Monsieur,
Vous venez de produire un pamphlet raciste et antisémite dans lequel, vous rappelez les propos antisémites de Napoléon 1er au sujet des dizaines de milliers de juifs en France a l’époque, pratiquant – selon Napoléon – l’usure et faisant maints troubles et réclamations.
Propos que vous reprenez à votre compte pour illustrer vos projets racistes cette fois dirigés contre nos frères musulmans1. Faisant d’une pierre deux coups – l’un islamophobe et l’autre antisémite. En réalité, l’expression du racisme absolu qui vous anime, que vous exprimez aujourd’hui tranquillement.
Il se trouve, Monsieur, que ma famille – maternelle totalement, paternelle pour moitié – est française et juive depuis toujours et que mes ancêtres n’ont jamais pratiqué l’usure, jamais occasionné ni trouble ni réclamation. Les uns s’appelaient Bloch d’autres, Mendel, Lévy, Gumpel, etc. Dans les célébrités familiales il y a un charcutier casher qui s’était installé rue des Rosiers ; il y a mon arrière grand-père maternel – Georges Mendel, dont je porte le prénom – inventeur du cinéma à la même époque que les Frères Lumière, inventeur des premiers appareils de synchronisation – film et chant photographie. Il a produit en 1907 le premier court métrage chanté en France de la Marseillaise… Nul banquier donc, nul conseillé du Prince, nul avocat, nul professeur à la Sorbonne !
Tous avaient quitté l’Alsace Lorraine après Sedan, s’étaient installés à Paris pour rester français, pratiquant (pour ceux qui étaient pieux) un judaïsme d’ordre familial des plus discrets. Tous avaient la nostalgie de l’Alsace-Lorraine perdue. Et nous possédons dans les archives familiales des photos de ma mère enfant, vêtue de l’habit traditionnel alsacien tenant dans ses mains une poupée, elle aussi en tenue alsacienne…. Une histoire qu’a parfaitement racontée le grand écrivain français Jean Richard Bloch dans son célèbre livre… ET COMPAGNIE.
Ma famille était française, rien que française. Elle avait une confiance aveugle en la France et elle ne pouvait imaginer qu’un jour, il se trouverait des hommes politiques capables de devenir leurs bourreaux. Nos bourreaux plus exactement puisque moi-même, je suis né en mars 1937…
Très certainement, votre filiation politique d’extrême-droite et votre racisme vous ont tenu éloigné des travaux du grand historien et résistant Marc Bloch, vous laissant ignorant de son célèbre testament écrit le 18 mars 1941 à Clermont-Ferrand où il enseignait encore . Permettez moi, Monsieur, de vous le faire connaître dans son intégralité :
« Où que je doive mourir, en France ou sur la terre étrangère et à quelque moment que ce soit, je laisse à ma chère femme ou, à son défaut, à mes enfants le soin de régler mes obsèques, comme ils le jugeront bon. Ce seront des obsèques purement civiles ; les miens savent bien que je n’en aurais pas voulu d’autres. Mais je souhaite que, ce jour là — soit à la maison mortuaire, soit au cimetière —, un ami accepte de donner lecture des quelques mots que voici :
Je n’ai point demandé que sur ma tombe, fussent récitées les prières hébraïques, dont les cadences, pourtant, accompagnèrent, vers leur dernier repos, tant de mes ancêtres et mon père lui-même. Je me suis, toute ma vie durant efforcé, de mon mieux, vers une sincérité totale de l’expression et de l’esprit. Je tiens la complaisance envers le mensonge, de quelques prétextes qu’elle puisse se parer, pour la pire lèpre de l’âme. Comme un beaucoup plus grand que moi, je souhaiterais volontiers que, pour toute devise, on gravât sur ma pierre tombale c’est simples mots : Dilexit veritatem. C’est pourquoi il m’était impossible d’admettre qu’en cette heure de suprêmes adieux, où tout homme a pour devoir de se résumer soi-même, aucun appel ne fut fait en mon nom, aux effusions d’une orthodoxie, dont je ne reconnais point le credo. Mais il me serait plus odieux encore que dans cet acte de probité personne ne pût rien voir qui ressemblât à un lâche reniement. J’affirme donc, s’il le faut, face à la mort, que je suis né juif ; que je n’ai jamais songé à m’en défendre ni trouvé aucun motif d’être tenté de le faire. Dans un monde assailli par la plus atroce barbarie, la généreuse tradition des prophètes hébreux, que le christianisme en ce qu’il a de plus pur, reprit pour l’élargir, ne demeure-t-elle une de nos meilleures raisons de vivre, de croire et de lutter ? Étranger à tout formalisme confessionnel comme à toute solidarité prétendument raciale, je me suis senti, durant ma vie entière, avant tout et très simplement français. Attaché à ma patrie par une tradition familiale déjà longue, nourri de son héritage spirituel et de son histoire, incapable en vérité, d’en concevoir une autre où je puisse respirer à l’aise, je l’ai beaucoup aimée et servie de toutes mes forces. Je n’ai jamais éprouvé que ma qualité de juif mît à ces sentiments le moindre obstacle. Au cours des deux guerres, il ne m’a pas été donné de mourir pour la France. Du moins puis-je , en toute sincérité, me rendre ce témoignage : je meurs, comme j’ai vécu, en bon français. Il sera ensuite – s’il a été possible de s’en procurer le texte – donné lecture de mes cinq citations ».
Marc Bloch est arrêté à Lyon par la Gestapo le 8 mars 1944. Torturé et interné à la Prison de Montluc, il en est extrait le 16 juin avec 30 autres prisonniers. Tous emmenés en camion à Saint-Didier-de-Formans où ils sont abattus à la mitrailleuse dans un champ, quatre par quatre. Marc Bloch était membre du Comité Franc-Tireur, délégué régional des Mouvements Unis de la Résistance – MUR, collaborateur du journal clandestin Franc-Tireur.
Les affirmations exprimées de ce texte étaient celles de nombreuses familles juives françaises, de la mienne, des survivants ensuite, dès la Libération venue. Français et Juifs elles étaient, français et juifs elles le restaient malgré la trahison et les persécutions que la France et les nazis leur avaient infligées. Affirmations qui, aujourd’hui, pourraient paraître d’un patriotisme et d’un nationalisme désuets quand, en réalité, elles sont d’une extrême actualité puisque vous-même qui soupçonnez nos compatriotes musulmans ou supposés tels, de séparatisme, vous acceptez sans broncher des juifs français qu’ils puissent avoir une double nationalité – française et israélienne – (expression d’un antisémitisme absolu en dernière analyse) alors qu’en réalité nous sommes incapables, pour nombre d’entre nous, de concevoir un autre lieu où nous puissions respirer à l’aise comme l’avait admirablement exprimé Marc Bloch.
Quand bien même des gens de votre espèce tiendraient à nouveau des propos racistes – islamophobes et antisémites – d’une telle énormité.
Georges Gumpel
Enfant juif caché en 1943/1944 Fils d’Alfred Gumpel, arrêté fin juillet 1944 à Lyon, Interné à Montluc, déporté dans le Convoi du 11 août 1944 à Auschwitz où il y entre le 23 août 1944. Transféré à Mauthausen fin janvier 1945, il meurt à Melk le 10 avril 1945. Partie civile au procès de Klaus Barbie.
- Lire l’article de Mérôme Jardin[↩]