Un jugement dans le procès intenté par un maître de conférence en mathématiques, et qui se voulait le point culminant de onze années de militantisme pro-israélien, statue que l’attachement à Israël ne fait pas intrinsèquement partie de la judéité et provoque une onde de choc dans la communauté juive.
Anshel Pfeffer 8 avril 2013 Haaretz
(Traduction Michèle Sibony )
Londres – Ce n’était qu’un simple citoyen poursuivant en justice le plus grand syndicat universitaire de Grande Bretagne, mais c’est comme si tout l’Establishement juif du pays s’était tenu derrière lui au Tribunal. Ce n’était qu’une procédure de premier degré devant un tribunal du travail, et non une Haute Cour statuant sur des affaires d’ État. Mais le jugement a semblé vouloir exprimer quelque chose de profond sur ce que signifie être juif – que l’amour pour l’Etat d’Israël n’est pas un caractère intrinsèque chez les juifs de Grande Bretagne, ou partout ailleurs dans cette affaire.
Le jugement rendu il y a deux semaines, la veille de Pâques, dans le procès de Ronnie Fraser contre le syndicat universitaire et des collèges d’enseignement supérieur (UCU) a gâché l’ambiance de vacances pour nombre de Juifs influents de grande Bretagne, puis il a peu à peu provoqué des ondes de choc dans les échelons élevés de la communauté.
Le procès se voulait le point culminant de onze années de militantisme pro israélien pour Fraser, un maître de conférence en mathématiques qui s’est battu contre ce qu’il considérait comme une vague anti-israélienne virulente, clairement teintée d’antisémitisme, montant dans le syndicat dont il est membre.
A son côté se tenait Anthony Julius, l’un des plus éminents avocats juif de grande Bretagne, et infatigable adversaire de l’antisémitisme. Soutenant les deux hommes, une distribution de témoins comprenant des militants juifs , des sympathisants non juifs, des universitaires et des personnalités politiques.
Le procès était soutenu à la fois financièrement et avec une très importante recherche de documentation par des organisations liées aux Unions de Direction de la communauté juive de Grande Bretagne, le Conseil des députés juifs de Grande Bretagne, et le Comité de Direction Juif.
Le dossier contre UCU était complexe, il comprenait 10 plaintes séparées, mais l’idée générale était que les responsables du syndicat, qui représente plus de 120 000 membres dans les collèges et universités britanniques, auraient manifesté un antisémitisme institutionnel entraînant chez les membres juifs un sentiment de harcèlement d’une façon considérée comme illégale au vu de la législation antiraciste britannique.
Ils agissaient ainsi, prétendaient les plaignants, par leur campagne incessante depuis des années appelant au Boycott d’Israël en général et en particulier des institutions universitaires et syndicats israéliens.
UCU est depuis longtemps identifié comme l’un des principaux bastions du militantisme anti-israélien dans le grand public britannique. A la fois comme syndicat et comme organisation représentant des universitaires, il est une plate-forme pour les partisans du boycott visant les universités israéliennes aussi bien que le commerce et les secteurs sociaux israéliens.
Le dossier constitué par Fraser et Julius était impressionnant. Il posait le problème, entre autres, de la façon dont les partisans d’Israël étaient traités lors des réunions du syndicat, la manière dont étaient modérées les remarques anti-israéliennes et antisémites sur les listes internet des membres de UCU. Et aussi le rejet par le syndicat de la définition de l’antisémitisme (qui inclut une critique disproportionnée d’Israël) donnée par le Centre d’Observation sur le racisme et la xénophobie de l’Union Européenne, et l’invitation d’un syndicaliste sud africain anti-juif connu à intervenir dans une conférence du syndicat.
UCU a nié tout antisémitisme dans ses rangs, et répondu que ses responsables ne s’étaient comporté en aucune manière qui puisse être interprétée comme du harcèlement de ses membres juifs.
Mais au-delà des différends factuels dans cette affaire, les accusations de Fraser se fondaient sur le fait que les juifs ont un fort sentiment d’affinité envers Israël qui est une part intrinsèque de leur identité juive. Donc il prétendait que lorsqu’une organisation à laquelle ils appartiennent attaque constamment Israël d’une façon qu’ils estiment injuste, cela constitue une attaque directe de leur identité.
Dans la longue liste des témoins appelés par Fraser, 2 membres du Parlement non juifs ont témoigné de la manière dont UCU avait rejeté la définition de l’antisémitisme de l’Union Européenne, dont ils avaient été les champions.
Les défendeurs avaient aussi leurs propres soutiens juifs. Cinquante membres juifs de l’UCU ont signé une lettre ouverte félicitant leur syndicat et niant qu’il y ait aucune sorte d’antisémitisme institutionnel dans ses rangs. Julius a rétorqué qu’il s’agissait là d’un classique stratagème antisémite de division en catégories de bons et mauvais juifs.
Mais le dossier bien construit et détaillé a été démoli par la décision du tribunal. Le jury dirigé par le Juge A. M. Snelson a accepté la version de UCU de tous les événements en question, et trouvé que la plupart des plaintes n’étaient de toutes façons plus valides, en raison de changements de lois.
De plus, il est en désaccord fondamental avec l’affirmation principale qui étayait les plaintes.
