Un recueil de chroniques sur le quotidien d’une psychiatre palestinienne, le Dr Samah Jabr, qui travaille dans un contexte de violences politiques sous occupation.
Cet ouvrage considère le travail clinique à la lumière du contexte socio-politique et analyse le traumatisme psychologique trans-générationnel qui marque la mémoire collective palestinienne.
Coédition avec Hybrid pulse.
Pierre Stambul, coprésident de l’UJFP, présente ici son analyse du livre.
La destruction de l’âme palestinienne
Samah Jabr est une des rares psychiatres en Palestine. Dans le mouvement de solidarité, nous essayons tous les jours de donner des données chiffrées : les morts, les blessés, les arrestations, les destructions de maisons.
Samah donne la parole aux victimes. Elle décrit comment l’humiliation est devenue un mode de domination de l’occupant. Celui-ci a un objectif délibéré : créer une génération traumatisée, passive, incapable de résistance.
Pour moi, issu d’une famille juive dont beaucoup de membres furent exterminés pendant le génocide nazi, les pages sur la torture et ses effets sont terribles. « Ils ont tenté de me faire avouer des choses que je n’avais pas commises. Mes mains et mes pieds étaient ligotés. Ils me frappaient durement. Ils m’injuriaient avec les insultes les plus obscènes … Mon visage était recouvert d’un sac suintant d’eau … J’ai été suspendu, parfois la tête en bas et parfois sur une chaise retournée, dans ce qu’ils appellent la position de la grenouille ».
Elle décrit ce que ressentent les adolescents palestiniens : l’horreur, l’impuissance, l’humiliation, la culpabilisation, la perte d’estime de soi.
Samah parle de la société israélienne. Elle évoque ces Israéliens laïques qui camouflent leur dépendance à l’injustice coloniale en évoquant l’holocauste. Elle décrit les assassinats les plus sordides commis par des Israéliens pour qui un bon Arabe est un Arabe mort. Ces crimes sont justifiés et encouragés par le gouvernement israélien, à commencer par la ministre de la « justice » Ayelet Shaked invitant à tuer les mères palestiniennes. C’est toute la société israélienne qui est contaminée, même les médecins qui font de la ségrégation dans les hôpitaux israéliens et restent silencieux quand l’armée israélienne détruit des hôpitaux palestiniens comme l’hôpital al Wafa pulvérisé à Gaza en 2014.
Samah n’appartient à aucun parti politique. Sa référence, c’est Franz Fanon. Sa voix est celle de la « société civile » palestinienne qui permet, par sa résilience, à la Palestine de ne pas s’écrouler. Nous hésitons souvent dans le mouvement de solidarité à critiquer l’Autorité Palestinienne et les actes de collaboration qu’elle accepte. Samah n’hésite pas. Elle parle d’un système corrompu d’influence et de copinage. Elle accuse cette Autorité de conseiller la docilité, de contribuer à la détérioration de l’estime de soi des Palestiniens. Elle a des mots très durs contre les négociations affligeantes et la coopération sécuritaire avec l’occupant. Elle n’oublie pas les dirigeants des pays arabes qui en viennent à reprocher aux Palestiniens leur résistance.
Samah dénonce l’idéologie sioniste qui « accapare la signification religieuse et culturelle, riche et variée, de l’identité juive, dans un but étriqué et colonial ». Elle diagnostique « comme une névrose obsessionnelle le débat sélectif et répétitif sur l’antisémitisme quand la xénophobie, l’islamophobie et d’autres formes de racisme sont ignorées ».
Quand vous aurez fini de lire « Derrière les fronts », ne pleurez pas, mais ne dites plus jamais « Nous ne savions pas ».
BIBLIOGRAPHIE
- Samah Jabr, Youssef Seddik, Alexandra Dols | Derrière les fronts | Édition Figures De La Revolution