Jacques Bude a survécu au génocide nazi du fait qu’enfant, il a été sauvé par des Belges. Ses parents furent déportés et moururent à Auschwitz.
Professeur retraité, Jacques Bude soutient l’appel au boycott des universités israéliennes, complices de la violation des droits palestiniens.
Il a enseigné la psychologie sociale à l’Université libre de Bruxelles, mais préfère se définir comme un « déserteur de l’armée israélienne ».
À 16 ans, en 1949, Bude a quitté un orphelinat pour enfants juifs, à Anvers, pour être emmené en Israël.
Deux ans plus tard, après avoir échappé au service militaire, il s’enfuyait d’Israël.Aujourd’hui, il exprime son admiration pour les jeunes Israéliens qui refusent de rejoindre l’armée.
Quand Bude s’est adressé à The Electronic Intifada depuis son domicile à Bruxelles,c’était la première fois qu’il parlait de ses expériences à un journaliste.
Pour comprendre sa position à propos d’Israël, explique Bude, il faut savoir que « mes parents ont été déportés quand j’avais huit ans. Ils ont été assassinés à Auschwitz. »
« Si j’étais resté avec mes parents, je serais mort moi aussi », déclare Bude. « Aucun enfant de mon âge en provenance de Belgique n’est revenu de la déportation. »
Bude explique qu’il a été sauvé par l’assistante sociale de l’usine où travaillait son père : « Elle m’a emmené chez des fermiers qui m’ont caché pendant la guerre. Vous ne devriez pas me prendre en compte dans quelque identification mythique à la communauté juive. Ma communauté, c’est la Belgique. »
Le père de Bude avait quitté la Pologne pour la Belgique vers 1929 pour travailler dans les aciéries. « Nous parlions yiddish, à la maison », rappelle Bude à propos de son enfance dans la ville de Liège. « Mes parents avaient un revenu très modeste, étaient illettrés et ne parlaient pas français. En aucune façon, ils n’auraient pu échapper aux nazis. »
Après des années de clandestinité, Bude fut transféré à l’orphelinat d’Anvers après la guerre.
En exil en Israël
« En 1949, tous les enfants de l’orphelinat ont été emmenés en Israël par le mouvement sioniste », rappelle Bude.
« J’avais 16 ans et je ne voulais pas quitter la Belgique. Je voulais aller à l’école », explique-t-il. « Mon père m’avait appris l’importance de l’éducation. »
Selon Bude, le directeur de l’école avait trouvé pour lui une famille d’adoption, « mais, la veille du départ, il m’avait dit que ç’allait être impossible. »
« J’allais devoir m’enfuir, mais je n’étais qu’un enfant », explique Bude aujourd’hui, rappelant qu’il était bien déterminé à revenir en Belgique si Israël ne lui convenait pas.
« Dès le début, je n’ai pas voulu rester en Israël », déclare Bude sans la moindre hésitation, lorsqu’on lui demande comment il s’était senti en arrivant en Israël. « C’était horrible. On nous avait placés dans une sorte d’endroit délabré, ce devait avoir été une école d’agriculture des Palestiniens, à proximité immédiate de Gaza. Tout faisait défaut. Les seules choses qui ne manquaient pas, c’étaient les armes. »
Mais rentrer en Belgique n’avait rien de simple, puisqu’il lui fallait effectuer trois ans de service militaire, s’il voulait obtenir un visa de sortie.
Au cours de la décennies qui a suivi la Nakba de 1948, c’est-à-dire l’épuration ethnique des Palestiniens par le mouvement sioniste, Israël a multiplié par deux sa population juive en faisant entrer des centaines de milliers de personnes.
Mais, alors que le sionisme définissait ce transfert de population comme une libération et la concrétisation d’un rêve, c’était tout le contraire, pour le jeune Bude.
« Je me sentais réellement en exil », dit-il. « J’avais été anéanti par le militarisme allemand et j’étais venu en Israël pour y être à nouveau confronté au militarisme. »
« Nous devions parler hébreu, mais ma langue maternelle est le yiddish », rappelle-t-il. « Ils nous insultaient, mes parents et moi, parce que nous n’étions pas des sionistes. »
« Nous ne nous étions pas défendus et, d’une certaine façon, nous étions donc tenus responsables des massacres », déclare Bude en décrivant l’attitude qu’il avait rencontrée à l’égard des survivants et des victimes du génocide nazi.
« C’étaient vraiment des militaristes racistes », dit-il. « Ne vous attendez pas à beaucoup de nuances de ma part à propos de la judéité et d’Israël. Selon moi, Israël a été fondé sur un nettoyage ethnique. Si je m’identifie à quelqu’un, c’est à un enfant palestinien. »
Des foyers volés
En Israël, Bude quitta l’orphelinat où les enfants belges avaient été transférés et il se cacha de l’armée à Ashkelon, le nom qu’Israël donna à la ville palestinienne d’al-Majdal, après en avoir chassé de leurs foyers des milliers de personnes, en 1948.
