Une fois n’est pas coutume, je ne suis pas l’auteur du texte qui suit. Il s’agit d’un extrait d’un récent rapport de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée Nationale (présidée par l’UMP Lionnel Luca), portant sur la « géopolitique de l’eau ». Ce long rapport (téléchargeable en intégralité ici), déposé par le député PS Jean Glavany, propose d’intéressants développements, entre autres, sur la question de l’eau au Moyen-Orient [/note] Sur la question de la gestion de l’eau dans les territoires palestiniens, on pourra également se reporter au [rapport d’Amnesty international publié en octobre 2009..[/note] On peut y lire, dans « l’encadré numéro 3 » (page 130, reproduit en intégralité ci-après), que « le Moyen-Orient est le théâtre d’un nouvel apartheid ».
L’intérêt de ce document est, selon moi, qu’il émane de parlementaires peu suspects d’hostilité aveugle à l’Etat d’Israël, et qu’il confirme néanmoins ce que nombre de journalistes, de chercheurs et de militants affirment depuis de longues années au sujet de la politique israélienne. Extraits :
« Mise en place en 1948 par le premier ministre F. Malan, l’apartheid a vu le développement différencié des groupes ethniques en Afrique du Sud pendant un demi siècle. Cette politique consistait à la fois en une ségrégation raciale et spatiale (cloisonnement des populations noires et « coloured » dans des espaces confinés appelés bantoustans) mais aussi en une ségrégation citoyenne, les libertés d’une partie de la population (restriction du droit d’aller et venir, du droit de se rassembler dans les lieux publics, violences policières) étant bafouées. L’odieux régime de l’apartheid a pris fin en Afrique du Sud au début des années 90, avec la libération de Nelson Mandela et des prisonniers politiques, le compromis courageux entre M. de Klerk et Mandela et les premières élections libres de 1994 confiant massivement le pouvoir à l’ANC African National Congress, le parti de Mandela.
Bien sûr, comparaison n’est pas forcément raison : la Palestine n’est pas l’Afrique du Sud, et les années 2010 ne sont pas celles d’avant 1990. Pourtant, il est des mots et des symboles qui par leur force peuvent avoir une vertu pédagogique.
Or, tout démontre, même si bien peu nombreux sont ceux qui osent employer le mot, que le Moyen-Orient est le théâtre d’un nouvel apartheid.
La ségrégation y est raciale mais comme on n’ose pas le dire, on dira pudiquement « religieuse ». Pourtant, la revendication d’un état « Juif » ne serait-elle que religieuse ?
La ségrégation est spatiale également : le mur élevé pour séparer les deux communautés en est le meilleur symbole. La division de la Cisjordanie en trois zones, A, B et C en est une autre illustration :
L’armée israélienne a transféré à l’Autorité palestinienne la responsabilité des affaires civiles, c’est-à-dire la fourniture de services à la population, dans les zones A et B. Ces deux zones, qui contiennent près de 95 % de la population palestinienne de Cisjordanie, ne représentent que 40 % du territoire. La zone C reste entièrement placée sous l’autorité de l’armée israélienne. Cette zone représente 60 % du territoire de la Cisjordanie, avec toutes les réserves foncières et l’accès aux ressources aquifères, ainsi que toutes les routes principales.
La ségrégation est aussi hautaine et méprisante (« ces gens-là ne sont pas responsables »…répètent à l’envie certains responsables israéliens), vexatrice et humiliante (les passages aux check point sont restreints ou relâchés sans prévenir) voire violentes (la répression des manifestations fait régulièrement des morts…).
C’est donc bien d’un « nouvel apartheid » qu’il s’agit.
Et dans cette situation, l’eau est ainsi un élément particulier du conflit entre Palestiniens et Israéliens, au point qu’elle constitue le « 5ème volet » des accords d’Oslo. La Déclaration d’Oslo du 13 septembre 1993 reconnaît les droits des Palestiniens sur l’eau en Cisjordanie. L’accord intérimaire de Taba du 28 septembre 1995 prévoit un partage des eaux jusqu’à la signature d’un accord permanent. Mais ce partage est incomplet : il ne porte que sur les aquifères ; le Jourdain en est exclu, les Palestiniens n’y ayant plus accès. Ensuite il gèle les utilisations antérieures et ne répartit que la quantité d’eau encore disponible, c’est dire 78 mètres cubes de l’aquifère oriental. Il est donc très défavorable aux Palestiniens qui n’exploitent que 18 % des aquifères ; soit 10 % de l’eau disponible sur le territoire.
