Alexi Shalom
[Cet entretien a été mené par téléphone le 9 novembre 2018]
Une bonne partie de la recherche sur la solidarité des Juifs avec les Palestiniens à l’intérieur des frontières physiques de la Palestine historique s’est focalisée sur des sujets qui ont pris l’identité israélienne, soit par naissance soit par migration, puis ont trahi le projet sioniste en fournissant du matériel et un soutien politique aux organisations de la résistance palestinienne. Ce mouvement de « traitrisme » a été suivi par des individus bien connus comme Ilan Halevi, Uri Davis et Tali Fahima, citoyens juifs israéliens qui ont soutenu ou rejoint le Fatah.
Peu de recherche a été faite cependant pour identifier et analyser les communautés de Palestiniens d’ascendance juive récente, sinon par la foi, alors par les liens familiaux. Ces gens ont appartenu à une communauté constamment interactive et dynamique de l’ancien Empire Ottoman qui s’étendait au moins de la Syrie à l’Egypte et ne faisait pas partie de l’identité israélienne, par choix ou par hasard. Par contre, en tant que Palestiniens et réfugiés, ils ont choisi de combattre directement le sionisme dans la période qui a directement suivi la Nakba. Ces individus présentent un contrepoint direct au discours dominant, même dans le cadre antisioniste, qui efface toutes les histoires des Juifs palestiniens. Ce genre de récit suppose, sinon une totale assimilation des idées sionistes, du moins une totale assimilation de l’identité israélienne et du combat antisioniste dans les confins de la société israélienne, le Parti Communiste israélien et autres forces et institutions de ce genre.
Tandis qu’il est vrai qu’Israël a absorbé la très grande majorité des Palestiniens juifs, cela ne représente pas la totalité de cette communauté. Comme une grande partie de l’histoire juive, l’identité essentielle des Palestiniens juifs est très difficile à discerner à cause des conversions, des mariages avec d’autres groupes religieux et des mariages avec des Juifs ashkénazes. Les données démographiques sur ce que l’on peut considérer comme des Palestiniens juifs ou des Palestiniens dotés d’une ascendance juive récente sont controversées étant donnée l’immigration juive continue, sioniste et non sioniste, tout au long de l’histoire depuis la diaspora[1] pour vivre en Palestine. Des communautés distinctes parlant le Yiddish, le Ladino et l’Arabe (avec des Juifs parlant Arabe divisés en communautés même parmi eux) s’étaient formées avant l’arrivée du sionisme. Un courant parmi les Juifs israéliens de gauche comprend aussi l’antisionisme et, portant leur regard vers un avenir libératoire, ils se nomment eux mêmes « Juifs palestiniens », bien que n’ayant aucun héritage palestinien en tant qu’affirmation politique, ce qui complexifie encore plus la nomenclature.
Bien que peu nombreux et très difficilement identifiables étant donné les conversions et autres facteurs, une proportion étonnamment grande de Juifs palestiniens a activement rejoint et mené la lutte de libération nationale des Palestiniens : des membres du Fatah, William Nassar, Nabil Nassar et Samir Abu Ghazaleh et le leader du FPLP Kamal Nammari entre autres. Odette Nassar, mère de William et Nabil, identifie au moins 550 familles de femmes juives mariées à des réfugiés palestiniens dont « les fils sont, ou seront, des fedayins »[2]. Les récits et les histoires de ces individus contribuent à une meilleure compréhension de la conception de l’identité dans une Palestine ottomane pré-sioniste, multi-ethnique et multi-religieuse, et aident le mouvement antisioniste globalement à redéfinir sa lutte, non pas comme une lutte entre groupes religieux, mais plutôt comme une confrontation directe entre colonialisme de peuplement et une population indigène de toutes religions.
