L’incendie de forêts en Israël – quel qu’en soit le responsable – revêt un symbolisme important dans le contexte de son histoire coloniale.
Dans son célèbre récit « Face aux forêts » (1963), A.B. Yehoshua, l’un des écrivains israéliens les plus populaires, raconte une rencontre entre un jeune garde-forestier juif et un vieux Palestinien vivant dans une forêt artificielle plantée sur les ruines du village où il est né. Symboliquement, l’histoire se termine avec l’incendie de la forêt par le Palestinien, dont la langue a été coupée pour des raisons mystérieuses, avec l’aide du jeune garde-forestier juif.
Pour autant que nous le sachions, la nouvelle de Yehoshua ne reposait pas sur un événement réel – mais elle a certainement été ranimée cette semaine lorsque d’éminents hommes politiques d’Israël et les médias ont accusé les Palestiniens des feux de forêt qui ont ravagé le pays, contraignant des dizaines de milliers d’Israéliens à évacuer leur domicile.
«La vague de feux a certainement démontré que les dirigeants israéliens sont véritablement prêts à utiliser la moindre occasion pour présenter la minorité palestinienne comme l’ennemi intérieur»
En écoutant leur Premier ministre, Benyamin Netanyahou, qui a qualifié les incendies de « terrorisme incendiaire », et leurs médias, qui les ont qualifiés d’« Intifada du feu », la plupart des Israéliens ont été amenés à croire que les petits-enfants de l’incendiaire fictionnel de Yehoshua poursuivaient le travail qu’il a commencé.
Dès le début, les forêts faisaient partie intégrante du projet sioniste. Les premiers sionistes concevaient la Palestine comme une « terre stérile », négligée par ses habitants pendant des siècles. Dès les débuts de la colonisation juive au début du XXe siècle, un effort constant a été fait pour « restaurer » la grandeur originale, biblique, de la Palestine en plantant des millions d’arbres, principalement des pins.
Le but déclaré de cet effort de reboisement était de changer la forme de la terre, de la rendre plus « adaptable » à l’établissement juif et de montrer aux « nations du monde comment nous avons ranimé la nature », selon Yossef Weiz, directeur du Fonds national juif (FNJ), lors d’une conférence en 1945. L’Europe d’où venaient ces sionistes était fortement boisée. Ils voulaient voir le même paysage en Eretz Israël/Palestine.
Après la guerre de 1948, le reboisement avait un autre objectif, plus caché : servir de « couverture » aux villages palestiniens détruits, sur lesquels bon nombre de ces forêts étaient plantées, comme l’a admis ouvertement un responsable du FNJ il y a quelques années.
Pourtant, si le récit de Yehoshua fait part d’un sentiment de culpabilité et d’une compréhension de la souffrance des Palestiniens, l’Israël d’aujourd’hui est bien loin de tout sentiment de ce genre. Le ministre de l’Éducation, Naftali Bennett, chef du parti Le Foyer juif et puissant membre du gouvernement de coalition, a été le chef de chœur des accusations, déclarant au début de la semaine que « seuls ceux à qui cette terre n’appartient pas pourraient la brûler ». Le message était clair : les Palestiniens sont des étrangers dans ce pays, et il leur est donc facile de le brûler, ainsi que les forêts que nous, les juifs, avons plantées.
Les questions s’attardent sur la cause des incendies. Il ne fait aucun doute que les conditions météorologiques ont joué un rôle important dans leur rapide propagation, des flammes jaillissant dans des dizaines ou même des centaines d’endroits partout dans le pays. Les vents forts venant de l’est, associés à une aridité extrêmement élevée et au manque de pluie depuis près de dix mois, ont créé des conditions idéales pour les incendies.
Le débat porte sur la question de savoir si, à l’origine, les incendies ont débuté à la suite d’une négligence ou s’ils ont été allumés délibérément. Cela s’est avéré une question d’importance nationale lorsque, jeudi, les incendies se sont répandus partout à Haïfa, la troisième ville d’Israël. Des quartiers entiers ont dû être évacués et près de 1 000 appartements ont été gravement endommagés. Pendant un moment, on aurait dit que l’ensemble du pays était la proie des flammes.
La première réponse de la police fut que plus de la moitié des 200 cas d’incendie signalés résultaient d’incendies délibérés « sur des bases nationalistes », un code pour désigner les attaques palestiniennes.
