Contribution externe
Publié le 14-07-2021 à 13h19 – Mis à jour le 06-08-2021 à 15h01
Un texte d’Albert Guigui, Grand Rabbin de Bruxelles.
En compagnie de Joëlle Milquet, je me suis rendu dimanche 11 juillet à l’église du Béguinage où depuis le 23 mai dernier, 250 personnes font la grève de la faim et s’y trouvent confinées. Des hommes et des femmes qui mettent leur vie en danger pour obtenir le droit de séjourner dans un pays où ils vivent depuis souvent plus de quinze ans et où ils sont exploités par des entrepreneurs peu scrupuleux ou par des marchands de sommeil.
Il faut se rendre sur place pour prendre conscience de la misère dans laquelle ces êtres humains vivent aujourd’hui. Des ambulances sont appelées quotidiennement pour surveiller leur état de santé. De multiples hospitalisations ont lieu.
Comment accepter que dans la capitale de l’Europe, des hommes et des femmes soient traités pire que des animaux. Où se sont envolées les valeurs démocratiques prônées par notre Constitution ?
Des êtres humains dépourvus de tout droit risquent de mourir sous nos yeux dans l’indifférence presque totale. Des gens qui attendent la mort patiemment alors que nous, nous continuons à mener notre vie normalement comme si de rien n’était. Comment est-ce possible ? La neutralité est assassine.
Sous des prétextes fallacieux, on endort les bonnes consciences. Non ! Cela ne peut pas continuer. Le juif en moi adhère à cette communauté des errants, des sans-papiers, des proscrits. D’urgence, nous devons les secourir, les aider. D’urgence, nous devons leur donner les papiers nécessaires pour vivre dans le respect et la dignité. Leur combat est notre combat.
Je sais. La Belgique est un petit pays qui ne peut pas absorber tous les sans-papiers. C’est évident. Par ailleurs, la Belgique est liée par des traités internationaux et européens qui limitent l’accès des sans-abris dans nos pays. Je le sais aussi. Mais il y a la loi et l’esprit de la loi. Il y a la loi et son application. Ce que l’on demande aujourd’hui, c’est un peu d’humanité dans l’application de la loi. Nous devons agir vite. L’exemple de Samira Adamou ne doit pas se répéter dans notre pays. Nous ne devons pas attendre que l’irréparable arrive pour manifester dans les rues. Ce sera trop tard.
Nos gouvernants doivent faire preuve d’imagination pour trouver une solution à ce problème dramatique et épineux. Dans ce combat au corps à corps qui se déroule sous nos yeux, il ne doit pas y avoir ni vainqueur ni vaincu. Seules la solidarité et la compassion doivent triompher. Seuls l’amour du prochain et nos valeurs démocratiques doivent l’emporter. C’est ce qui fait la force de notre pays. C’est ce qui fait aussi son honneur.
« Tu aimeras l’étranger car tu as été étranger en Égypte »
Nous devons nous rappeler que la solidarité doit se manifester envers tous les hommes, sans distinction de race ni de religion. Le Lévitique dans son chapitre XIX enseigne : « Si un étranger vient séjourner dans votre pays, il sera pour vous comme un compatriote. Vous l’aimerez comme l’un des vôtres. Vous vous souviendrez que vous avez été étrangers dans le pays d ‘Égypte. »
Ainsi donc, nous devons abattre les murs d’indifférence qui nous séparent et réchauffer cette notion de solidarité qui nous est tellement chère.
Face aux sans-papiers qui risquent leur vie, ouvrons nos cœurs et nos portes. Apportons aide et soutien à ces hommes, ces femmes, ces enfants, affaiblis, affamés et assoiffés qui frappent à nos portes pour régulariser leur situation. Comment rester indifférent au sort tragique de ces personnes ? Comment supporter le regard accusateur de ces êtres humains qui attendent un geste salvateur de notre part ? Hommage à tous ceux et à toutes celles qui essayent, chacun selon ses moyens, de leur apporter aide et soutien.
Nous avons une responsabilité immédiate et un impératif moral de les aider et de les sauver. En tant que juifs, beaucoup d’entre nous ont des membres de leurs familles qui ont été des réfugiés et notre héritage doit nous dicter la manière de répondre à cette crise. « Tu aimeras l’étranger, car toi-même tu as été étranger en terre d’Égypte », est-il écrit dans le Lévitique. Je vous le dis : « Les sans-papiers sont nos frères en humanité. » Aidons-les de toutes nos forces.
Tu aimeras ton prochain comme toi-même
La Bible nous recommande d’aimer son prochain comme soi-même.
Tu aimeras ton prochain comme toi-même, signifie aider ceux et celles qui sont dans la détresse comme on aurait voulu qu’on soit aidé si nous étions à leur place.
Tu aimeras ton prochain comme toi-même, c’est pouvoir être sensible à la douleur d’autrui, prêt à s’identifier totalement à quiconque subit une injustice, prêt à s’identifier avec chaque déraciné, avec chaque sans-papier.
Tu aimeras ton prochain comme toi-même, c’est toujours être prêt à exploiter notre force et nos ressources économiques afin de réparer quelque chose dans le monde.
Les sans-papiers risquent de perdre vite la volonté de vivre. Et si nous régularisons leur situation, nous sauvons leur vie et celle de leur entourage ; nous leur offrons peut-être, du fond de la détresse dans laquelle ils sont plongés, l’ultime raison, l’ultime goût de vouloir continuer à vivre.
C’est cette conduite qu’Albert Camus a appelé » devenir un homme « . Et devenir un homme aujourd’hui, c’est donner, contribuer, tendre la main à celui qui souffre.
Le jour s’est levé
Dans le Talmud, un rabbin demandait :
À quoi peut-on reconnaître le moment précis où la nuit s’achève et où le jour commence ? À cette question, une première réponse fut donnée :
- Quand on peut distinguer de loin entre un chien et un mouton.
- Non, dit le Rabbin.
- Quand on distingue un dattier d’un figuier.
- Non, dit-il encore.
Mais alors, à quel instant ?
C’est lorsqu’en regardant le visage de n’importe quel être humain, tu reconnais en lui ton frère ou ta sœur. Alors, tu peux être sûr que le jour s’est levé. Mais jusque-là, il fait nuit dans ton cœur.