Quand l’Occident approuvera-t-il publiquement le droit des Palestiniens à se défendre ? interroge Ilan Pappe.
Le dernier assaut brutal israélien sur la bande de Gaza a révélé une fois de plus la réponse hypocrite et immorale de l’Occident à la politique génocidaire appliquée par Israël dans les territoires occupés.
La poursuite des politiques impitoyables et les réponses des gouvernements occidentaux, en particulier américains et britanniques, peuvent naturellement pousser au désespoir et à l’inaction.
Cependant, le désespoir et l’inaction sont un luxe que les Palestiniens vivant sous l’apartheid, le blocus et l’occupation ne peuvent se permettre … Par conséquent, le mouvement de solidarité devrait également faire de son mieux pour ne pas céder à un sentiment d’impuissance ou de désespoir.
Il est important de prendre note du manque de sincérité permanent de l’Occident, tel qu’il s’est manifesté une fois de plus cette fois-ci, de condamner cette duplicité et de la contrer en exposant les mensonges et les distorsions sur lesquelles elle est basée.
Le président américain, le département d’État et l’envoyé américain aux Nations unies ont « soutenu le droit d’Israël à se défendre » en réaction à l’assaut israélien, tout comme la ministre britannique des Affaires étrangères, qui sera probablement la prochaine Première ministre en septembre.
C’est assez inimaginable d’entendre ces déclarations… A une époque où toutes les grandes organisations de défense des droits de l’homme et des droits civiques dans le monde définissent Israël comme un État d’apartheid, les élites politiques occidentales ont choisi de soutenir son prétendu droit à l’autodéfense.
Nous ne devons pas nous lasser. Nous devons rappeler au monde que le peuple qui a le droit de se défendre, ce sont les Palestiniens et qu’ils disposent de moyens très limités pour le faire, que ce soit par la lutte armée ou en faisant appel au droit et aux institutions internationales.
Dans de nombreux cas, ils n’ont pas été en mesure de se défendre, ni à Gaza ce mois-ci, ni nulle part ailleurs dans la Palestine historique depuis 1948. Lorsqu’ils y parviennent, ils sont accusés d’être des terroristes.
Les gouvernements occidentaux semblent se soucier très peu du droit des Palestiniens à la vie, à la dignité et à la propriété. L’ONU s’est engagée à le faire dans la résolution 181 du 29 novembre 1947 et n’a rien fait lorsque tous ces droits ont été violés lors du nettoyage ethnique de la Palestine.
Depuis lors, et en particulier depuis 1967, aucun des gouvernements occidentaux n’a jamais tenté de protéger les Palestiniens lorsque l’armée israélienne les a pris pour cible, tués ou blessés – avec des armes fournies par l’Occident ou développées avec son aide. Il n’a rien fait non plus lorsque leurs maisons ont été démolies, leurs moyens de subsistance détruits ou lorsqu’ils ont été chassés de force, expulsés.
Il suffit de se référer au mois de juillet 2022 et identifier certaines des victimes palestiniennes dont le droit à l’autodéfense n’a pas été reconnu par le président des États-Unis ou le ministre des Affaires étrangères de Grande-Bretagne.
Ces responsables politiques sont restés silencieux lorsque, au cours de ce mois, Saadia Faragallah-Mattar, âgée de 64 ans, une mère de 8 enfants et une grand-mère de 28, est décédée à la prison de Damon où elle avait déjà passé 6 mois détenue sans procès. Personne n’a défendu ou reconnu le droit à la vie, ce même mois, d’Amjad Abu Aliya, un garçon de 16 ans qui a été abattu par des soldats israéliens.
La liste des personnes assassinées ce mois-ci est longue…
Elle comprend Nabil Gahnem, 53 ans, qui en juillet dernier a tenté de rentrer chez lui en sécurité après avoir travaillé en Israël et a été abattu par des soldats israéliens, et Taher Khalil Mohammad Maslat, un garçon de 16 ans, abattu, alors qu’il se rendait à l’école, par des soldats israéliens – des tireurs d’élite qui l’ont visé à une distance de 100 mètres et l’ont tué.