William Najib Nassar, noms de guerre Louie Al-Jabi, George Habayeb, Nidal Mansour, Abu Mohammed, est né à Jérusalem en 1946, d’un père chrétien palestinien, Najib, et d’une mère juive palestino-égyptienne, Odette. Deux ans plus tard, pendant la Nakba, Nassar et sa famille étaient à Alexandrie, en Egypte, où son père poursuivait un Master en Archéologie. La famille a dû se reloger à Ramallah où la plupart des membres de sa vaste famille avaient fui depuis Jérusalem. D’abord élève à St. George’s School à Jérusalem Est et inspiré par les réussites de Gamal Nasser et autres Arabes nationalistes, Nassar a milité dans la section jordanienne du Parti Baas dès l’âge de 14 ans. Il y a progressé jusqu’à diriger la branche de son école. En 1965, Nassar a rejoint Al-Asifa, l’aile militaire du Mouvement Palestinien de Libération Nationale (Fatah) dont il fait toujours partie aujourd’hui. En tant que membre du Fatah, et contre le souhait de ses parents, il est parti au Liban, en Syrie, en Allemagne, en Chine, en Espagne, en Algérie entre autres pays, pour entraîner de nouveaux fedayins et recevoir de son côté un entraînement militaire. En 1968, au cours d’une opération de commando près de Jérusalem, Nassar a été capturé, emprisonné et torturé. Il est resté 12 ans en prison militaire israélienne avant d’être libéré dans un échange de prisonniers en 1980. Après son emprisonnement, Nassar est parti en Tunisie pour rejoindre la direction de l’Organisation de Libération de la Palestine et y est resté, avant de pouvoir revenir en Cisjordanie après la fin de la Première Intifada. Il est l’auteur d’une autobiographie, Taghribat Bani Fath : arba’un ‘am fi matahah Fathawijah, disponible en Arabe.
Alexi Shalom (AS) : Je comprends que votre mère était juive et qu’elle venait du Liban. Pouvez vous me parler d’elle, me dire comment vos parents se sont rencontrés et ce qu’elle pensait de votre activité dans le mouvement de résistance ?
William Nassar (WN) : Permettez moi de dire tout d’abord que je ne me suis jamais senti Juif. Ma mère parlait rarement de son passé juif, mais elle avait de bonnes relations avec sa famille, elle avait l’habitude de leur rendre visite et ils parlaient tous arabe, et ils n’ont jamais eu de sympathie avec Israël. L’aînée de mes tantes vivait au Liban et elle a épousé un Juif du Liban. Tous les deux étaient très proches de nous et je n’ai jamais senti quoi que ce soit de différent entre nous. Plus tard, sa fille s’est mariée avec un Musulman et ils ont eu un fils et trois filles, qui sont donc tous musulmans. Son fils a épousé une Juive libanaise et ils ont eu un fils et une fille, mais son fils est mort jeune et sa femme a pris les enfants et ils sont partis en Israël, et je ne sais donc rien d’eux. Mon seul oncle du côté de ma mère est parti à Paris après 1956 et y a vécu. Il avait 2 fils. Ils ont vécu là-bas. Je suis allé les voir une fois. Nous avons toujours été en bonnes relations, nous n’avons jamais parlé de politique. Ils n’ont jamais eu de sympathie pour les idées sionistes. Ils ont vécu à Paris. Ils ont refusé d’aller en Israël.
Ma mère se prénommait Odette et elle était originaire de Wadi Abu Jmil, Beyrouth. Son père y est mort très jeune, je ne me souviens donc pas de lui. Il est mort avant qu’elle ne se marie. Elle avait 18 ans quand il est mort, et ils sont alors partis en Egypte et, avec sa mère, elles sont allées à Jérusalem en touristes. Elle a rencontré mon père qui travaillait au musée palestinien, devenu depuis le Rockfeller Museum à Jérusalem. Et ils se sont aimés et se sont mariés – et voilà. Je n’ai jamais eu l’impression qu’avoir une mère juive représentait la moindre différence. Ma mère elle même ne s’est jamais ressentie comme juive. Elle s’est convertie au christianisme afin de pouvoir se marier en 1936, il y a plus de 80 ans. Nous étions en fait une famille chrétienne. Nous nous sentions chrétiens et nous n’avons jamais parlé du passé juif. Elle m’a beaucoup manifesté de compassion lorsque j’étais en prison. Elle est venue me voir plusieurs fois et devait se quereller avec les autorités israéliennes chaque fois qu’elle venait me rendre visite. Mon père et ma mère ont contacté la presse à ce sujet. Ma mère était très active à Paris, spécialement avec les Juifs de gauche. Elle a eu quelques interviews en Europe à mon sujet et quelqu’un de Tunis m’a envoyé un article en français qui a été publié en 1968 où elle parle de moi et l’article est intitulé « Je suis Juive et mon Fils est un Fedayin. » Ma mère était Arabe, et toute sa famille était en sympathie avec les Palestiniens – ils ne sont jamais partis et, quand ils ont quitté l’Egypte, ils sont partis parce qu’ils avaient peur après la guerre de 1956 – la campagne du Sinaï. Et ils sont partis en France. Ils ont refusé d’aller en Israël. Mon oncle y était. Ma tante y est allée après avoir divorcé de son mari. Lui c’était Abramin Shalom. C’était un Egyptien d’origine italienne. Puis elle est allée vivre avec son fils en Angleterre, puis a poursuivi jusqu’aux Etats Unis où elle a vécu. Surtout pour les Juifs, c’était très courant d’aller en Egypte. Il y avait là plein de Juifs. Nous avons vécu 4 ans en Egypte, de 1947 à 1951. Il y a plein de Juifs qui étaient amis avec ma mère et avec mon père. L’un d’eux était un chanteur, l’un d’entre eux était un artiste, un acteur de cinéma, je me souviens très bien d’une femme très gentille qui ne s’est pas mariée, du nom de Germine. Elle nous rendait tout le temps visite. Elle a refusé de quitter l’Egypte, même après que la plupart des Juifs aient quitté l’Egypte. Elle y est morte, en fait.