« Toutes les maisons étaient vides. J’ai vécu dans une de ces maisons », dit-il. « Jamais je n’y ai vu de Palestiniens. »
Il rappelle un incident qui se produisit au moment où circulait une rumeur disant qu’il y avait des Palestiniens au marché, « et nous avons couru là-bas pour voir ». Cette poignée de femmes bédouines vendant leurs produits « ont été les seuls Palestiniens que j’aie vus. »
« L’histoire prétendant qu’Israël était un pays vide est entièrement fausse », explique Bude, rappelant les maisons palestiniennes vidées de leurs habitants qu’il avait vues à al-Majdal et « les orangeraies bien entretenues dans les environs ».
Bude travailla dans l’une de ces plantations, essayant de gagner un peu d’argent pour quitter le pays.
« Ils m’ont donné un fusil Mauser avec des munitions », rappelle-t-il. « J’étais un gamin de 17 ans et je devais protéger une plantation qui avait été volée aux Palestiniens. Elle était désormais exploitée par des Juifs. »
« J’ai été envoyé là-bas afin que les Palestiniens ne viennent pas voler des fruits », dit-il. « C’était tirer pour tuer ! Tuer quelqu’un qui vient « voler » ce qui lui appartient ! Jamais je n’allais tuer qui que ce fût ! »
Finalement, Bude parvint à rentrer en Belgique. Il acheta un passeport au marché noir mais avait toujours besoin de papiers prouvant qu’il avait bien effectué son service militaire. En fin de compte, un cousin venu en Israël plus tôt et qui avait combattu dans l’armée lui prêta ses papiers, que Bude utilisa pour quitter le pays.
« Le devoir de mémoire »
Bien que Bude n’ait passé que deux ans en Israël, cette époque eut une profonde influence sur le reste de son existence, et il ne peut s’empêcher de rattacher la chose à ce que sa famille a enduré pendant la guerre.
« Pour moi, un ultranationaliste militariste israélien juif – et c’est ce qu’ils sont – est comme un ultranationaliste allemand », dit-il. « Un général de droite, juif ou pas, est un général de droite. »
« Quand j’entends les mots « État juif », j’entends les mots « État aryen », dit-il, opérant ainsi une juxtaposition que bon nombre de personne auraient du mal à digérer.
Mais, en établissant un parallèle, Bude ne prétend pas que les expériences furent les mêmes. Les nazis « conduisirent au génocide les Juifs, les Rom, les Sinti, les homosexuels et les handicapés mentaux », dit-il. « C’est la pire déshumanisation qui se soit produite à ce jour. Elle avait un caractère industriel et ils y allèrent à fond. Ils les ont complètement déshumanités, les réduisant à un amas de cheveux et d’or. »
« Ainsi, le devoir de mémoire consiste à dire plus jamais de déshumanisation », explique Bude. « Si nous disons « jamais plus », nous devons décider de quel côté nous sommes et condamner la chose. »
« Je suis opposé à l’épuration ethnique des Palestiniens, qui est une forme de déshumanisation », déclare Bude. « Je ne suis pas opposé à l’existence d’Israël mais, en Israël, une majorité écrasante vote pour cette politique, si bien que je puis affirmer que le peuple israélien a gravement échoué, de même que le peuple allemand à l’époque. »
« Les meilleures d’entre les meilleures »
Bude soutient de nombreux groupements de solidarité avec la Palestine. Le message qu’il adresse aux Palestiniens est simple et sombre : « Tentez de rester en vie. »
Il a décliné nombre d’invitations à visiter la Cisjordanie occupée parce que ce serait trop dur.
« Si j’y allais, la seule chose que je pourrais dire à ces enfants est de mépriser les soldats qui les occupent, les colons qui sont venus occuper leur terre », dit-il. « Pas les Juifs, mais les gens qui vous font subir cela. »
« Vous devez le faire, pour rester un être humain », ajoute-t-il. « Si je n’avais pas méprisé les gens qui ont tué mes parents, je serais devenu fou. »
« Mais, par-dessus tout, avec mon passé, je ne puis m’y rendre », déclare Bude. « Si je vois un soldat et, plus encore, si je sais qu’il est juif, je pense que je vais exploser. »
Bude rappelle qu’avant l’insurrection du ghetto de Varsovie, les combattants de la résistance avaient tenté d’assassiner le chef juif de la police du ghetto – un collaborateur des nazis. Dans cette histoire, Bude perçoit également un écho.
« Si j’allais en Palestine, je leur dirais que l’Autorité palestinienne est pareille », dit-il. « Ils sont les administrateurs du ghetto. Ainsi, s’il y a une autre intifada, elle devrait avoir lieu, naturellement, contre les Israéliens, mais aussi contre l’AP. »
Quelle que soit la forme qu’elle revêt, la résistance n’est pas un devoir qui incombe aux seuls Palestiniens, estime Bude.
Quand on lui demande ce qu’il pense de Noa Gur Golan et de Hadas Tal, toutes deux récemment emprisonnés pour avoir refusé de servir dans l’armée, Bude explique : « Bien des jeunes quittent Israël, mais ces jeunes femmes sont les rédemptrices de la nation. Elles sont à mes yeux les meilleures d’entre les meilleures. »
Publié le 19/10/2017 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal
Adri Nieuwhof est une avocate des Droits de l’Homme, installée en Suisse et collaboratice de l’Electronic Intifadah. Vous trouverez d’autres articles du même auteur sur le site Pour La Palestine.