gaza en 2009.
De manière évidente, ce texte n’est pas antisémite. Commentant sa pièce , Caryl Chruchill a dit :
« La première scène se déroule à une époque de persécution, qui pourrait être la Russie du XIXe siècle (comme je pense que j’avais tendance à le faire lorsque je l’ai écrite) ou (comme nous l’avons choisi au Royal Court) l’Allemagne des années trente. La deuxième scène se déroule quelque temps après l’Holocauste en Angleterre (ou en Amérique). La troisième scène, quelques années plus tard, montre des Anglais (ou des Américains) qui décident de se rendre en Israël. Dans la quatrième scène, une famille (différente) vient d’arriver en Israël. Ainsi, dans aucune de ces scènes, l’enfant dont on parle n’est un Israélien. Dans la production RC (Radio Canada), l’enfant de la scène 6 n’était pas non plus israélien, car nous imaginions qu’elle venait d’Angleterre pour rendre visite à des parents en Israël, ce qui explique pourquoi il fallait lui expliquer tant de choses, mais elle pourrait bien sûr être une enfant israélienne. Le film s’appelle donc Sept enfants juifs, car c’est ce qu’ils ont tous en commun.
La Coordination nationale de l’UJFP