AS : Votre collègue Ahmed Dabour écrit qu’il a entendu que les Sionistes essayaient de traiter avec vous à propos de votre judaïsme. Dans la publication du Fatah en langue anglaise, « The Freedom Fighters » (les Combattants de la Liberté), il est dit que, alors que vous étiez en Allemagne de l’Ouest, les services secrets israéliens ont essayé de vous influencer à travers la famille de votre mère. Pouvez vous nous en dire un mot ? Y a-t-il du vrai là-dedans ?
WN : Non, je suis allé en Allemagne en tant que formateur militaire pour les étudiants et les travailleurs, et les Allemands et les Israéliens étaient plus ou moins au courant. Ils ont essayé d’aller plus loin et de trouver qui était le formateur. En réalité, ils ne m’ont pas trouvé, parce que je suis parti de toutes façons en Allemagne. Mais ils ont commencé à expulser d’Allemagne tous les Palestiniens qui n’avaient pas de visa. Parce que mon visa a expiré – j’avais un visa de 3 mois et j’étais là depuis 6 mois – j’ai été expulsé. Je suis parti en Espagne, en fait en passant par la France où j’ai rendu visite à mon oncle à Paris, puis je suis allé en Espagne.
AS : J’ai été très surpris en lisant votre histoire lorsque j’ai compris qu’à l’époque de votre arrestation, vous n’aviez que 22 ans. Il semble que tant de choses se soient passées.
WN : En réalité, j’ai rejoint le Fatah quand j’avais 19 ans. Puis je suis allé à l’université à Beyrouth et on m’a demandé de faire passer des armes en contrebande, et nous avons coopéré avec un autre groupe qui était supposé nous les fournir, et j’ai dû m’enfuir parce que, en quelque sorte, le groupe n’est pas allé au point de ralliement. Leurs sacs ont été jetés et ils ont dû apporter d’autres sacs sur lesquels se trouvait mon nom. Quand ils ont été pris, en fait, les services secrets libanais connus sous le nom de Premier Bureau m’ont recherché. Je me suis enfui en Syrie, puis je suis allé en Allemagne.
AS : Avant d’adhérer au Fatah, vous faisiez partie du Mouvement Baas, alors pourquoi avoir rejoint précisément le Fatah ?
WN : J’étais dans le Parti Baas depuis que j’avais 14 ans. A l’époque, le nationalisme arabe était une question très importante, et les Baassistes formaient le parti le plus fort en Jordanie – le parti nationaliste arabe le plus fort. Nous voulions un moyen de chercher la libération de la Palestine, et c’était un des moyens – rejoindre les partis qui se battaient pour la libération de la Palestine. Il n’y avait pas de parti Nassériste en Jordanie. Le groupe nassériste était très petit et le plus gros groupe de nationalistes arabes, c’étaient les Baassistes. Je les ai rejoints en 1960. J’avais 14 ans. Je suis resté avec eux jusqu’à mes 17 ans, c’est-à-dire en 1963. Il y a eu un coup d’État en Syrie – un coup d’État Baassiste – et il y a eu un contrecoup par les Nasséristes. Et les Baassistes ont commencé à bombarder le camp de Yarmouk. A la suite d’un désaccord, j’ai quitté le parti. En fait, nous avons quitté le parti en tant que groupe d’étudiants. C’était en 1963. Deux ans plus tard, le Fatah a démarré ses activités militaires sous le nom d’Assifa. Nous ne connaissions pas le Fatah. J’ai essayé de trouver un moyen d’entrer en contact. J’avais un fort sentiment nationaliste, alors j’ai trouvé un moyen de les rejoindre en Jordanie en 1965 – en mai probablement. J’ai continué avec eux. C’est l’histoire de 50 à 52 ans au Fatah.
