Le rabbin Gabriel Hagaï : « Notre Torah est basée sur la justice, l’amour, l’humilité, l’inclusion. Tout le contraire des « valeurs » du sionisme construites sur l’orgueil, l’oppression, la haine et l’exclusion.»

Suite à la polémique populaire récente autour de la définition du « sionisme » – et donc de la nature de l’opposition à cette idéologie –, je pense qu’il est important d’apporter ici quelques éclaircissements (en tant que juif orthodoxe séfarade franco-israélien).

Le sionisme est un projet politique séculaire d’origine européenne qui usurpe l’identité juive pour la transformer en nationalisme primaire. C’est donc par définition un mouvement raciste, exclusiviste et hégémoniste, de facto faiseur d’apartheid. C’est cette idéologie toxique qui a donné naissance à l’État d’Israël. Or, avant cela, les juifs n’ont jamais été nationalistes, ni par leur histoire, ni par leur religion.

L’amalgame entre « sionisme » et « judaïsme » est souvent dû au fait que ce premier est un mouvement nationaliste juif, s’adressant aux juifs, et dont le but est l’établissement d’un pays juif souverain (l’État d’Israël) parlant une langue juive (l’hébreu en l’occurrence). Du coup, le qualifier de « judaïsme » devient séduisant pour certains. Mais c’est complètement méconnaître l’idéologie même du sionisme dont le but est de remplacer la Torah (c’est-à-dire l’observance des préceptes bibliques mosaïques) par du nationalisme. Être juif, pour le sionisme, c’est être un citoyen de l’État sioniste, pour lequel toute pratique religieuse est superflue, voire à combattre.

Le sionisme est donc l’adversaire idéologique de la Torah (de la religion juive). Certes, il existe un mouvement sioniste religieux, centré autour de la pensée de R. Tsevî-Yehûda Kook (1891-1982), mais nombreuses y sont les incohérences, les réductions et les contradictions vis-à-vis des sources religieuses juives authentiques.

Il faut bien comprendre qu’il n’existe pas plus de lien entre le sionisme (l’État d’Israël) et la Torah – malgré la judaïté des sionistes – qu’entre le Ku Klux Klan et l’Église Catholique (bien que les klanistes soient chrétiens) ou qu’entre le FLN algérien et l’islam (bien que ses membres soient de culture arabo-musulmane). Donc, on ne peut pas plus affirmer que l’État israélien représenterait LES juifs (tous les juifs, et le judaïsme en plus), que le Gouvernement algérien représenterait les musulmans ou le Texas les chrétiens.

Malgré tout cela, l’État d’Israël utilise plusieurs sophismes afin de s’établir en représentant légitime et exclusif du Peuple d’Israël. La liste est longue et fallacieuse, et je n’en aborderai ici que quelques-uns de ses éléments.

Le point le plus important de la propagande sioniste est de « favoriser le “retour” du Peuple juif en Terre d’Israël » ! Or, à ma connaissance, des juifs ont de tout temps vécu en Terre Sainte. De quel « retour » parle-t-on alors, vu que les juifs n’ont jamais rompu leur lien à cette Terre ? Du pouvoir politique ?

De plus, ce « Peuple juif » cité ici, qui est-il ? Il me semble que la majorité du Peuple juif ne vit justement pas en Terre Sainte. Qui donc peut s’établir là-bas en représentant exclusif de ce peuple (et délégitimer ainsi les autres juifs vivant ailleurs) ?

Et puis, « en Terre d’Israël » – selon quelles frontières ? La Terre d’Israël biblique comprend aussi l’autre rive du Jourdain (la Jordanie actuelle) jusqu’à Damas (en Syrie actuelle). Devrait-on entendre par là qu’il faudrait également que les juifs conquièrent ces territoires afin d’y assoir leur gouvernance ?

Un autre élément de propagande est l’utilisation ad nauseam de l’argument sécuritaire. Exactement comme en Afrique du Sud lors de l’Apartheid – où les Blancs étaient convaincus par la propagande de maintenir cet état de fait, sinon les Noirs allaient tous les égorger –, ainsi les Israéliens sont manipulés à croire que tous les Arabes veulent leur extermination.

Pour accentuer cette démagogie, le souvenir de la Shoah est agité sans vergogne afin de distiller la peur de l’anéantissement. L’État sioniste garantirait la sécurité des juifs dans le monde. Or, c’est tout le contraire qui se passe ! Le raccourci est aisé : identification entre l’État d’Israël et les citoyens israéliens, puis entre les Israéliens et tous les juifs. Comment empêcher cet amalgame toxique ? Les institutions juives françaises n’aident pas à calmer la situation, au contraire. Leur soutien inconditionnel à l’État d’Israël – et leur fait d’assimiler l’antisionisme à l’antisémitisme –, ouvre le bal de tous les amalgames. La communauté juive se retrouve prise en otage par l’idéologie sioniste. Les discours s’enflamment de tous les côtés, et le sang juif coule de par le monde.

Il est important de souligner ici que l’identité juive ne s’établit pas vis-à-vis des aléas des persécutions (qui sont des épiphénomènes ne nous définissant pas), mais vis-à-vis de la Torah. C’est elle qui légitime notre histoire et notre identité en tant que peuple (ou plutôt en tant que famille) – du coup, selon moi, un juif sans Torah, même si cela existe de facto, n’a pas beaucoup de sens.