C’est pourquoi sans règlement politique global, on voit mal comment ce qui est devenu un véritable « conflit de l’eau » pourrait trouver une solution.
Quelles sont donc les caractéristiques de ce « conflit de l’eau » ? Du point de vue « hydrique », il concerne avant tout le fleuve Jourdain, où sont réunis tous les éléments prompts à déclencher une « crise de l’eau » : depuis le début du conflit, guerre après guerre, les « extensions territoriales » d’Israël, qu’on le veuille ou non, s’apparentent à des « conquêtes de l’eau », que ce soit des fleuves ou bien des aquifères.
Or, l’eau est devenue au Moyen-Orient bien plus qu’une ressource : c’est une arme.
Pour comprendre la nature de cette « arme » au service de ce « nouvel apartheid », il faut savoir, par exemple, que les 450 000 colons israéliens en Cisjordanie utilisent plus d’eau que 2,3 millions de Palestiniens.
Sachons aussi entre autres multiples exemples que :
– la priorité est donnée aux colons en cas de sécheresse en infraction au droit international ;
– le mur construit permet le contrôle de l’accès aux eaux souterraines et empêche les prélèvements palestiniens dans la « zone tampon » pour faciliter l’écoulement vers l’ouest ;
– les « puits » forés spontanément par les Palestiniens en Cisjordanie sont systématiquement détruits par l’armée israélienne ;
– à Gaza les réserves d’eau ont été prises pour cible en 2008-2009 par les bombardements.
– et comme les zones A et B ne sont pas d’un seul tenant, mais fragmentées en enclaves entourées par des colonies israéliennes et par des routes réservées aux colons, ainsi que par la zone C, cette configuration entrave le développement d’infrastructures performantes pour l’approvisionnement en eau et l’évacuation des eaux usées. La plupart des Palestiniens résident dans les zones A et B, mais les infrastructures dont ils dépendent se trouvent dans la zone C ou la traversent. Les déplacements des Palestiniens dans la zone C sont limités ou interdits ; l’armée israélienne autorise rarement les travaux de construction ou d’aménagement. On peut citer plusieurs exemples de stations d’épuration programmées par le ministère palestinien de l’Eau et qui sont « bloquées » par l’administration israélienne.
Les Israéliens reprochent aux Palestiniens l’existence de puits non contrôlés responsables de pompages excessifs et d’une salinisation des aquifères. Ils citent l’exemple de Gaza où l’aquifère est en passe d’être perdu. Ils reprochent également l’absence de traitement des eaux. Seuls 31 % des Palestiniens sont raccordés. Mais le Comité n’a approuvé que 50 % des projets palestiniens, avec d’énormes retards, alors que son autorisation doit encore être suivie d’une autorisation administrative pour la zone C. L’appropriation des ressources par les colonies et par le tracé du mur est également troublant. La surexploitation des aquifères est avérée.
Les Israéliens se fondent sur la théorie de la première appropriation pour défendre leurs droits et refusent toute gestion partagée dans une vision sécuritaire de l’eau. Israël propose des solutions, parfois intéressantes, mais où il garderait la maîtrise de l’eau. Il a semblé à la mission que le pays préférerait abandonner les aquifères, en finissant de développer le dessalement, plutôt que de mettre en place une gestion partagée. Il n’y aura pas de partage de l’eau sans solution politique sur le partage des terres.
Pourtant, un comité conjoint sur l’eau (Water joint committee) a été créé par les accords d’Oslo II. Il a compétence pour toutes les questions d’eau relative aux seuls Palestiniens sur le territoire de la Cisjordanie. Ce n’est donc pas un organisme de gestion partagée et encore moins de bassin. Il fonctionne en outre sur le mode du consensus ce qui donne de facto un pouvoir de veto à Israël. »