Enfant caché pendant la Seconde Guerre mondiale, Georges Gumpel, 80 ans, s’insurge contre la criminalisation des militants qui ont le courage aujourd’hui d’aider les exilés.
Exilé dans son propre pays, enfant juif caché, séparé des siens, orphelin d’un père prisonnier politique et mort dans un camp nazi, Georges Gumpel a la mémoire à vif. Et le cœur qui résonne avec le drame des réfugiés. À 80 ans, l’homme voit sa propre histoire resurgir. Lui sait ce qu’il doit aux courageux qui l’ont protégé au péril de leur vie. Et il ne peut supporter, aujourd’hui, de voir poursuivis en justice ces citoyens solidaires des vallées franco-italiennes ou de Calais, seulement coupables d’apporter leur aide aux exilés d’Afrique et du Proche-Orient. Membre du bureau national de l’Union juive française pour la paix (UJFP), Georges a lancé un « Manifeste des enfants cachés », rendu public le 21 février. « Sans la solidarité de délinquants, nous ne serions pas là », proclame le texte, qui, au début du week-end, regroupait déjà une quarantaine de signataires.
Né en 1937 dans une famille juive française non pratiquante, Georges vit ses premières années à Paris. Il a quatre ans à peine lorsque les députés français accordent les pleins pouvoirs au maréchal Pétain et que se forme le gouvernement de Vichy. Au printemps 1942, avec ses parents et ses deux jeunes soeurs, il monte dans un train. Son père est convenu avec le conducteur qu’il stoppe les machines juste après la ligne de démarcation pour les faire descendre. « Aujourd’hui, un passeur solidaire se ferait saisir sa voiture », compare Georges en pensant à ce cheminot.
Toute sa vie, il milite contre la colonisation
Les Gumpel deviennent alors réfugiés à Lyon. Très vite, en 1943, la zone libre est occupée par les nazis. En septembre 1943, les parents de Georges décident de le confier à une institution chrétienne de la ville. La situation devenant de plus en plus dangereuse, il est pris en charge par une famille de métayers à Montfaucon, en Haute-Loire. Il y restera caché jusqu’à la fi n de la guerre par ces « délinquants solidaires », que l’histoire reconnaît aujourd’hui comme « justes » ayant mis leur vie en danger pour sauver des enfants juifs. Les soeurs de Georges, nées en 1938 et 1939, sont, pour leur part, cachées dans l’Allier.
Après la Libération, leur mère devra attendre que les ponts détruits qui enclavent la ville de Lyon soient à nouveau franchissables pour retrouver ses enfants. La famille décide de rester cachée à Montfaucon. Si la guerre est finie, la peur, elle, n’est pas complètement dissipée. Leur père, de plus, n’est pas avec eux. Militant socialiste, membre des réseaux anglais proches du Bureau central de renseignements et d’action, basé en Angleterre, il s’est fait arrêter en juillet 1944 lors d’une distribution de tracts dans le quartier Perrache de Lyon. enfermé à Montluc, il fait partie, le 11 août 1944, du dernier convoi vers Auschwitz, diligenté par un certain Klaus Barbie, alors chef de la Gestapo dans la région. Il meurt, six mois plus tard, dans le camp de Mauthausen, quelques jours avant l’arrivée des alliés, et rejoint les 320 000 personnes qui ont péri dans ce lieu dédié au travail forcé. La famille apprend la funeste nouvelle en septembre 1945 et regagne Paris l’année suivante. Sans ressources, la mère de Georges décide alors de le placer dans un orphelinat à Montmorency.
« Il n’est pas question qu’on s’apitoie sur mon sort, prévient-il. Cette enfance me donne simplement la légitimité de parler aujourd’hui. » Et il ne s’en prive pas. Toute sa vie, Georges s’engage. Qu’il s’agisse de la présence de la France en Algérie ou de la politique d’Israël en Palestine, il milite contre la colonisation. À la fin des années 1990, il se porte partie civile au procès du « boucher de Lyon ». Et c’est tout naturellement que ses convictions le mènent à publier une tribune solidaire, en janvier dernier, lors du procès de Pierre-Alain Mannoni, à Nice, jugé pour avoir transporté des exilées africaines entre l’Italie et la France. « Les gens qui nous ont cachés et ceux qui aujourd’hui portent secours à ces exilés sont la conscience de la société civile, sa rigueur, assène l’octogénaire. De tout temps, des citoyens ont su réveiller cette conscience. Les communistes le savent bien. La criminalisation de cette conscience, c’est l’oeuvre de Vichy. De De Gaulle aussi pendant la guerre d’Algérie. Et aujourd’hui, c’est ce que tente de faire le gouvernement. »
Place de la République, à Paris, le 9 février dernier, Georges est venu porter la voix des enfants cachés de la Seconde Guerre mondiale, contre le délit de solidarité. « Avec mon engagement à l’UJFP, je suis devenu un “ juif politique” à temps complet, explique-t-il. C’est tragique. Parce que, à la base, mon combat n’est pas celui d’un juif. On me demande parfois même où je suis né. Comme si mes convictions ne pouvaient pas être celles d’un citoyen français. Mais, face au Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France – NDLR) ou au gouvernement israélien, je m’oblige à porter cette étiquette. C’est l’Histoire qui me l’a assignée. » Finalement, plus que son identité juive, c’est son cœur d’enfant qui s’indigne aujourd’hui. Il ne peut s’empêcher de voir la foule des minots, accompagnés ou non, parmi les milliers d’exilés fuyant la guerre et la pauvreté. Il en veut aux gouvernements actuels qui violent de façon concomitante la Convention internationale des droits de l’enfant et celle relative aux réfugiés. Il se place définitivement aux côtés de ceux qui, bravant la loi, ont décidé de ne pas laisser faire. « Noirs ou juifs, le combat est le même, insiste Georges. Les solidaires d’aujourd’hui font écho à ceux de mon enfance. »
ÉMILIEN URBACH
Article paru dans le journal l’Humanité du 6 mars 2017, page 3.
Propos recueillis par Émilien Urbach.