AS : Je sais que vous avez dit que vous ne vous sentiez pas juif, ni ne vous considériez comme juif. Mais quand vous étiez en Allemagne de l’Ouest ou en Espagne ou en France, êtes vous entré en contact avec des étudiants juifs qui faisaient partie de mouvements de gauche ou anti-impérialistes ?
WN : Non, en réalité. En Allemagne, nous étions très regroupés, mon frère et ses amis, nous étions tout le temps ensemble. Nous n’avions pas le temps d’en rencontrer d’autres. Je le souhaitais en fait, trouver les autres. C’est en Espagne que j’ai trouvé quelques étudiants arabes d’ascendance palestinienne, et nous étions tout le temps ensemble. Je n’ai rencontré aucun Juifs, étudiants ou autres, ni en Allemagne, ni en Espagne. J’ai rencontré quelques Juifs qui étaient de ma famille en France lorsque je suis allé en Espagne en passant par la France, à Paris.
AS : Ce qui m’étonne vraiment dans votre histoire c’est le nombre de pays dans lesquels vous avez fini par aller : Chine, Nord Vietnam, Algérie, Syrie, Allemagne de l’Ouest, Espagne. Cela vous a-t-il paru étrange que le peuple chinois ait voulu vous aider ? Ou vous êtes-vous senti comme faisant partie d’un mouvement mondial ?
WN : Je ne suis pas allé au Vietnam du Nord, ce n’est qu’une prétention journalistique. Je suis allé en Chine pour suivre une formation militaire sur la stratégie et la tactique, selon Mao. Nous étions 30, dont la plupart [étaient alors] ou sont devenus plus tard certains des premiers commandants du Fatah, et nous y sommes restés plusieurs mois. Je suis revenu en Syrie. Pour moi, ce n’était pas étrange. A l’époque de Mao, la Chine essayait d’aider tous les mouvements de résistance dans le monde entier. Ils ne posaient pas de questions sur l’idéologie. Pour eux, être un nationaliste, c’était un mouvement de résistance. Contrairement à Cuba et à l’Union Soviétique à cette époque, la Chine a aidé tous les groupes nationalistes. En Chine, nous avons trouvé des groupes de Pakistanais qui étaient musulmans, nous avons trouvé des groupes africains, tout le mouvement de libération nationale. Cela ne nous étonnait pas en réalité. Nous étions le premier groupe du Fatah à y aller. Nous avons beaucoup appris d’eux. Ce n’est pas applicable de nos jours. A l’époque, ça aurait pu l’être. Mas aujourd’hui, ça ne pourrait pas marcher.
AS : Quand vous avez été arrêté, c’était avec Kamal Nammari et lui aussi avait une mère juive, il était lui aussi d’ascendance juive et, même s’il faisait partie du Front Populaire de Libération de la Palestine et vous du Fatah, vous vous êtes retrouvés ensemble, vous avez même été arrêtés ensemble.
WN : Kamal Nammari est en Jordanie maintenant. Quand je l’ai rencontré à Jérusalem en 1968, il m’a dit : comment puis-je te présenter à mes amis ? J’ai besoin d’un alibi. J’ai répondu : dis leur que tu es mon cousin du côté de ma mère. Il a dit : « Non, c’est impossible. » J’ai dit : « Pourquoi ? » Il a dit : « Parce que ma mère est juive et tout le monde à Jérusalem sait que ma mère est juive. » J’ai dit : « Eh bien, tu peux le faire maintenant et dire que je suis ton cousin parce que ma mère aussi est juive. » En fait, je l’avais déjà vu une fois en Jordanie. J’étais avec Yasser Arafat dans une zone qui était un camp irakien après la guerre près de la frontière syrienne. Et Arafat m’a demandé de rencontrer un homme que je verrais plus tard à Jérusalem. Il m’a présenté à Kamal Nammari et m’a dit, quand tu iras à Jérusalem, tu entraîneras ses hommes, ils ont un groupe et quelques armes et ont besoin d’être entraînés. Et tu pourrais partir avec lui pour des actions militaires. A cette époque, il ne faisait pas partie de al-Jabha [Front Populaire de Libération de la Palestine]. Ce groupe était un front uni de toutes les organisations de Jérusalem : le Fatah – il n’y avait pas de Jabha à cette époque – Qawmiyyin il-Arab [Mouvement Nationaliste Arabe] ce qui était le groupe nationaliste arabe, qui étaient des Nasséristes. Il y avait les Baassistes, il y avait les communistes, ils formaient donc tous ensemble un nouveau front à Jérusalem. Le chef du Front Palestinien de Lutte Populaire était en prison, aussi Kamal Nammari l’a remplacé. Et quand je suis arrivé à Jérusalem, il était le délégué de ce groupe à Jérusalem, pas celui du Front Populaire.