Odeh Mahmoud Odeh a été abattu en juillet, à al-Midya, un village près de Ramallah, au cours d’une semaine qui a également vu le meurtre d’Ayman Mahmoud Muhsein, 29 ans, père de 3 enfants et prisonnier politique depuis 3 ans, qui a été tué dans le camp de Dheisheh près de Bethléem, et Bilal Awad Qabha, 24 ans, tué à Yabad.
Alors que le mois venait de commencer, Muhammad Abdulla Salah Suleiman, un garçon de Silwan, a été abattu sur la Route 60 – une route d’apartheid réservée exclusivement aux colons – par des soldats israéliens installés sur une tour de guet. Il a été laissé perdant son sang pendant environ deux heures, les soldats israéliens empêchant une ambulance palestinienne de l’atteindre, en tirant sur quiconque s’approchait de lui.
Muhammad est mort plus tard de ses blessures.
Des tours de guet israéliennes sont également réparties près de la clôture de la bande de Gaza, mais elles ne sont pas habitées. Elles sont chargés de mitrailleuses actionnées à distance par de jeunes femmes soldats israéliennes, qui ont été congratulées par la radio israélienne comme des héroïnes défendant leur patrie lorsqu’elles ont expliqué comment elles utilisent un joystick sur leur ordinateur pour tuer quiconque s’approche de la clôture.
Depuis le 1er janvier 2022 et jusqu’à l’assassinat par Israël de Shireen Abu Akleh, les forces israéliennes ont assassiné 61 Palestiniens.
Ces meurtres faisaient partie de ce que les organisations locales et internationales de défense des droits de l’homme ont décrit comme une « politique de tirer pour tuer » contre les Palestiniens, directement encouragé par le Premier ministre israélien du moment, Naftali Bennett, pour utiliser une force mortelle contre des Palestiniens qui ne représentaient aucune menace immédiate.
Des centaines de personnes ont été blessées pendant le Ramadan cette année, en particulier à Haram al-Sharif.
Et le nombre de morts s’alourdit lors de cette dernière attaque. Des enfants tels que Momen Salem, 5 ans, et Ahmad al-Nairab, 11 ans, à Jabaliya ont été tués avec 14 autres enfants âgés de 4 à 16 ans.
Des enfants palestiniens meurent également à cause de la politique israélienne de refus de permis médicaux aux enfants de Gaza. Environ 840 enfants sont morts en attente de permis entre 2008 et 2021.
Personne dans les médias occidentaux ou dans la politique dominante n’a parlé du droit des Palestiniens qui ont été mutilés par des tirs israéliens ce mois-ci, à se défendre.
Nassim Shuman, un étudiant marchant sur une route secondaire près de Ramallah, a perdu une jambe et son ami Ussayed Hamail s’est retrouvé paralysé, dans un fauteuil roulant, après avoir été abattu par des soldats israéliens.
Un sort similaire, ce mois-ci, attendait Harun Abu Aram de Yatta, qui est devenu paralysé de la tête aux pieds après avoir tenté d’empêcher les soldats de voler le générateur de son voisin.
Un silence « assourdissant » similaire a été perçu lorsque la communauté palestinienne de Ras al-Tin, soit 18 familles, a été expulsée de ses maisons en juillet dernier et lorsque des familles de Masafer Yatta sont devenues la cible de l’entraînement militaire israélien.
Personne à Londres ou à Washington en juillet dernier n’a parlé du droit des Palestiniens à se défendre à la suite de la décision de la Cour suprême israélienne d’approuver le plan de l’armée visant à expulser environ un millier de Palestiniens de la région de Masafer Yatta.
Et personne dans l’Occident officiel n’a parlé du droit de ces Palestiniens qui sont torturés par Israël à se défendre… En juillet dernier, nous apprenions du « Comité public contre la torture en Israël » (PCATI) que la situation s’est tellement dégradée qu’il a décidé de déférer Israël devant la Cour pénale internationale.
