Francesca Albanese, rapporteuse spéciale des Nations unies sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens, signe un nouveau rapport accablant pour Benjamin Netanyahu et son gouvernement. Nettoyage ethnique, faillite morale de l’État israélien, génocide en cours à Gaza avec risque d’extension du « crime » en Cisjordanie : une analyse décisive et très argumentée à télécharger en intégralité ci-dessous.
Dès mars 2024, dans son précédent rapport, « Anatomie d’un génocide », Francesca Albanese écrivait qu’il y a des « motifs raisonnables » de croire qu’Israël a commis « des actes de génocide » à Gaza. Huit mois plus tard, les bombardements, les massacres, les déplacements forcés de population, n’ont pas cessé, et la situation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est ne cesse d’empirer. Pour la rapporteuse spéciale des Nations unies, la nature génocidaire de cette entreprise de destruction ne fait plus aucun doute.
La colonisation comme objectif, le génocide comme moyen
« Au moins 90% des Palestiniens de Gaza ont été déplacés de force, souvent plus de 10 fois, alors que des responsables israéliens et d’autres appellent les Palestiniens à partir et les Israéliens à « retourner à Gaza » et à reconstruire des colonies démantelées en 2005. » Là réside le cœur de l’argumentaire développé par Francesca Albanese : le génocide perpétré dans la bande de Gaza n’est en rien la conséquence « accidentelle » de la volonté de l’État israélien d’anéantir le Hamas après l’attaque perpétrée par ce mouvement le 7 octobre 2023. Les massacres délibérés de civils et les déplacements massifs de population constituent un nettoyage ethnique, mené avec méthode, dans l’optique d’une recolonisation de la bande de Gaza – dont témoigne par exemple la déclaration du ministre des finances israélien Bezalel Smotrich affirmant, en septembre dernier, qu’il est « justifié et moral » d’affamer l’ensemble de la population de Gaza.
Pour appuyer cette analyse, la rapporteuse spéciale de l’ONU détaille la destruction systématique de toutes les infrastructures indispensables à la vie. La quasi-totalité des hôpitaux de Gaza ont été endommagés ou détruits. L’armée israélienne cible volontairement les convois humanitaires et les personnels de santé. Les espaces présentés comme des « zones sûres » sont régulièrement bombardés. Des maladies, telles que l’hépatite A ou le poliovirus, se développent à cause de la mise hors service des réseaux d’eau et d’assainissement.
La démonstration est sans appel : « Comme promis par les dirigeants israéliens, Gaza a été rendue invivable. » Et derrière cet anéantissement des possibilités mêmes d’existence d’une population, le rapport précise : « Selon les images satellites et d’autres sources, les soldats israéliens ont construit des routes et des bases militaires sur plus de 26% du territoire de la bande de Gaza, ce qui dénote l’intention d’établir une présence permanente ».
Cisjordanie : des risques d’extension du génocide
« Entre le 7 octobre 2023 et fin septembre 2024, les forces israéliennes ont effectué plus de 5505 raids. Des colons violents, agissant, avec le soutien des forces israéliennes et des responsables israéliens, ont mené 1084 attaques, tuant plus de 792 Palestiniens – soit 10 fois de plus que la moyenne annuelle des 14 années précédentes (…). » Si l’horreur de Gaza concentre les regards internationaux, en Cisjordanie, les exactions se sont multipliées. Comme Blast l’a aussi renseigné, la politique de colonisation des territoires palestiniens s’est considérablement accélérée, faisant toujours plus de victimes civiles. Le ministre israélien de la sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, a ordonné l’arrestation arbitraire de milliers de Palestiniens de Cisjordanie. Des vidéos et des témoignages ont permis de démontrer la perpétration d’actes de tortures et de viols dans les prisons israéliennes.
Le rapport cite une phrase de Bezalel Smotrich qui soutient qu’il y a « 2 millions de nazis » en Cisjordanie, et promet de transformer plusieurs zones de ce territoire en « tas de décombres comme (Gaza) ». Plusieurs éléments rappellent effectivement la situation à Gaza : dans les territoires palestiniens occupés, l’armée israélienne a pris pour cible des ambulances et assiégé l’hôpital de Jénine ; des milliers de personnes ont été placées sous couvre-feu sans nourriture ni eau ; la gouvernance de la Cisjordanie a été transférée à Bezalel Smotrich lui-même, au détriment des autorités militaires ; à cause des pressions, près de 30% des entreprises de la zone ont fermé, avec la crainte d’un effondrement de l’économie locale.
Le rapport avertit : « La ligne de conduite génocidaire suivie à Gaza crée un précédent inquiétant pour la Cisjordanie ». Dans la mesure où l’objectif est le même – conquérir des territoires – les moyens mobilisés pour y arriver menacent d’être semblables.
La faillite d’un État
La question de « l’intention » est centrale dans la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 : la démonstration d’une intention génocidaire est posée comme indispensable à la qualification juridique d’un crime de génocide.
Le rapport de Francesca Albanese s’attarde longuement sur cette problématique. Il rappelle notamment que le projet de « Grand Israël » dans lequel est engagé le gouvernement israélien actuel se construit contre la population palestinienne, de manière indiscriminée, car l’existence même de cette population devient un obstacle à la réalisation de ce plan. Pour la rapporteuse spéciale de l’ONU, ce projet génocidaire de destruction des vies palestiniennes ne peut se limiter à la « responsabilité pénale des individus » : elle considère que « la responsabilité de l’État doit être appréciée en tant que telle ». De fait, l’intégralité de l’appareil d’État israélien est en cause.
En plus des déclarations proprement génocidaires de plusieurs responsables politiques de premier plan, ministres comme militaires, la Knesset, le parlement israélien, a pleinement soutenu le gouvernement : « Le Vice-Président de la Chambre des représentants a déclaré : « Désormais, nous avons tous un objectif commun : rayer la bande de Gaza de la surface de la Terre ». » Le pouvoir judiciaire, censé, dans tout État de droit, encadrer et contrôler l’activité du pouvoir exécutif, est resté impuissant – et inactif – devant cette fuite en avant. Enfin, le rapport pointe la responsabilité des médias dans « l’incitation à ce génocide » de par leur rôle central dans la déshumanisation constante des Palestiniens – et réclame un examen judiciaire.
Le rapport se conclut par une série de recommandations exhortant les États membres à agir de toute urgence – notamment par un « embargo total sur les armes » – pour que cesse le génocide en cours. Des indications qui ne semblent en rien freiner les autorités israéliennes : ce lundi 28 octobre, la Knesset a adopté un texte de loi visant l’interdiction de l’UNRWA, l’agence onusienne pour les réfugiés palestiniens, dont l’action humanitaire est déterminante et vitale à Gaza. Le franchissement d’une énième ligne rouge qui, à l’instar des éléments réunis dans ce rapport, ne laisse plus que peu de doutes quant aux réelles intentions du gouvernement israélien.
Pour lire l’intégralité du rapport de la rapporteuse spéciale des Nations unies, cliquez sur l’image ci-dessous :
Crédits photo/illustration en haut de page :
Margaux Simon