On ne sait pas exactement d’où viennent exactement ces chiffres, car il semble qu’un seul cas d’incendie délibéré a été prouvé, mais les soupçons se tournaient déjà fortement sur les Palestiniens, citoyens israéliens ou de Cisjordanie.
Netanyahou a directement pointé du doigt « le terrorisme palestinien » et le ministre de la Sécurité intérieure, Gilad Erdan, a averti qu’il pourrait y avoir des dizaines de milliers de potentiels pyromanes palestiniens attendant leur chance. Le plus grand site web d’Israël, Ynet, l’a résumé jeudi avec un graphique aux couleurs vives proclamant : « Intifada du feu ».
Les studios de télévision, qui diffusaient en direct depuis Haïfa et ailleurs, étaient bondés de spécialistes du « terrorisme », plutôt que de spécialistes des changements climatiques ou météorologiques. L’idée générale était qu’Israël faisait l’objet d’une attaque incendiaire palestinienne, concertée et coordonnée.
Lors de l’incendie qui a frappé le mont Carmel il y a six ans et qui a coûté la vie à 44 Israéliens, des allégations semblables ont visé un groupe de jeunes druzes vivant dans la région. Ils ont été arrêtés mais ont été rapidement relâchés une fois leur innocence prouvée. Cette fois, une douzaine de Palestiniens, la plupart des citoyens israéliens – peu nombreux par rapport à l’ampleur des incendies –, ont été arrêtés, mais les allégations contre la plupart d’entre eux semblent faibles.
Le fait que des foyers se sont également déclarés près de villes et villages palestiniens en Israël ainsi qu’en Cisjordanie, en plus d’incendies semblables au Liban et en Syrie, semble suggérer que les incendies prémédités ne joueraient qu’un petit rôle dans cette vague de feux de forêts.
Pourtant, la possibilité que des Palestiniens soient derrière certains incendies ne peut pas être écartée. Sur certains réseaux sociaux arabophones, les incendies ont été qualifiés de « punition de Dieu » pour les projets israéliens visant à interdire l’appel à la prière islamique en Israël.
Cette décision, perçue comme une tentative de museler la présence musulmane dans le pays, n’a fait qu’ajouter à l’atmosphère déjà tendue entre juifs et Arabes. Certains des brasiers plus violents ont frappé deux colonies de Cisjordanie, Halamish et Ma’aleh Edomim ; il n’est pas impossible que certains de ces incendies soient en effet d’origine criminelle.
Mais dans le même temps, il semble improbable que l’incendie criminel soit ou devienne une nouvelle stratégie de résistance palestinienne. Tous les dirigeants de la minorité palestinienne en Israël, dirigée par Ayman Odeh, chef de la Liste unifiée et lui-même habitant de Haïfa, ont condamné toute tentative présumée d’incendie volontaire et offert de l’aide aux victimes.
Un communiqué du Fatah indiquait que « ce qui brûle aujourd’hui, ce sont nos arbres et notre patrie historique ». Presque comme un négatif des remarques de Bennett, les Palestiniens affirment que Haïfa leur appartient, pas moins qu’aux juifs, et que la brûler, c’est brûler le patrimoine palestinien.
La vague de feux a certainement démontré que les dirigeants israéliens sont véritablement prêts à utiliser la moindre occasion pour présenter la minorité palestinienne comme l’ennemi intérieur, sans attendre de preuves ou même tenter de prétendre qu’ils cherchent à coopérer avec leurs 1,5 million de citoyens arabes. Cela peut également indiquer que le ressentiment au sein de la minorité palestinienne est maintenant tellement élevé qu’au moins certaines personnes peuvent être allées mettre le feu à la nature même dans laquelle elles vivent.
Mais il y a aussi un côté plus positif à ces événements. Haïfa, avec sa population mixte arabe et juive et une tradition de relative tolérance, a montré une résistance à cette vague chauvine d’incitation à la haine. Le lendemain du jour où les incendies ont commencé à diminuer, dans le centre-ville de Haïfa, juifs et Arabes se sont assis dans les mêmes cafés, parlant en hébreu et en arabe. Jusqu’à présent, les feux n’ont pas consumé l’esprit de cette ville.
Meron Rapoport, journaliste et écrivain israélien, a remporté le prix Naples de journalisme grâce à une enquête qu’il a réalisée sur le vol d’oliviers à leurs propriétaires palestiniens. Ancien directeur du service d’informations du journal Haaretz, il est aujourd’hui journaliste indépendant.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.