PCATI a conclu qu’Israël « n’est pas intéressé et est incapable d’arrêter l’utilisation de la torture contre les Palestiniens », donc une politique qui constitue un crime de guerre.
La même organisation a déclaré qu’après 30 ans de lutte contre la torture, elle était « arrivée à la conclusion lamentable » qu’Israël « ne souhaitait pas mettre fin à la torture, ni enquêter honnêtement sur les plaintes des victimes et poursuivre les responsables ».
En juillet, nous avons été choqués par l’histoire horrible d’Ahmad Manasra, emprisonné à l’âge de 13 ans, souffrant d’une dépression nerveuse. Malgré les appels de l’ONU pour le libérer, Israël a répondu en le plaçant en isolement.
Et nous n’avons pas le temps d’énumérer ces Palestiniens utilisés comme boucliers humains, dont les maisons ont été démolies, les champs incendiés et les commerces détruits.
Certes, ils avaient tous le droit de se défendre – mais qui les a défendus ? Ni la communauté internationale, ni l’Autorité palestinienne, ni l’OLP où qu’elle soit, ni les dirigeants palestiniens à l’intérieur d’Israël, ni le monde arabe. Étaient-ils alors censés rester sans aucune réaction et sont-ils censés le faire à l’avenir ?
Israël offre maintenant au Hamas ce qu’il a offert à l’AP – un modèle de prison ouverte, où les personnes incarcérées seraient à la merci des geôliers israéliens – où les droits fondamentaux sont limités à vivre et à travailler en échange d’une « bonne conduite ». Toute tentative de vivre une vie normale libérée est immédiatement qualifiée de terrorisme et la puissance de l’armée est instantanément activée.
Le modèle de « prison ouverte » est remplacé par un modèle de « prison à sécurité maximale », où la punition collective apparaît sous la forme de bombardements aériens, de blocus et d’une longue liste de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.
Je demande à nouveau, qui défendra les Palestiniens de la nécessité de choisir entre deux options aussi cruelles l’une que l’autre en Cisjordanie et dans la bande de Gaza ?
Personne ne propose une troisième option. Quand les dirigeants occidentaux approuveront-ils publiquement le droit des Palestiniens à se défendre – comme ils le font par exemple en Ukraine ?
Et quand allons-nous, dans le mouvement de solidarité, réussir à faire pression sur ces dirigeants pour qu’ils franchissent ce pas, afin que nous soyons tous en mesure d’empêcher les prochains crimes, mutilations et expulsions de Palestiniens innocents ? J’espère bientôt, avant qu’il ne soit trop tard.
Jusque-là, les Palestiniens qui se défendent doivent avoir tout notre soutien et toute notre admiration.
Le 17 août 2022
(The Palestine Chronicle – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah)
Note de la Coordination nationale de l’UJFP :
Devant les crimes de guerre et crimes contre l’humanité attestés commis par l’Etat d’Israël avec la volonté de refouler toujours plus la population palestinienne, devant les massacres indifférenciés commis, devant les appels aux intentions génocidaires prononcés par des politiciens dont les partis peuvent être au gouvernement, compte tenu de prises de positions de la communauté internationale considérant que tout meurtre indifférencié de la population d’une ville ou d’un village sans justification militaire, tel celui de Srebrenica, devait être qualifié de génocide, plusieurs de nos amis, tels Ilan Pappe et Ziad Medoukh considèrent que l’on doit parler de génocide pour qualifier la politique de l’État d’Israël.
Jusqu’à présent, l’UJFP choisit de ne pas utiliser ce terme, craignant la banalisation de son usage, le réservant aux crimes de masse systématiques tels que ceux que les régimes turc, nazi, hutupower ont commis vis-à-vis des Arméniens, des Juifs d’Europe et des Tutsis du Rwanda.
Cela ne change rien au fond de notre condamnation commune de la colonisation, de l’apartheid, de l’épuration ethnique, de la destruction organisée de la culture de la population palestinienne.