Car nous les juifs sommes une famille, pas une nation au sens politique du terme. Nous sommes la « Famille de Jacob (Bêt-Ya‘aqov) », celle de ses descendants – à qui Dieu a donné Sa Torah par Moïse –, et à laquelle on peut appartenir par trois moyens : 1. la filiation, 2. l’adoption (ce qu’on appelle abusivement la « conversion ») et 3. le mariage. C’est pour cela qu’il existe des juifs de toutes les ethnies, fruits des mélanges entre nos populations originelles du Moyen-Orient et les peuples qui nous ont accueillis tout au long de notre histoire. Ainsi nos gènes sont communs avec nos sœurs et frères les Palestiniens, qui partagent la même origine que nous.

Notre Torah est justement basée sur la justice, l’amour, l’humilité et l’inclusion. Tout le contraire des « valeurs » du sionisme construites sur l’orgueil, l’oppression, la haine et l’exclusion. Selon notre Torah, on ne saurait donc établir une société saine sur l’injustice envers ne fût-ce qu’une seule personne (fût-elle non-juive) – a fortiori envers un peuple tout entier.

Les juifs sont donc les premières victimes de l’arnaque sioniste (la liste est longue). Les seconds en sont les Palestiniens qui subissent une occupation violente et un apartheid en règle – quand ils ne sont pas purement et simplement massacrés.

Aujourd’hui, les personnes qui se disent « antisionistes » justifient leur point de vue par un ou plusieurs des éléments suivants, parfois antinomiques (selon Wikipédia) :

1. L’opposition idéologique de principe à l’État d’Israël ou à la politique israélienne de manière générale, selon le point de vue qu’Israël serait responsable de la situation et des conflits au Moyen-Orient.

2. L’opposition à la politique de colonisation des territoires palestiniens occupés, selon le point de vue que l’État d’Israël et certains groupements se réclamant du sionisme y appliqueraient une politique expansionniste dans la perpétuation du projet sioniste.

3. La condamnation de la situation des Arabes israéliens et des Palestiniens pour lesquels certains estiment qu’ils subissent des discriminations jugées proches de l’apartheid, voire qu’on perpètre à leur encontre des « crimes de guerres » et ce, parce que le projet sioniste serait par essence raciste.

4. Nonobstant la situation des populations non-juives, l’opposition au caractère juif voulu par le sionisme de l’État d’Israël, selon le point de vue que ce principe, qui est à la base du sionisme, ne serait pas laïque et démocratique, mais religieux ou racial.

5. Dans le monde musulman, l’opposition à l’occupation de Jérusalem et d’autres lieux saints de l’islam par l’État d’Israël ou par des juifs ;

6. L’opposition à l’existence d’Israël en tant qu’état, ce qui est le but principal du sionisme, selon le point de vue que seul un état binational recouvrant toute l’ancienne Palestine historique serait légitime ou pourrait apporter des solutions au conflit israélo-palestinien, ce qui est contraire au fondement même du sionisme.

7. L’opposition au droit à l’existence même de l’État d’Israël ou d’un état juif, souvent dénommé « Entité sioniste » dans ce contexte, et selon le point de vue que le sionisme ne serait en rien légitime et qu’il aurait spolié les Arabes palestiniens de leur pays.

Dans le dernier cas, cette opposition (des fois armée et violente) à l’existence de l’État d’Israël peut même dégénérer en antisémitisme (c.-à-d. en haine générale du juif) comme l’avait craint Habib Bourguiba dès 1965 : « Dans le cas de la Palestine, cette haine conduit à confondre l’antisionisme avec l’antisémitisme, ce qui engendre […] un fanatisme qui sera dangereux le jour où il faudra négocier. » (dixit Wikipédia)

L’expression « antisionisme » peut donc prêter à confusion, car elle est aussi utilisée par ceux qui veulent purifier la Terre Sainte de toute présence juive (par un massacre pur et simple de la population israélienne) – ce qui n’est évidemment pas mon cas, ni le cas de mes amis Palestiniens, ni celui de l’écrasante majorité des gens sains d’esprit. Surtout que je suis plutôt un partisan de la non-violence, un adepte de la paix et de la justice.

Une paix authentique en Terre Sainte ne sera possible que fondée sur la justice pour tous les protagonistes, et non sur la simple absence de violence ou sur le remplacement d’une injustice par une autre. La paix ne se fera pas au détriment des Israéliens et au bénéfice des Palestiniens, ou réciproquement, mais au bénéfice des deux, ensemble.

C’est pourquoi soutenir la paix c’est soutenir les deux camps – pas les discours politiques, bien sûr, ni les gouvernements, mais les habitants eux-mêmes –, et servir de médiateur afin qu’ils trouvent d’eux-mêmes leur propres solutions à tous leurs problèmes. Je pense que dès la reconnaissance par le Gouvernement israélien de ses erreurs, l’abandon de l’occupation armée et l’octroi de leur droits aux Palestiniens, qu’il n’y aura alors plus de problèmes (car plus de sionisme).

Pour conclure, en tant qu’opposant à l’idéologie sioniste pour toutes les raisons suscitées (1 à 7, entre autres), j’accepte d’être qualifié d’« antisioniste » par défaut d’un meilleur terme.

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