Le tribunal écrit dans son jugement qu’« une croyance dans le projet sioniste ou un attachement à Israël ou tout sentiment similaire ne peut être équivalant à une «caractéristique protégée»[note]<*>protected characteristics: la législation britannique liste des caractéristiques protégées par la loi «equality act 2010» : âge, infirmité, changement de genre, mariage, grossesse et maternité, race (incluant origine nationale nationalité citoyenneté) religion croyance, sexe, orientation sexuelle .]]. Ce n’est pas intrinsèquement une partie de la judéité. »
Alors que de nombreux juifs seraient d’accord avec ce jugement, le tribunal ne s’arrête pas là. A la fin de sa décision de 45 pages il se lance dans une invective extraordinairement hostile contre la véritable nature du cas qui lui était soumis. Bien que le jury ait été en général compatissant avec Fraser lui-même, il statue qu’en tant que militant « il doit accepter sa juste part de petites blessures. …Un militant politique accepte le risque d’être offensé ou blessé à l’occasion ».
En ce qui concerne son avocat, Julius, la décision évoque de façon cinglante la « prose magnifique » du dossier et sa « dimension gargantuesque », et elle rejette les deux membres du Parlement qu’elle décrit comme « légers » de même que le directeur exécutif du Conseil de Direction Juif, Jeremy Newmark qui a pris position comme témoin.
En fait la déposition de Newmark sur sa tentative d’entrer dans une conférence de UCU est «rejetée comme fausse». Son affirmation qu’il avait été traité selon le stéréotype du «juif insistant et agressif» est qualifiée de «loufoque». Et sa caractérisation de l’UCU comme «n’étant plus un espace adéquat de libre expression» a été trouvée par le tribunal «non seulement extraordinairement arrogante mais aussi choquante»
En même temps, UCU ne reçoit que de très légères remontrances du tribunal pour avoir invité un antisémite connu à une conférence, et sur un cas rapporté dans lequel un membre pro-israélien du syndicat s’était plaint de censure en ligne de son texte adressé un militant pro palestinien. Sinon le tribunal a trouvé que le syndicat s’était honorablement comporté.
Les plaignants, sont d’autre part critiqués pour avoir attaqué tous azimuts, ce que le tribunal qualifie «d’inadmissible tentative d’atteindre une objectif politique par des moyens procéduriers».
Il y avait dit-il, derrière ce procès «un mépris inquiétant du pluralisme, de la tolérance, et de la liberté d’expression.»
On n’aurait pu écrire un réquisitoire plus dur contre Fraser et ses partisans, et UCU s’est empressé de fêter sa totale disculpation.
La secrétaire générale Sally Hunt a déclaré qu’elle était «ravie que le tribunal ait rendu un jugement aussi accablant et clair en faveur de UCU» et que cela «soutient notre droit et celui des autres à la liberté d’expression».
Elle a veillé à ajouter que le syndicat «continuera de s’opposer à toute forme de discrimination, incluant l’antisémitisme».
Pendant ce temps à l’intérieur de la communauté juive, alors que Pâques s’achevait et que les implications du jugement faisaient leur chemin, les accusations commençaient.
Dans le Jewish Chronicle du vendredi, des avocats juifs éminents s’alignaient pour dire qu’il aurait du être clair depuis le début que cette affaire n’était pas suffisamment forte juridiquement pour être présentée et que le jugement était prévisible.
«Pour être honnêtes, nous n’étions pas très confiants» dit l’un des directeurs d’une organisation juive importante, «et nous aurions préféré aller en justice avec un dossier différent. Mais quand Fraser et Julius ont décidé qu’ils allaient le faire, nous n’avions pas d’autre choix que de leur donner tout notre soutien. Cela aurait été un scandale si la communauté juive ne les avait pas soutenus».
Julius a refusé tout commentaires.
Un porte parole de «Fair Play» , organisme mis en place par le Conseil des Députés et le Conseil de Direction Juif pour lutter contre le Boycott anti-israélien, a déclaré: «Quand Ronnie et son équipe juridique ont décidé de poursuivre UCU, nous avons senti que cela méritait tout le soutien que nous pouvions apporter. Des années de campagne à l’intérieur de UCU nous avaient convaincus ainsi que de nombreux membres du syndicat, que le syndicat était incapable de traiter impartialement de lui même, les plaintes pour antisémitisme.»
A propos des accusations du juge contre Newmark, le Conseil de Direction Juif a déclaré que son «témoignage était confirmé par un dirigeant syndicaliste non juif qui avait été témoin de l’incident».
Ainsi il fut laissé à Fraser, qui avait conduit le procès depuis si longtemps,
de répondre à ses critiques. Il les a qualifiés de «critiques en chambre (qui n’ont) aucune idée de ce que c’est d’être là bas» et a ajouté, «ils se sont tus pendant que je me battais et je n’ai pas à me justifier devant eux»
Fraser a déclaré qu’il ne ferait probablement pas appel du jugement devant la Cour, afin de ne pas prendre le risque d’une jurisprudence. Mais il a appelé la direction de la communauté juive britannique à imposer «une définition de l’antisémitisme qui inclut la croyance dans le Sionisme et l’attachement à Israël qui puisse devenir un droit protégé des Juifs. C’est ce pourquoi nous avons prié pendant 2000 ans»