AS : Dans le Témoignage de Nammari à l’ONU en 1979, il a déclaré que vous deux avez été distingués par les Israéliens pour avoir des mères juives. Pouvez vous me dire comment ils vous ont traités différemment ou vous ont opprimés davantage parce que vous étiez de famille juive ?
WN : Eh bien, vous savez, ils étaient plus durs avec nous durant l’interrogatoire, je savais que les Israéliens pratiquaient une tactique systématique et rude d’interrogatoire. Ils m’ont torturé. Ils l’ont fait avec tout le monde. Mais après cela, ils nous ont très mal traités en prison, pas pendant l’interrogatoire. Au début de l’interrogatoire en fait, on nous a emmenés dans un camp militaire pour 40 jours, parce que, quand j’ai été renvoyé à la prison de Ramleh, j’y ai trouvé Kamal, arrivé deux semaines avant moi. Ils pensaient qu’ils allaient tirer davantage de nous que des autres. Ils ont essayé de me convaincre de travailler avec eux. Ils ont promis de l’argent, et même la nationalité, une nouvelle citoyenneté en Amérique du Sud – je ne sais pas quoi. Quand j’ai refusé, ils ont utilisé la force. En 1969, ils nous ont emmenés tous les deux, avec trois autres qu’ils appelaient de prétendus leaders des prisonniers, à Ashkelon et ils nous ont en fait systématiquement torturés trois fois par jour pendant cinq ou six jours, jusqu’à ce que je ne puisse plus bouger. J’ai essayé de me suicider.
AS : Nous avons évoqué la façon dont les Israéliens vous traitaient. Mais dans tous les textes, tout le monde, y compris Yasser Arafat lui même, parle de votre mère juive et comment vous seriez considéré comme Juif selon la loi israélienne, sans hésitation et même avec l’orgueil d’avoir un camarade tel que vous. Il y a même une histoire sur votre père parlant à un commando qui avait pris le nom de William d’après vous, parce que vous l’aviez tant inspiré. Que ressentaient les autres Palestiniens du fait que vous soyez juif ? Je n’ai que des retours positifs, mais quel est votre sentiment sur la façon dont ils vous regardaient ?
WN : Cela ne faisait aucune différence. Ils étaient fiers de moi. Surtout en prison, J’étais la plupart du temps le commissaire général de la prison. Je les représentais face à le Croix Rouge, et même devant l’administration de la prison. J’étais le commissaire général de l’éducation pour tous les prisonniers. Mes écrits sur le Fatah, l’histoire du Fatah, l’idéologie du Fatah – il n’a pas d’idéologie, mais les pensées du Fatah, les principes du Fatah, étaient enseignés partout dans un livret que j’ai écrit en prison. Plusieurs personnes ont utilisé mon nom en réalité. Quand je suis sorti de prison, il y en avait trois dans le seul Liban. Je leur ai demandé de changer de nom. L’un d’entre eux était dans le Sud et il a utilisé mon nom pour terroriser des gens dans le Sud. Et puis, un autre était Taysir, et il a changé de nom quand il est revenu en Palestine en 1993 ou 94. Il a repris son nom d’origine, après des années où il s’était appelé William. Maintenant, il y en a un autre encore au Liban. C’est un chanteur.
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[1] Utilisé en référence aux communautés juives vivant hors de la Palestine historique depuis l’exil à Babylone.
[2] Ania Francos : « Je suis juive et mon fils est fidayi », Jeune Afrique. N° 434 du 28 avril au 4 mai 1969.
Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine
Source : Jadaliyya